En septembre 2012, l’ancien Directeur des opérations de Renault a pris les fonctions de Vice-Président Exécutif et Chief Automotive Officer au sein de Salesforce qui fournit des solutions d’entreprises à travers le cloud (CRM, réseaux sociaux, bases de données…).
« J’ai déménagé en Californie. Il fallait que je sois proche du coeur de l’entreprise et que je crée un réseau. Je suis membre du comité exécutif de Salesforce. Ma fonction est à cheval entre les technologies, les développements des applications et le marketing et le commerce », précise Patrick Pélata.
L’ex-numéro deux de Renault apporte l’expérience acquise dans le secteur industriel traditionnel de l’automobile et découvre l’organisation d’une entreprise numérique.
Il se déclare également assez bluffé par le projet de voiture automatique de Google qu’il a pu tester…
(Interview téléphonique réalisée le 26/06/13)
ITespresso.fr : Comment faire la jonction entre les services Salesforce et le secteur de l’automobile ?
Patrick Pélata : L’automobile a besoin de solutions dans le cloud et d’agilité et de mieux travailler dans les médias sociaux. Il s’agit également de relever les défis visant à connecter les voitures. Si ce n’est pas les constructeurs automobiles qui prennent en main cette mission, alors ce sera de nouveaux acteurs comme Apple, Google ou d’autres.
Pour définir Salesforce, je dirais que c’est une entreprise qui donne des moyens pour mieux s’occuper des clients et transformer l’expérience client de façon pertinente. Cela peut démarrer de n’importe quel point de contact entre la marque et le client : un tweet, un média social…
Dans le domaine de la voiture connectée (via des écrans embarqués ou son smartphone), le contact devient continu. Cela me permet d’éviter la corvée de me rendre chez le garagiste. Je vais m’adresser directement au constructeur qui prend en charge la réparation si nécessaire.
ITespresso.fr : Quels types d’offres Salesforce met en place pour le compte du secteur automobile ? Avez-vous développé des solutions spécifiques ?
Patrick Pélata : Non. Les solutions que nous proposons correspondent aux besoins des constructeurs et elles sont modulables par le client. Notre degré de flexibilité en termes de data model nous permet de gérer tous les problèmes rencontrés.
Après, il y a toujours des questions d’intégration pour relier les données dans plusieurs bases installés dans des systèmes différents. Nous avons également 2000 applicatifs disponibles sur notre place de marché App Exchange.
ITespresso.fr : Quelle est la position de Salesforce dans le secteur automobile ?
Patrick Pélata : Nous sommes plutôt sur nouveau terrain à conquérir. Néanmoins, nous faisons des choses depuis longtemps avec Toyota ou Renault depuis 2009-2010. Mais aussi avec Nissan ou Ford.
Actuellement, sur les quinze premiers constructeurs dans le monde, nous travaillons avec douze d’entre eux. Disons que nous discutons ou nous sommes engagés sur des projets pilotes. Et avec quelques projets à grande échelle.
ITespresso.fr : Parvenez-vous à atteindre le coeur du système de la relation clientèle des constructeurs ?
Patrick Pélata : Nous y arrivons avec des constructeurs aux Etats-Unis et au Japon. Par exemple, Nissan en Amérique du Nord utilise notre service cloud. Tous les appels clients vers les centres d’appels du constructeur sont gérés par Salesforce. Les agents de ces call centers collaborent entre eux via Chatter (outil collaboratif de Salesforce).
Nissan est également à l’écoute des médias sociaux. Une équipe dédiée est en mesure de capter un tweet portant sur un problème avec une voiture ou un concessionnaire.
Elle s’engage directement avec le client en question. Et elle est en mesure de reprendre la main sur le dossier si la prestation n’a pas été correctement effectuée.
Toute la relation complète du client est réalisée à travers le cloud de Salesforce.
Les constructeurs automobiles n’ont pas encore vraiment passé cette étape de la transformation client (avec ou sans Salesforce).
ITespresso.fr : Quid des relations avec les constructeurs automobiles en France ?
Patrick Pélata : Historiquement, Salesforce a démarré une première collaboration avec Renault en France. Mais cela ne s’arrête pas là. Je ne peux en dire plus tant que les accords ne sont pas signés définitivement.
ITespresso.fr : Considérez-vous que l’industrie automobile en France s’adapte bien aux enjeux du numérique ?
Patrick Pélata : C’est difficile mais c’est indispensable. Ce sont des grandes organisations très centralisées et la relation client est gérée par des services différents en interne (qualité, garantie, marketing et marketing digital, relations réseaux, communication…) ou en externe (les concessionnaires, les agences numériques…).
