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Interview Tristan Grué – Bolden : « Crowdlending : le service client et la rapidité sont déterminants »

Le crowlending s’agite en France. Les plateformes dédiées de financement alternatif aux PME se comptent en dizaines (Lendix, Unilend, Crédit.fr…).

Lancée en octobre 2014 sous le statut d’IFP (Intermédiaire en Financement Participatif), Bolden SAS s’adresse aux particuliers, entreprises et institutionnels.

Objectif : prêter directement aux PME de leur choix contre intérêts. Mais les projets font l’objet d’un « examen minutieux d’analyse financière pour présenter des dossiers solides et limiter la prise de risque » pour faciliter la rentabilisation de l’épargne des prêteurs. Les prêts ont une durée de 1 à 5 ans et sont rémunérés à un taux fixe, entre 4% et 12%, avant frais Bolden et impôts.

Lors de la session Fintech R:Evolution organisée à Paris, nous avons rencontré Tristan Grué, CEO fondateur de Bolden qui est revenu en France après avoir passé 10 ans à la City de Londres.

Cet expert de la finance a notamment occupé des fonctions de co-gérant de fonds d’investissement chez RBS Asset Management, puis Directeur Associé, gérant d’investissement chez Barclays.

L’équipe est composée de 7 personnes qui alignent trois expertises : analyse crédit, programmation informatique et éditeur de logiciels de flux financiers, business development.

« Sur notre cœur de métier (l’analyse crédit), nous avons développé un savoir-faire en collecte d’information sur les entreprises, de restitution et de modèle de crédit », précise notre interlocuteur. « On a codé en grande partie le modèle et pour avoir des API [connecteurs] et collecter nos données à des sources tierces comme la base de données Altares [bilan financier des entreprises] ».

(Interview réalisée le 3 mai 2016)

ITespresso.fr : Cela fait un an que votre plateforme Bolden est opérationnelle. Quel bilan d’étape peut-on effectuer ?

Tristan Grué : Nous faisons du crowdlending à destination des TPE-PME établies. En moyenne, elles ont 11 ans d’ancienneté et des besoins en financement situé dans une fourchette 30 000 – 50 000 euros pour des prêts à court et moyen terme (sur un échelonnement entre six mois et deux ans et demi).

Nous avons mis en ligne 25 dossiers de PME en ligne – en cours de financement pour certains d’entre elles – pour 1500 demandes de financement reçues. Nous sommes sur un volume d’un demi-million d’euros.

Nous pouvons maintenant accélérer. Nous sommes désormais en mesure de mettre un ou deux dossiers par semaine. Sur un an roulant, nous serons en mesure de présenter entre 50 et 100 dossiers. Nous avons l’ambition de prêter entre 5 et 10 millions d’euros sur l’année 2016.

ITespresso.fr : Quel est le profil de vos prêteurs ?

Tristan Grué : Nous avons 1420 prêteurs inscrits sur Bolden en l’état actuel. De l’étudiant qui a envie de placer ses premières économies aux jeunes actifs en passant par les retraités. La moyenne d’âge est située à 40 ans et les prêteurs disposent d’un certain niveau d’économie et ils appartiennent à des CSP aisées.

Nous ne sommes pas vraiment sur une cible de population assujettie à l’ISF ou qui gère des produits en Bourse. Ce sont plutôt des nouveaux entrants dans la finance.

ITespresso.fr : Comment digérez-vous le nombre de dossiers reçus par jour ?

Tristan Grué : Nous avons reçu 1500 demandes depuis la création de Bolden et nous recevons actuellement entre 60 et 100 dossiers par jour. Nous sommes en mesure de filtrer très rapidement les dossiers. Sur les 60 reçus chaque jour, nous en rejetons 90% rapidement grâce à notre système informatique.

Les dossiers peuvent être évacués pour diverses raisons : la société est trop jeune (moins de trois ans), elle ne dispose pas suffisamment de fonds propres, elle a déjà engagé beaucoup de crédits en parallèle…Du coup, la pression sur la gestion et la répartition des dossiers à examiner devient plus raisonnable chez Bolden.

