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Interview Paul-François Fournier – Bpifrance : « Donner les clés de l’innovation aux entrepreneurs »

Alors que Bpifrance prépare son évènement Inno Génération (25-26 mai, Paris), Paul-François Fournier, Directeur Exécutif en charge de l’Innovation au sein de la banque publique d’investissement, aborde le travail accompli sur son domaine de prédilection et le chemin qui reste à parcourir : transformation numérique, perception du décloisonnement & open innovation, financement des start-up…

Une stratégie volontariste est menée par Bpifrance dans ce sens. Elle reste à approfondir au regard des enjeux industriels à long terme.

(Interview réalisée le 19 mai 2016)

ITespresso.fr : Quels sont les grands changements entre la première session Bpifrance Innno Génération de 2015 et la deuxième édition en 2016 ?

Paul-François Fournier : La première édition portait sur la nouvelle vision de l’innovation qui nous avait conduit à identifier six axes comme les technologies, les modèles d’affaires ou les usages. Nous voulions réunir les entrepreneurs de tous les écosystèmes sur ce thème, quelle que soit la taille de l’entreprise. Il s’agissait de partager cette culture de l’innovation.

La deuxième session arrive dans un contexte différent pour les entreprises puisque leurs marges sont restaurées et on retrouve les niveaux d’investissement d’avant la crise de 2008. Il faut maintenant commencer à imaginer le monde économique de 2030.

Il sera puissant si les écosystèmes – French Tech (start-up), French Touch (savoir-faire à la française comme le luxe) et la French Fab (les PME et ETI de l’industrie traditionnelle en pleine révolution avec l’industrie de demain) – sont décloisonnés.

Le succès viendra de cette capacité à mieux travailler ensemble. Voilà l’esprit que l’on veut insuffler à travers cette nouvelle édition de Bpifrance Inno Génération. On veut créer les conditions maximum pour établir des relations entre start-up, PME, ETI et grands groupes pour que chacun sorte de son écosystème traditionnel et s’ouvre à des cultures différentes.

ITespresso.fr : Depuis un an, vous percevez vraiment un décloisonnement ?

Paul-François Fournier : Ca va dans le bon sens. A travers les levées de fonds, on aperçoit ces rapprochements. Avec le financement de Netatmo, Legrand est entré dans le capital de la société. Leetchi a été acquis par Crédit Mutuel Arkea.

Chez Bpifrance, nous avons lancé le Hub, qui constitue un réseau de mise en relation entre les 40 000 sociétés innovantes que l’on finance depuis 15 ans et les grands groupes.  Aujourd’hui, nous signons 5 contrats par mois dans ce sens.

Dans le même état d’esprit, nous avons lancé en 2015 deux accélérateurs dédiés aux start-up et aux PME, qui comptent déjà deux promotions, et nous annoncerons lors de Bpifrance Inno Génération l’accélérateur ETI.

ITespresso.fr : Au regard de leurs priorités (trésorerie, business), les PME et les ETI prennent-elles vraiment le temps de s’ouvrir à d’autres écosystèmes ?

Paul-François Fournier : C’est tout l’enjeu de Bpifrance Inno Génération. La situation était tendue effectivement mais des conditions macro-économiques plus favorables permettent de relever la tête. A nous de susciter cette envie. Tout notre sujet, c’est de donner aux entrepreneurs des clés et d’offrir des multitudes d’opportunités.

L’offre « Initiative Conseil » de Bpifrance par exemple [lancée en juillet 2014] pour les PME a pour but d’accompagner leur croissance et leur performance en effectuant notamment des diagnostics flash de leur stratégie, suivi d’une mission de conseil.

Nous proposons également d’accompagner les entreprises dan des domaines comme la transformation numérique, le changement de gouvernance, le design ou le big data. On veut organiser près d’un millier d’interventions dans ce sens avec des experts.

ITespresso.fr : A propos de la modernisation des outils industriels, on parle beaucoup du retard pris par les entreprises françaises dans la robotique. Comment Bpifrance peut-elle contribuer à un déclic ?

Paul-François Fournier : C’est un gros sujet en France, mais, en même temps, nous disposons de savoir-faire exceptionnels avec Dassault Systèmes par exemple. Nous avons mis en place des prêts de développement pour la robotique pour accompagner les entreprises dans le cadre des Programmes d’investissements d’avenir.