Salesforce propose la digitalisation et l’unification de la relation clientèle. Mais cela implique que tous les services concernés collaborent ensemble. Quitte à abandonner des outils qu’ils avaient mis des années à développer.
Certains groupes automobiles – comme Renault – ont commencé à y remédier en créant un poste de haut responsable de l’expérience client. Ce n’est pas une condition nécessaire pour démarrer. On peut partir sur une échelle plus petite. Il vaut mieux entamer une collaboration avec plusieurs lignes opérationnelles d’un constructeur pour apporter des choses très innovantes.
ITespresso.fr : A propos de votre parcours entre Renault (groupe industriel traditionnel) et Salesforce (acteur de l’économie numérique), qu’est ce qui vous surprend le plus en termes de management ou d’organisation ?
Patrick Pélata : Renault va avoir 115 ans à la fin de l’année alors que Salesforce en a 13. En termes d’ancienneté, cela fait une belle différence. L’organisation automobile est très structurée et centralisée.
D’un certain point de vue, Salesforce est aussi une organisation très centralisée en Californie. Même s’il existe une équipe d’ingénierie à Paris et qu’une autre est en train de se mettre en place à Grenoble. Les cadences sont différentes. En une année, la stratégie peut bouger.
Cela fait dix mois que j’ai rejoint Salesforce, j’ai déjà vu les lignes bouger. La stratégie d’un constructeur automobile bouge plus doucement. Le rythme de l’innovation est permanent chez Salesforce. Chaque semaine, de nouvelles discussions naissent sur des projets start-up alors que l’on voit en parallèle des mouvements de concentration.
L’accord entre Oracle et Salesforce est un signe. Le rapprochement entre Salesforce et ExactTarget un autre.
Il existe également au sein de Salesforce une culture californienne voire Silicon Valley ou San Francisco. Cela se traduit par une grande ouverture d’esprit et une culture de la croissance.
Si la société ne tourne pas à un rythme de 30 à 35% de croissance par an, elle se pose des questions sur son modèle. Quitte à adapter de façon significative son organisation pour améliorer les performances.
En termes de ressources humaine, Renault dispose d’un effectif treize à quatorze fois supérieur à celui de Salesforce. Logiquement, elle ne bouge pas aussi vite que Salesforce. Mais Salesforce commence aussi à devenir une grande entreprise (10 000 collaborateurs). Néanmoins, elle a su garder les gênes de la start-up.
ITespresso.fr : A votre avis, quels sont les trois principaux domaines d’innovations technologiques qui vont toucher le secteur automobile ?
Patrick Pélata : La réduction de l’émission CO2 avec les voitures électriques ou les véhicules hybrides.
La transformation de l’expérience client dans le sens de la simplification sera également une avancée importante, en association avec le développement de la voiture connectée. La maintenance technique de votre véhicule ou le service client seront assurés depuis votre domicile ou votre lieu de travail. Dans tous les cas, vous n’aurez plus besoin de prévoir des déplacements.
Troisième point, mais j’en suis moins certain, c’est le thème des nouvelles formes de mobilité qui pourrait faire évoluer la voiture. Comme le fait d’emprunter une voiture qui n’est pas à vous avec un processus plus souple que la location.
On va choisir la multi-modalité c’est à dire coordonner plusieurs moyens de transport à travers des outils mobiles qui auront vocation à simplifier le parcours.
ITespresso.fr : Avez-vous testé la Google Car qui se conduit toute seule ?
Patrick Pélata : Oui, bien sûr. C’est très bien. Ils ont encore du travail devant eux pour la rendre totalement fiable. Je pense qu’ils ne sont pas très loin de la fiabilité d’un vrai conducteur. Mais il faut aller plus loin. Car, légalement, on ne saura pas faire la différence entre la bonne pratique d’un conducteur et les défaillances d’une voiture automatique.
De plus, les équipements intégrés dans la voiture sont extrêmement chers et il va encore se passer pas mal de temps avant que ces technologies soient abordables.
Ce projet est assez bluffant. J’ai déjà connu des prototypes de conduite automatique chez des constructeurs avec lesquels j’ai collaboré. Mais ils n’étaient pas aussi poussés que celui de Google.
Aujourd’hui, tout le monde essaie de les rattraper. J’ai vue qu’Audi faisait beaucoup de publicité sur le sujet.
Toutes les pièces sont là mais il faut incorporer encore plus d’intelligence. Et il faut que le coûts des capteurs et des actionneurs devienne abordable.
Dans l’industrie automobile, c’est une condition pour un vrai démarrage. Entre les progrès technologiques et la baisse des coûts, cela devrait se chevaucher un peu.
Mais c’est raisonnable de dire que, dans dix ans, on trouvera des voitures comme cela sur le marché.
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