Cela peut aller très vite : en scrutant les 6 dossiers restants, on peut en écarter encore 50% car on se rend compte qu’au cours de l’analyse téléphonique et humaine, il y a un décalage entre ce qui a été décrit en termes de besoin ou d’activité sur notre plateforme et la réalité.

ITespresso.fr : Dans quelle mesure les PME sont consciences du canal crowdlending pour leur besoin de financement ?

Tristan Grué : Celles qui cherchent sur Internet en sont conscientes. Mais c’est la pointe visible de l’iceberg. Mais la volumétrie commence à être vraiment intéressante pour lancer l’activité. Nous avons beaucoup d’entreprises qui s’adressent à Bolden en nous mettant en concurrence avec d’autres plateformes.

Nous avons beaucoup d’intermédiaires qui ont envie de travailler avec nous comme les cabinets d’experts-comptables. Ils sont des relais de conseil important auprès des entreprises.

ITespresso.fr : Comment se distinguer par rapport à la concurrence (Unilend, Lendix, Crédit.fr…) ?

Tristan Grué : Nous nous différencions sur le type de PME ciblées par rapport à Unilend ou Lendix. Nous sommes concentrés sur des plus petites entreprises : souvent moins de 10 salariés, un chiffre d’affaires entre 100 000 euros et 1,5 million euros. Nos concurrents s’attaquent plutôt à des grosses PME qui affichent des CA de 10 millions d’euros voire plus.

Le service est différenciant également : au-delà des services technologiques que nous fournissons (système automatisé de crédit), nous organisons systématiquement un entretien téléphonique ou un rendez-vous physique pour comprendre la mécanique de financement de l’entreprise et effectuer un suivi.

ITespresso.fr : Les entreprises mettent-elles en concurrence les plateformes de crowdlending entre elles ?   

Tristan Grué : Cela arrive. Elles peuvent nous mettre en concurrence avec les banques et les autres plateformes de crowdlending. Ce qui est déterminant, c’est le service client et la rapidité. C’est assez subtil : il faut parler aux entrepreneurs comme des adultes qui n’ont pas le temps.

Autre caractéristique : sur un tiers des dossiers reçus, on parle d’un complément d’emprunt avec celui accordé par une banque. Par exemple, c’est l’entrepreneur qui agrandit ses locaux par un financement bancaire et qui souhaite refaire le mobilier via une plateforme de crowdlending.

Mais, globalement, nous sommes assez surpris du nombre d’entreprises qui déclarent ne plus vouloir travailler avec des banques…Nous avons le cas de l’auto-entrepreneur qui préfère faire appel aux particuliers plutôt qu’aux banques. On observe aussi un sentiment de ras-le-bol vis-à-vis de la qualité de service et de pratiques tarifaires des banques jugées abusives…

Le dernier tiers représente des sociétés qui n’ont pas plus d’accès aux banques. Ce segment-là demande davantage d’analyses car c’est plus risqué.

ITespresso.fr : Les taux d’emprunt pratiqués en fonction des plateformes de crowdlending ne constituent pas un critère déterminant ?

Tristan Grué : Pas en l’état actuel. Le marché n’est pas assez mâture. Les plateformes prêtent à des taux situés entre 5 et 10%. Ce n’est pas déterminant pour Bolden au regard des montant empruntés.

Le niveau des taux ne pose pas vraiment de problème. La question pour l’emprunteur est plutôt de savoir à quelle échéance il disposera vraiment du financement demandé.

ITespresso.fr : Lendix vient d’acquérir Finsquare. Percevez-vous un début de concentration sur le marché ?

Tristan Grué : La France a un énorme potentiel. On estime le marché à 40 milliards d’euros par an à l’horizon 5 à 10 ans.

Sachant que le marché global des prêts aux entreprises est de 200 milliards d’euros par an. Actuellement, ce marché est détenu à 90% par les banques. Si 10% du marché basculent vers le crowdlending, on se retrouve sur un business à 40 milliards par an. Cela va prendre du temps car les usages en France sont lents à changer.

Il est normal que beaucoup d’acteurs tentent de s’imposer sur le marché mais il est tout aussi normal qu’il y ait un phénomène de concentration car le marché ne va pas aussi vite qu’on le pensait. Il faut avoir les reins solides pour tenir sur les 3-4 années à venir. En attendant, il faut des relais de croissance qui passent par les institutionnels avec des fonds et des banques qui viennent prêter aux particuliers.