Là encore, on se retrouve avec des entrepreneurs un peu effarés au regard de la montagne à franchir mais; au final, ils s’en sortent très bien en s’organisant.

C’est le même constat avec le big data. On peut démarrer très simplement sur le sujet avec un outil de gestion de la relation client (CRM) ou de gestion des stocks.

ITespresso.fr : Sur le volet de l’innovation, dans quelle mesure avez-vous progressé pour colmater les trous dans la chaîne de financement ?

Paul-François Fournier : On observe des progrès considérables, même si nous avons bien sûr du chemin à faire. Dans le cadre de Bpifrance Inno Génération, on va revenir sur le sujet avec la sortie du Livre Jaune « Génération Start-Up » réalisé avec l’expert en innovation Olivier Ezratty.

Entre 2013 et 2015, nous avons doublé notre soutien dans le financement de l’innovation et des start-up en France. Nous avons apporté notre soutien à 1500 start-up en 2013. Nous en sommes à 3000 en 2015. Les outils de financement sont en place et nous allons continuer dans cette dynamique.

Grâce au Fonds National d’Amorçage que nous gérons également dans le cadre du Programme d’Investissements d’avenir, nous avons contribué à la création de 25 fonds d’amorçage et nous nous appuyons également sur les réseaux de business angels.

Dans un deuxième temps, il faut accompagner le développement des start-up qui doivent lever plusieurs dizaines de millions d’euros. Nous disposons d’un véhicule de financement dans ce sens qui s’appelle Large Venture doté de 600 millions d’euros pour investir des tickets supérieurs à 10 millions d’euros.

Nous avons également irrigué des nouveaux fonds de croissance comme Partech Ventures, Iris Capital, Cathay Capital ou Sofinnova. Il s’agit également d’attirer l’attention des fonds étrangers sur la France.

Je vais vous donner une autre illustration : en 2013, nous recensions 18 levées de plus de 15 millions d’euros (représentant un financement global de 600 millions d’euros). En 2015, on en recense 36 (avec un cumul de financement de 2,2 milliards d’euros). Prenez les levées de plus de 100 millions d’euros. Il y en avait qu’une seule en 2013 : Criteo. On a enregistré six en 2015 : Parrot, Blablacar, Sigfox, DBV et Cellectis (biopharmacie), dont plusieurs au Nasdaq…

Mais, avec le financement des start-up et des fonds, il ne faut pas oublier la rentabilité. Avec une certaine continuité de l’action de l’Etat français en 15 ans, le système est devenu rentable et est maintenant mature avec un écosystème de près de 200 sociétés de capital-risque. Il faut maintenant que l’argent privé revienne plus massivement.

ITespresso.fr : Ca bloque encore fréquemment en termes de financement. Notamment à cause de la Bourse qui ne joue pas son rôle de catalyseur et du niveau faible d’IPO actuellement recensées. Un éditeur français du software comme Cegid a été cédé à des fonds américains…

Paul-François Fournier : Globalement, l’année 2015 a été bonne en Bourse. C’est plus compliqué en 2016. La situation est similaire en Europe qu’aux Etats-Unis. Mais oui, il reste du chemin à faire sur la Bourse. On parle beaucoup des efforts à faire dans le domaine du numérique avec Euronext, dont l’expertise sur les biotechs est reconnue au niveau mondial.

D’un côté, si nous développons des fonds français, il faut accepter à l’inverse le fait que des fonds étrangers investissent en France. La finalité est la même : plus nous disposerons de moyens, plus nous pourrons soutenir nos entreprises.

Pour qu’elles se développent en mode stand alone si les conditions le permettent. Ou qu’elles atteignent une taille suffisamment importante pour qu’en cas d’intégration avec un groupe (français ou étranger), les structures de développement soient maintenues sur le sol français.

Intrinsèquement, le système marche comme cela dans le secteur IT : les intégrations créent de la valeur et les groupes étrangers viennent s’installer sur place pour bénéficier des expertises développées au niveau local. Ce modèle marche très bien aux Etats-Unis et en Israël.

