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Interview Philippe Herlin : Le bitcoin fait peur aux banques centrales

La plateforme de jeux sociaux Zynga teste le bitcoin aux Etats-Unis mais, en revanche, en Chine, la place de marché Taobao (groupe Alibaba) n’autorise plus le bitcoin sur sa place de marché…Il ne passe pas une semaine sans que le bitcoin ne défraie la chronique du Web.

Cette « monnaie peer to peer » fascine et effraie en même temps pour son fonctionnement décentralisé, son potentiel d’exploitation et ses risques. Ainsi, on se rappelle du site Internet underground Silk Road, qui acceptait ainsi cette monnaie virtuelle pour acheter ou vendre de la drogue en ligne (fermé en octobre 2013 par le FBI).

L’écosystème émergent autour du bitcoin montre des signes d’instabilité, aboutissant à une « forte volatilité » qui pourrait freiner une adoption plus massive (voir encadré en bas).

« Le bitcoin est, pourrait-on dire, une monnaie complémentaire ‘chimiquement pure’ : elle est universelle, accessible à tous (il suffit d’une connexion Internet), sous le contrôle d’aucun État ou entreprise, totalement indépendante du système bancaire, autorégulée, sécurisée, et à la création monétaire contrôlée et limitée », considère Philippe Herlin.

Ce docteur en économie du Conservatoire national des arts et métiers a consacré un ouvrage à l’essor du bitcoin : La révolution du bitcoin et des monnaies complémentaires (Editions Eyrolles, mai 2013, disponible uniquement en format e-book à 4,99 euros via Amazon ou via la plateforme Izibook sur Eyrolles.com)

(Interview téléphonique réalisée le 18/12/13)

ITespresso.fr : Qu’est-ce qui différencie le bitcoin des autres monnaies virtuelles ? Pourquoi tant de bruit autour ?
Philippe Herlin : Il existe plusieurs monnaies virtuelles mais elles sont méconnues voire elles ont disparu comme c’est le cas pour Liberty Reserve (fermé par le FBI). Leur point commun ? Elles dépendent d’un serveur central ou d’une autorité centrale comme une entreprise. L’énorme avantage avec Bitcoin est de faire fonctionner une monnaie sur un réseau décentralisé. Impossible à couper, impossible à prendre le contrôle, impossible à faire tomber : c’est une monnaie peer to peer. Et c’est une communauté qui fait vivre Bitcoin, en particulier les mineurs qui se chargent de la validation des blocs de transactions.

ITespresso.fr : On n’est plus dans un système underground. C’est la mise en place d’une réelle économie à votre avis ?
Philippe Herlin : Tout à fait. Le bitcoin a longtemps été considéré comme une monnaie de geeks jusqu’en 2012. Dans le courant de l’année 2013, la monnaie virtuelle est apparue en pleine lumière. Le bitcoin a vraiment émergé en avril 2013 sur fond de crise financière de Chypre puis de plan de sauvetage supervisé par l’UE. Les gens se sont rendus compte que la possession d’un compte bancaire ne constituait pas forcément une garantie absolue. Alors pourquoi pas se tourner vers le bitcoin ? Parallèlement, un contrôle des changes étaient mis en place en Argentine et le bitcoin a été perçu pour réaliser des transactions plus facilement. La deuxième bulle s’est située entre septembre et novembre 2013. Des auditions devant le Sénat américain a constitué un signe vers une certaine libéralisation. Elles ont permis de montrer aux autorités que c’était quelque chose de sérieux. Des sociétés comme eBay ont pris le relais, en considérant que le système était intéressant…Bon, il peut y avoir des mouvements contradictoires comme c’est le cas de la Chine : après avoir contribué à faire monter le cours du bitcoin, les prises de position des autorités l’ont fait descendre.

ITespresso.fr : Quel est l’ampleur de l’écosystème bitcoin ?
Philippe Herlin : On évalue à 12 millions de bitcoins en circulation aujourd’hui. Ce sera limité à un plafond de 21 millions. Il faut multiplier le volume de bitcoins par le cours [qui était en train de chuter au cours de la semaine de l’interview, ndlr]. Le bitcoin pèse un peu près 6 à 7 milliards d’euros. C’est beaucoup pour une monnaie virtuelle mais cela reste peu par rapport aux flux financiers dans le monde. Pour acheter des bitcoins directement, il faut avoir l’âme d’un informaticien car il faut utiliser un logiciel. Sinon, il existe des intermédiaire comme Bitstamp ou Bitcoin.de pour le côté épargne et spéculation. L’autre credo qui se développe actuellement, c’est le paiement via bitcoins et des levées de fonds sont réalisées aux Etats-Unis pour ce type de services. Les euros sont changés en bitcoins et vice-versa. Et cela coûte bien moins cher que les systèmes de cartes bleues ou PayPal. Les frais de transaction en bitcoins sont extrêmement faibles. Même si un intermédiaire prend une commission, cela demeure toujours plus intéressant.

