Interview Rodolphe Allard – Chronotruck : les camions ne vont plus rouler à vide

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Chronotruck connecte expéditeurs et transporteurs en temps réel. La start-up française compte bousculer le marché du transport de marchandise en Europe (Université numérique du MEDEF).

C’est un ratio étonnant mis en avant par Chronotruck dans le secteur du transport de marchandise : 1 camion sur 4 roule à vide en Europe.

Chronotruck compte bien optimiser le système pour gagner en productivité et augmenter la rentabilité des pros du marché.

Rodolphe Allard, co-fondateur de la start-up avec David Botvinik et Matthieu Verrecchia  (ex-FIA-NET, paiement électronique), a expliqué la démarche lors d’une session Transport & Logistique de l’Université du numérique du MEDEF, qui s’est déroulée cette semaine à Paris.

Ce professionnel du trucking connaît bien les problématiques sectorielles en ayant fondé un groupe dans ce secteur d’activité et poursuit la veille en occupant les fonctions de vice-président du Comité Transport & Mobilité de l’organisation patronale.

En marge de son intervention, Rodolphe Allard explique à ITespresso.fr les enjeux du marché gigantesque du trucking via les apps. Des prises de position aux Etats-Unis, avec des vedettes du Web qui ont flairé le filon, le démontrent.

L’objectif de Chronotruck, installée dans les Yvelines (avec un relais à Londres), est ambitieux : « devenir le leader européen de la réduction des trajets à vide pour les transporteurs et la plateforme de référence en matière de commandes de transports pour les expéditeurs ».

Lancée en octobre 2015, la plateforme fédère déjà 250 transporteurs et recense 300 entreprises clientes. « Actuellement, On effectue plusieurs transports chaque jour », indique Rodolphe Allard.

Découvrez le fabuleux potentiel de Chronotruck. Mais aussi ses limites.  (Interview réalisée le 16 mars 2016)

ITespresso.fr : Comment résumez le concept de Chronotruck ?

Rodolphe Allard : Pour entrer dans le cœur du fonctionnement de Chronotruck, nous allons parler géotracking, de la baisse des coûts des communications data associés et des prix des smartphones.

Ce que les gens appellent vulgairement « uberisation » c’est juste le géotracking qui lie une personne ou d’une entreprise qui cherche une prestation de service et un professionnel (ou autre) en mesure de répondre à la demande.

Avec les localisations GPS désormais à coût zéro, il suffit d’avoir un maillage suffisamment dense d’un réseau d’intervenants pour associer ceux qui sont à proximité.

ITespresso.fr : Pour Chronotruck, vous vous adressez à quelles cibles de clients ?

Rodolphe Allard : Derrière Chronotruck, il y a deux applications en fait : l’autre pour le patron chauffeur qui peut recevoir des offres de livraison géolocalisée sur son téléphone et l’autre pour le dispatcher (qui désigne en fait un exploitant de petites flottes de véhicules avec plusieurs chauffeurs à sa disposition au sein d’entreprises de transport et qui attribue les missions de livraison).

Libre au dispatcher de sélectionner le chauffeur qui effectuera la livraison. Dans les deux cas, on va proposer des offres de fret en fonction de la localisation du camion

ITespresso.fr : Quel est le modèle économique de Chronotruck ?

Rodolphe Allard : Notre fonction de facilité de géolocalisation est gratuite, même si vous n’acceptez pas les lots et même si vous ne prenez pas de fret sur notre plateforme. C’est un peu notre produit d’appel. Je vous rappelle que les traditionnelles offres pros de géolocalisation coûtent entre 20 et 40 euros par mois. Sans compter l’installation d’un boîtier à l’intérieur du camion, dont le prix se situe entre 100 et 700 euros.

Autre point important dans le système mais côté client cette fois-ci : nous avons développé un algorithme de prix d’un transport qui prend en compte des paramètres comme le type de véhicule (utilitaire, fourgon, poids lourds) et la distance à parcourir jusqu’à la destination. Le client dispose tout de suite d’une proposition tarifaire.

On peut y ajouter des options : manutention, gestion de palettes ou de haillons (pour soulever les marchandises) ou des rendez-vous (pour fixer des créneaux horaires de livraison)…Les demandes de livraison peuvent être immédiates ou programmées via notre app Chronotruck.

Une fois le devis de livraison constitué, il est envoyé à tous les patrons chauffeurs ou dispatchers se situant à proximité de la zone de chargement.

ITespresso.fr : Comment la prestation de livraison est-elle assurée ?

Rodolphe Allard : Si le prix du client est accepté, le chauffeur acceptant les conditions fixées assure la prestation. Chronotruck précise au chauffeur le prix qu’il va toucher, déduction faîte de notre commission (entre 15 et 20% du tarif annoncé au client).

Un suivi étape par étape s’enclenche jusqu’à la livraison à la destination indiquée et la décharge. Pour validation, le chauffeur doit prendre en photo le bordereau de livraison (le papier qui contractualise la prestation et qui a une valeur juridique). Il a une obligation d’archiver le document original dans son entreprise (et Chronotruck l’archive aussi au niveau informatique). En envoyant la photo du bordereau de livraison sur son adresse e-mail ou son back-office, il reçoit automatiquement la facture correspondante éditée par Chronotruck mais pour le compte du transporteur.