ITespresso.fr : Prenons le cas concret du rachat de Withings par Nokia. On a l’impression que les ailes du développement en mode « stand alone » de la start-up dédiée aux objets connectés, en partie financée par Bpifrance, ont été coupées rapidement alors que l’on lui prédisait un avenir de licorne. Par ailleurs, lors du rachat de Nest par Google il y a deux ans et demi, on parlait d’une valorisation de plusieurs milliards de dollars. Dans le cadre du rapprochement avec Nokia annoncé début mai, on évoque juste quelques centaines de millions d’euros…Que s’est-il passé entretemps?

Paul-François Fournier : Il faut revenir à ce qui avait été dit précédemment. Dans la plupart des cas dans le système, il y aura une acquisition qui sera faîte. La question est de savoir par qui : des acteurs français, européens ou internationaux.

C’est tout l’enjeu de Bpifrance : il faut conserver au maximum la valeur à un niveau français voire européen. Mais il faut respecter les règles du jeu : nous sommes toujours très heureux quand une société française acquiert une boîte américaine. Il faut accepter le chemin inverse.

Lorsque Nicolas Dufourcq et moi-même avons pris nos fonctions au sein de Bpifrance il y a trois ans, nous nous sommes rendus en Israël. Google venait de racheter Waze et les Israéliens étaient très fiers du succès et de la création de valeur générée. Avec les conditions actuelles du marché, Google ne rachèterait peut-être pas Nest au même prix …

Les dirigeants de Withings ont considéré que les synergies et la puissance apportées par Nokia vont permettre de passer ce palier supplémentaire qu’il aurait été difficile d’atteindre en solo. Pour Withings au sein de Nokia, son développement se poursuivra mécaniquement par la France.

ITespresso.fr : Withings aurait-il pu être vendue à une société américaine ? Ou c’était inimaginable au regard du financement apporté par Bpifrance ? Le sujet deviendrait trop politique…

Paul-François Fournier : Pour être clair, non. Nous avons évidemment un prisme particulier sur la France et l’Europe. Avec les autres fonds, actionnaires et dirigeants de Withings, Bpifrance a eu sa part de voix. Le consensus a été construit par un alignement des visions stratégiques et des intérêts de Nokia et de Withings.

ITespresso.fr : La semaine dernière, L’Oréal a signé un accord avec l’accélérateur londonien The Founders Factory pour créer des start-up « mode & beauté ». Pourquoi se tourner en premier vers le Royaume-Uni au regard du vivier d’incubateurs de start-up disponibles en France [sans compter sur le pôle de compétitivité de la Cosmetic Valley dans le Loiret, ndlr] ?

Paul-François Fournier : Il faudrait poser la question au groupe L’Oréal. Il n’est pas étonnant que ce groupe tire parti de son aura mondiale. L’objectif n’est pas de tomber dans un système purement français. Bpifrance a aussi des discussions avec le groupe L’Oréal pour souligner et valoriser la diversité de l’écosystème start-up en France.

Il y a parfois une méconnaissance sur ce sujet au sein des grands groupes. Je suis persuadé que cela sera pris en compte au regard de la culture entrepreneuriale de L’Oréal qui a germé dans notre pays.

ITespresso.fr : On entre dans une période de pré-campagne pour l’élection présidentielle en France. Les candidats qui se sont déjà manifestés portent-ils un regard particulier sur le rôle et l’activité de Bpifrance dans l’économie français ?

Paul-François Fournier : Bpifrance est une banque publique d’investissement détenue à 50% par l’Etat et 50% par la Caisse des Dépôts. Je pense que la culture d’entrepreunariat de Bpifrance est prise en compte par les équipes de soutien des candidats (constituées généralement par des élus locaux).

Bpifrance est une banque de réseau. Nous disposons de plus de 40 implantations sur le territoire. Ces équipes voient dans les régions le travail de proximité effectué et elles ont une assez bonne connaissance de nos activités. Elles perçoivent la puissance de l’outil. Les propositions émises à notre encontre sont à entendre et à écouter.

Je rappelle que la création et l’histoire de Bpifrance est le fruit d’une culture de l’évolution (rapprochement avec OSEO, elle-même fruit de la fusion de l’ANVAR et de la BDPME, avec CDC Entreprises et le FSI…).

Nous allons prochainement intégrer la Garantie Export de la Coface qui va renforcer notre dimension internationale. Pour nous, c’est autant d’opportunités et l’évolution ne nous fait pas peur. Au contraire !

Crédit photo : (ft_NGouhier_ABACAPRESS13 (1)

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