ITespresso.fr : D’où sort ce plafond de 21 millions de bitcoins ?
Philippe Herlin : On ne sait pas mais c’est prévu dans l’algorithme. A l’origine, il y a un pseudonyme Satoshi Nakamoto (individu ou collectif ?) qui a écrit un article à ce sujet et qui a effectué la première transaction en bitcoins le 3 janvier 2009. C’est un des points forts de cette monnaie, héritière de la conception de l’école autrichienne (en particulier les travaux de Friedrich Hayek, philosophe et économiste). On peut comparer l’avantage du Bitcoin avec celui de l’or : personne ne peut l’imprimer. Impossible à créer ex-nihilo (même si on  trouve des mines d’or). On a l’assurance qu’il n’y aura jamais de planches à billets bitcoin. Il n’y a aucun risque d’inflation monétaire avec le bitcoin, contrairement aux banques centrales et les monnaies comme le dollar ou l’euro. C’est un peu de l’or numérique…Mais ce plafond ne constituera pas une limitation au nombre de transactions bitcoins. En fait, on n’atteindra jamais ce plafond. Ce qui se passe, c’est que les mineurs sont récompensés en bitcoins après validation des transactions. Ils touchent 25 bitcoins par transaction, plus des frais de transactions. Dans quatre ans, ce sera un montant de 12,5 bitcoins. Quatre ans plus tard, ce sera divisé par deux, etc. A partir de 2020, on devrait atteindre 20 millions de bitcoins en circulation. On sera dans l’épaisseur du trait.

ITespresso.fr : Quel est le profil de ces mineurs ?
Philippe Herlin : Ce sont des pools d’entreprises. Au tout départ du réseau, avec un simple PC, un particulier pouvait miner c’est à dire effectuer des calculs mathématiques très lourds. Maintenant, il est nécessaire de recourir à des fermes de serveurs en grande quantité. On recense plusieurs gros acteurs que l’on peut retrouver via BitcoinMining.com.

ITespresso.fr : Pourquoi la Chine a fait chuter le cours du bitcoin à la mi-décembre 2013 ?
Philippe Herlin : On a observé un afflux important d’achats-ventes de Bitcoins en Chine. Tout comme la Banque de France, la Banque centrale de Chine a lancé un avertissement : « Attention, le bitcoin, c’est dangereux car spéculatif ». Elle a demandé aux banques de stopper toutes les transactions bitcoins et de couper les comptes des entreprises ayant recours aux bitcoins. Contrairement à la zone Euro, il existe encore en Chine un contrôle des changes assez étroit afin de contrôler la parité entre le yuan et le dollar. Avec le bitcoin, on peut complètement contourner le système de change. D’où l’intervention de la Banque centrale de Chine qui veut éviter ce risque de dérapage. Le bitcoin a fait peur au pouvoir.

ITespresso.fr : Existe-t-il une certaine reconnaissance du bitcoin dans la zone Euro ?
Philippe Herlin : L’Allemagne a reconnu le bitcoin comme monnaie privée. Il est possible d’utiliser cette monnaie avec des opérateurs. De son côté, la Banque de France a publié un communiqué destiné à faire peur. Mais elle ne va pas s’y opposer formellement tant que l’on ne parle d’initiatives start-up. J’en ai parlé sur mon blog.

ITespresso.fr : Pourtant, la Banque de France via l’autorité de contrôle prudentiel scrute les nouveaux moyens de paiement alternatifs qui arrivent sur le marché français. Elle doit se montrer très méfiante vis-à-vis du Bitcoin…
Philippe Herlin : De toute façon, les banques centrales ne peuvent pas aimer le bitcoin. Cette monnaie ne se contrôle pas. J’entends les critiques : le système du bitcoin n’est pas régulé. Mais c’est justement son principal avantage. Personne ne peut le manipuler. C’est comme l’or. Sa valeur est déterminée par l’offre et la demande. Il serait impossible pour toutes les banques centrales des pays de bloquer le bitcoin. Certes, cela pourrait ralentir le développement de la monnaie. A moins d’interdire purement et simplement la création de compte bitcoin…Mais bon, cela ne tiendra pas non plus. Les gens se rabattront sur une autre solution alternative.

ITespresso.fr : Il y a un énorme bémol sur le bitcoin. Si on épargne en bitcoins et qu’on perd le montant pour une raison quelconque (fraude ou vol de bitcoins via un intermédiaire par exemple), il n’existe aucune garantie de l’Etat français…L’épargnant français a tout perdu…Difficile de se montrer confiant dans ce cas, non ?
Philippe Herlin : Ce sont des risques informatiques qu’il faut évidemment bien prendre en compte. Les risques de piratage de son ordinateur ou de l’intermédiaire bitcoin existent. On a vu le cas récemment aux Etats-Unis avec deux services bitcoins. Leur propre capital bitcoin a été subtilisé. Impossible de rembourser les utilisateurs. De ce point de vue, cela reste moins sûr que l’or.