Traditionnellement dans le secteur, on observe un recours important à la sous-traitance de frêt en cascade. Une pratique accompagnée de dispositions juridiques en termes d’engagement de responsabilités (voir la loi de 2006 qui porte le nom du ministre des transports de l’époque : Jean-Claude Gayssot). A travers Chronotruck, nous sommes disruptifs dans cette activité-là puisque nous mettons en contact celui qui passe réellement une commande avec celui qui va vraiment la réaliser.

Avec, à la fin de la prestation, le vrai bordereau de livraison et la facture associée. Les deux éléments juridiques qui évitent tous les soucis.

ITespresso.fr : Vous êtes les seuls sur le marché à proposer cette approche ?

Rodolphe Allard : Nous avons un rôle de place de marché classique que l’on peut observer dans d’autres secteurs comme l’hôtellerie. En ce qui concerne le transport de marchandise, nous sommes les seuls sur le marché en Europe du moins. Et ce, au regard des technologies propriétaires que nous avons développées. Mais on sait que des concurrents vont arriver.

Les premiers sont des Américains : Cargomatic, Transfix et Trucker Path. La dernière initiative recensée, qui remonte à octobre 2015, est assez incroyable. Convoy est soutenu par Jeff Bezos (Amazon), Pierre Omidyar (eBay), Marc Benioff (Salesforce) et Drew Houston (Dropbox). Ces quatre sociétés américaines ont levé un montant total de 100 millions de dollars. Des concurrents asiatiques sont apparus également comme GoGoVan.

ITespresso.fr : Quel est le potentiel de ce marché ?

Rodolphe Allard : Il est phénoménal. Selon le cabinet conseil Frost & Sullivan, plus de 16% du transport mondial de marchandises passeraient par ces apps mobiles à l’horizon 2025. Tous segments confondus, l’activité de transport de marchandises pèse 800 milliards de dollars aux Etats-Unis. Et elle se situe dans une fourchette 650 – 700 millions d’euros pour deux millions de véhicules en Europe.

Pour mettre en appétit, j’ai l’habitude de comparer avec Uber, qui a levé des milliards. En France, il est sur un marché de 15 000 à 25 000 VTC sous licences. C’est exactement la même chose dans le transport routier sauf que l’on parle d’un volume de 447 000 licences attribuées. Tous ces véhicules ont besoin au moins une fois par jour de recharger. Par expérience, on sait que la moyenne de chargement par jour se situe entre 1 et 5.

En fait, on vise tout ce qui roule et qui est susceptible de transporter de la marchandise.

ITespresso.fr : Vous iriez jusqu’à remplir les coffres des voitures des particuliers ?

Rodolphe Allard : On se concentre sur le fret. On ne fait travailler que des pros. Le transport de colis ou de marchandises est réglementé en France. Ce qui pourrait poser des soucis à des start-up qui prennent position dans ce sens [comme Stuart, soutenue par La Poste, NDLR] mais qui ne se soucient guère du cadre précis.

Actuellement, les pouvoirs publics laissent faire mais il faudra s’y intéresser un jour. Car Uber a lancé UberRUSH au niveau international pour livrer des colis chez les particuliers en voiture ou à vélo. Le système pourrait arriver en Europe très vite. Ce qui devrait inquiéter des acteurs comme DHL, TNT ou Chronopost.

Si la règlementation évolue, on pourra facilement élargir la base de chauffeurs aux particuliers. Cela change vite : en Angleterre, il est possible de transporter jusqu’à 500 kilos de marchandises sans disposer d’un statut professionnel.

ITespresso.fr : Dans votre prospection clients, les profils d’acteurs e-commerce qui cherchent des solutions de livraison vous intéressent-ils ?

Rodolphe Allard : Pour réaliser les derniers kilomètres de livraison jusqu’au particulier, Chronotruck ne sera pas intéressant. On ne sera pas assez compétitif en termes de prix. En revanche, nous serions plus adaptés pour faire la jonction entre deux entrepôts d’un groupe e-commerce.

ITespresso.fr : La plateforme Chronotruck peut-elle être considérée comme une bourse de fret ?

Rodolphe Allard : Les bourses de fret représentent des marchés très fermés. On négocie par téléphone et c’est exclusivement tourné vers les transporteurs. Ce qui contribue à l’opacité des tarifs fixés au client. Les bourses de fret ne sont absolument pas automatisées. C’était notre première réaction étonnée en étudiant le marché il y a deux ans. Donc, nous allons concurrencer les bourses de fret via le positionnement de place de marché de Chronotruck et notre accès direct.

En fait, nous sommes un mélange d’une bourse de frêt, des commissaires au transport, d’un Airbnb (car on attribue des notes aux prestations : les chauffeurs sont notés par les clients et vice-versa à terme) et de Booking.com (on gère des livraisons sans disposer de camions).

ITespresso.fr : Comment assurez-vous le financement des activités de Chronotruck ?

Rodolphe Allard : C’est de l’auto-financement depuis le démarrage. Le montant est assez important [entre 100 000 et 500 000 euros, on n’en saura pas plus, NDLR]. Pour accélérer en Europe, on va chercher des capitaux et procéder à une levée de fonds importante que l’on espère boucler d’ici la fin de l’été 2016.

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