Je pense que, sur les 30 ou 40 plateformes de crowdlending, Bolden est bien placé pour faire partie des 5 ou 6 qui sauront négocier le tournant sur des typologies de prêts différents. 10 d’entre elles ont déjà passé le cap des 200 000 euros traités. Certaines d’entre elles auront davantage un ancrage régional ou européen.

ITespresso.fr : Peut-on imaginer un acteur européen voire américain qui débarquerait en France et/ou qui acquérerait un acteur local ?

Tristan Grué : La France est un marché compliqué à pénétrer. Mais il attire des convoitises et les emprunteurs français ont les mêmes comportements que les Américains ou les Britanniques : l’entrepreneur est malin, il va là où les conditions pour disposer d’argent sont les plus flexibles.

Pour faire émerger un champion européen du crowdlending, la question est de savoir qui va s’imposer sur ce mode de financement et qui sera en mesure le répliquer le modèle sur plusieurs marchés.

ITespresso.fr : Comment travaillez-vous avec S-Money (solution de paiement et de transfert d’argent par monnaie électronique du groupe BPCE) ?

Tristan Grué : Nous travaillons davantage avec le groupe BPCE sur le volet des partenariats et du financement. Nous utilisons S-Money comme prestataire de paiements qui effectue les contrôles de pièces d’identités et qui ouvre des comptes chez Natexis pour la gestion des dossiers entre prêteurs et emprunteurs*. Par notre statut et les obligations légales, Bolden n’a le droit que de passer des ordres de virement sans avoir accès à ces comptes.

ITespresso.fr : Vous êtes satisfait du cadre actuel du crowdlending en France ? Les initiatives d’Emmanuel Macron, ministre de l’Economie, sont-elles suffisantes ?

Tristan Grué : Emmanuel Macron est allé dans le sens des réformes positives pour favoriser l’émergence de ce marché, comme le relèvement du montant maximum qu’un investisseur peut s’engager sur un projet. On passe d’un seuil de 1000 relevé à 2000 euros sur le prêt avec intérêts (décret 1053 du 16 septembre 2014).

L’évolution du bon de caisse en tant qu’outil de financement pour les PME va permettre de toucher des plus grosses PME. Ces « minibonds » ouvrent aussi la porte de prêts inter-entreprises (2).  C’est important : les entreprises ayant des excès de liquidités pourront les placer dans d’autres PME plutôt que de les conserver sur des comptes à terme, qui rapportent à 0% voire des taux négatifs. Ce volet devrait être mis en place en octobre prochain.

Si j’avais un message un message à faire passer auprès d’Emmanuel Macron, il porterait sur la question de la fiscalité associée aux prêts productifs destinés aux PME. Il faudrait en défiscaliser une partie car le particulier est trop pénalisé en l’état actuel.

ITespresso.fr : Les prêts inter-entreprises vont marcher sur vos plates-bandes, non ? C’est déjà le début de la fin des intermédiaires du crowdlending ?

Tristan Grué : Oui et non. Peu d’entreprises sont vraiment équipées pour prêter. Elles ne disposent pas de l’infrastructure nécessaire pour l’analyse crédit. Nous pourrions faire de la marque blanche ou faire des partenariats dans ce sens. Nous discutons avec des grands groupes français dans ce sens

(1) Plus précisément, S-Money est une filiale du groupe Banque Populaire Caisse d’Epargne. Cet Établissement de Monnaie Électronique agréé permet d’effectue les transactions (virements, prélèvements) et sécurise les fonds dans un compte de cantonnement ouvert auprès de Natixis (la branche banque de financement, de gestion et de services financiers du groupe BPCE). Quand un client ouvre et crédite un compte sur Bolden, l’argent est conservé dans ce compte de cantonnement en attendant qu’il soit prêté (source : dossier de presse Bolden).

(2) Le 29 mars 2016, le ministre de l’économie a annoncé une série de mesures visant à favoriser le développement du secteur du financement participatif : relèvement des seuils de collecte, création de nouveaux titres financiers, possibilité pour les personnes morales de prêter à l’aide de bons de caisse spécifiques, les minibons (voir ordonnance).

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