ITespresso.fr : Faut-il investir plutôt en actions en Bourse ou en bitcoin ?
Philippe Herlin : Aujourd’hui, pour un Français non féru en informatique, le bitcoin reste très compliqué. Le problème, c’est qu’il n’existe en France qu’une plateforme bitcoins : Bitcoin-Central [place de marché européenne en fait, développée par la start-up française Paymium, ndlr]. Elle m’a l’air moyennement efficace, malgré l’envoi de pièces justificatives. Et cela manque de support. Cela fait un peu amateur. Pourtant, je connais bien le cofondateur mais il ne me répond pas immédiatement. Il faut essayer d’autres sites pour comparer.

ITespresso.fr : Soyons clair : les activités relatives aux bitcoins en France sont-elles illégales ?
Philippe Herlin : Absolument pas. On peut lancer des initiatives start-up en France en lien avec le bitcoin. Mais il faut s’associer avec un service disposant d’une licence bancaire. Par exemple, Paymium / Bitcoin-Central a signé en septembre un partenariat financier avec Lemon Way (start-up française de paiement mobile qui dispose de l’agrément d’Etablissement de Paiement depuis fin 2012). [Lemon Way remplace ainsi Aqoba/Crédit Mutuel au titre de partenaire financier de Paymium, peut-on lire sur le blog eniefaC’s, ndlr].

ITespresso.fr : Vous avez confiance dans le système bitcoin. Pourtant, quels sont les garde-fous qui empêcheraient le blanchiment d’argent ?
Philippe Herlin : Ca, c’est bidon. Quand on parle de blanchiment d’argent, on parle de centaines de milliards. bitcoin est petit à côté. La mafia ne va pas faire appel à bitcoin pour leur trafic.

ITespresso.fr : Les réseaux mafieux sont souvent à la pointe des nouvelles technologies…
Philippe Herlin : Oui mais ils ont déjà leurs propres circuits. Via bitcoin, la traçabilité des transactions est facilitée car le livre des comptes est ouvert : l’ensemble des transaction sont publiques. La transparence est totale car il existe une trace d’une transaction dès son origine. On suit les transferts de Bitcoins par un système de signatures des propriétaires des comptes. En cas de transactions douteuses, ce sera repéré par la communauté bitcoin ou une agence nationale de renseignements.  Alors quand j’entends que le bitcoin, c’est le canal de la mafia, j’ai envie de dire que c’est de la propagande des banques centrales qui sortent la grosse artillerie.

ITespresso.fr : Les banques centrales ont-elles vraiment peur du système bitcoin ?
Philippe Herlin : C’est sûr. Pour l’instant, le bitcoin ne pèse que 10 milliard. Cela reste faible mais c’est très volatile. Mais quand le bitcoin passera à 100 milliards, cela deviendra une monnaie concurrente. Ce sera beaucoup plus stable au regard de la masse.

ITespresso.fr : A votre avis, le bitcoin, c’est la monnaie idéale ?
Philippe Herlin : Elle ne fait pas l’objet de régulation et elle n’a pas de volonté hégémonique. Tout le contraire du dollar. Si l’or était resté attaché au dollar [Accord de Bretton Woods en août 1971 : suspension de la convertibilité entre le dollar et l’or, ndlr], le bitcoin ne serait peut-être pas apparu. Plus les banques centrales font faire marcher la planche à billets, plus il y aura des déficits et des dettes, plus bitcoin prendra de l’importance. La force de cette monnaie, c’est un peu la faiblesse des autres.

A lire également : Pourquoi les économistes devraient être intéressés par le bitcoin par Nicolas Houy (CNRS) – tribune du 6 janvier 2014 parue sur LeMonde.fr.

IFF : « forte volatilité » du bitcoin
Juge et partie ? Selon une récente étude de l’Institut de la finance internationale (IIF, présenté comme une structure de lobbying qui fédère 450 grandes banques et établissements financiers), le bitcoin fait l’objet d’une « très forte volatilité » susceptible de freiner son utilisation par les grandes entreprises. Jeudi (9 janvier), la monnaie virtuelle qui fait jazzer sur le Net et dans le secteur financier évoluait autour de 910 dollars (source : Mt Gox). Lundi (6 janvier), son cours se situait aux alentours de 1100 dollars. Mais, à la mi-décembre, elle était tombé de son piédestal pour retomber à environ 610$ à la mi-décembre. L’IIF considère que ce yoyo dans le cours s’explique par le fait que « 50% à 90% » des bitcoins sont détenus par des spéculateurs qui réagissent très vite aux nombreux changements réglementaires. Selon l’AFP, l’Institut a tendance à enfoncer la monnaie virtuelle, évoquant l’absence d’une « régulation adéquate » du bitcoin, augmentant les risques de vols et d’utilisation frauduleuse dans le financement du terrorisme ou le trafic de drogue. Illustration du présumé complot dénoncé par Philippe Herlin ?

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