ITespresso.fr : Facebook réalise désormais la majorité de son audience ou de ses revenus depuis des terminaux mobiles. Est-ce que cela pourrait également devenir une réalité pour tous les acteurs numériques avant la fin de cette décennie ?
Thomas Husson : Les acteurs dont les revenus sont basés majoritairement sur la publicité, comme les médias, risquent de souffrir d’un effet de ciseau dévastateur dans les années qui viennent : la majorité de leur audience est déjà mobile mais il ne réalise que 5 à 15% de leur chiffre d’affaires sur mobile. Beaucoup n’ont pas pris la mesure de la vague mobile et vont se faire submerger.
Pour les autres pure players qui sauront faire évoluer leurs offres et s’adapter rapidement, oui je pense, que leurs revenus seront majoritairement mobiles. C’est la même chose pour les e-commerçants et c’est déjà le cas pour des acteurs du gambling ou des ventes privées.
En revanche, pour les acteurs traditionnels, le numérique ne représentera qu’une partie minoritaire du chiffre d’affaires total : la vraie opportunité sera d’influencer les ventes en capitalisant sur la valeur ajoutée que le mobile peut apporter tout au long du parcours d’achat, y compris sur le point de vente.
ITespresso.fr : On annonce des dizaines de milliards d’objets connectés d’ici quelques années ainsi que de nouveaux périphériques (lunettes, montres, etc..) mais peuvent-ils remettre en cause l’hégémonie du smartphone ?
Thomas Husson – L’ écart entre les différentes projections, qui va de 25 à 150 milliards d’objets connectés dans les cinq à dix ans, prouve la difficulté à quantifier un phénomène aux frontières encore floues: certains y incluent des tags RFID d’autres pas !
Mais oui, il est certain que d’ici dix ans, le monde qui nous entoure sera connecté et que les smartphones ne seront plus les seuls objets remplis de capteurs et de connectivité.
A l’échelle mondiale, le smartphone est et restera au moins pour les cinq prochaines années le principal interface qui nous reliera à différents univers connectés : la maison, la voiture, le bureau etc… Même si les données ne transitent plus par le smartphone, il restera le principal identifiant d’un individu et sa télécommande du quotidien.
L’Internet des objets va d’abord commencer dans l’univers industriel et B2B et progressivement s’imposer pour le grand public lorsque les marques arriveront à démontrer une vraie valeur d’usage.
Nous en sommes encore loin et à fin 2015 le ratio est plus que clair : 20 millions de montres connectées pour 2,5 milliards de smartphones !
ITespresso.fr : En Chine, des messageries mobiles comme WeChat sont devenues de véritables plates-formes, agrégeant des services d’information ou de commerce. Ces outils préfigurent-ils l’avenir des communications digitales ? Le Web et le browser sont-ils à terme menacés ?
Thomas Husson – Le phénomène WeChat est très difficile à appréhender pour un occidental et ça n’est qu’après de nombreuses discussions avec mes collègues chinois, que j’ai fini par comprendre que WeChat est bien plus qu’une application de messagerie : c’est l’application lifestyle numéro un qui est utilisée dans le quotidien des Chinois pour une multitude de services, y compris l’achat de billets de train ou la réservation de taxi.
En l’espace de seulement quatre ans, WeChat a conquis plus de 750 millions d’utilisateurs actifs et selon nos estimations 250 millions utilisent WePay.
WeChat préfigure effectivement les plateformes numériques de demain et est en avance sur des acteurs comme Facebook.
L’exemple de WeChat montre que des écosystèmes alternatifs peuvent venir concurrencer la domination d’un iOS ou d’un Android. Ce serait une erreur de croire que le phénomène n’est que Chinois et n’arrivera pas ailleurs.
Cela dit, le Web est loin d’être mort. C’est un fantastique vecteur d’acquisition client alors que les apps sont plutôt un outil de fidélisation. Avec le deeplinking, les passerelles vont se multiplier entre les deux univers.
Au final, le temps passé se concentre déjà dans quelques applications et le phénomène va s’accélérer avec l’apparition de ces nouvelles plateformes. Les marques doivent cesser de penser apps natives ou web mobile, mais répondre aux moments mobiles des consommateurs, qui passeront demain par des notifications contextuelles.
ITespresso.fr : Smartphones et objects connectées vont massivement produire des données sur les consommateurs et leur environnement. En dehors des GAFA, les pouvoirs publics ont ils pris la mesure de la valeur de ces mobile data ?
Thomas Husson : Ma première impression est que les acteurs européens et notamment français agissent trop peu et trop lentement. Cela dit, je pense que les grandes entreprises et les pouvoirs publics commencent à prendre conscience de ces enjeux, mais objectivement ils sont difficiles à appréhender dans toute leur ampleur.
Nous ne sommes qu’au début de la révolution ! Les questions sociétales, économiques et politiques autour de la vie privée et de la sécurité sont très complexes avec les données contextuelles, personnelles et comportementales venus des objets connectés.
Comme lors des précédentes révolutions industrielles, le cadre légal et réglementaire va devoir évoluer.
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