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Interview Vincent Ricordeau (KissKissBankBank – Lendopolis) : le crowdfunding dans tous ses états

Vincent Ricordeau a monté un triptyque de trois plateformes crowdfunding : KissKissBankBank, HelloMerci et Lendopolis.

Cette dernière initiative a été lancée avec Groupe Les Echos et le Conseil Supérieur de l’Ordre des experts-comptables. C’est un nouveau levier de financement des TPE-PME.

Le cadre législatif du financement participatif étant désormais fixé, place à la pédagogie auprès des Français et des PME pour expliquer le potentiel de marché.

(Interview réalisée de visu le 4 février 2015 sur le Salon des Entrepreneurs de Paris)

ITespresso.fr : Comment avez-vous contribué à l’essor du crowdfunding en France ?

Vincent Ricordeau : Nous avons lancé la plateforme KissKissBankBank en 2009. C’est une plateforme de dons contre dons dédiée aux métiers culturels ou innovants. On y finance des metteurs en scène, des musiciens, des designers de meubles ou d’objets connectés.

Le principe, c’est de donner 50 euros au créateur contre un bout de son projet. Nous avons engrangé 26 millions d’euros sur cette plateforme. Nous sommes leaders français et européens et troisième au niveau mondial derrière les gros acteurs américains que sont Kickstarter et Indiegogo.

Progressivement, nous avons reçu des projets qui entraient davantage dans une configuration de micro-entreprises. D’où la création de la plateforme de prêts solidaires Hellomerci capée à 10 000 euros. Le principe : on prête à sa voisine 500 euros pour qu’elle monte sa crèche et elle décidera de les rendre sur 12 mois. C’est de la micro-finance de proximité.

Ensuite, on s’est intéressé à l’économie traditionnelle. Les PME sont mal financées en France et il y avait de la place pour le crowdfunding. Le cadre légal est instauré depuis peu. Nous avons obtenu l’ouverture du monopole bancaire en octobre 2014.

Dans la foulée, nous avons sorti fin novembre une troisième plateforme : Lendopolis. Les particuliers deviennent prêteurs et investisseurs dans des PME qui ont plus de deux ans d’existence pour un montant de 20 à 1000 euros avec un rendement de 5 à 12% par an.

ITespresso.fr : Comment se distinguer vis-à-vis de Prêt d’Union par exemple ?

Vincent Ricordeau : Prêt d’Union est un modèle de prêts entre particuliers pour financer l’achat d’un écran plasma ou un voyage. De notre côté, c’est la créativité artistique et la micro-entreprise qui nous intéressent via KissKissBankBank et HelloMerci.

Face à Lendopolis, nous avons FinSquare, Unilend (qui travaille sur les bons de caisse et donc dans un autre cadre règlementaire) et SmartAngels en partie.

D’autre part, des fonds solides vont arriver dans ce monde-là en montant leurs propres plateformes comme 123Venture et Partech (Lendix) ou Truffle (via Crédit.fr).

A priori, 25 porteurs de projets ont déposé un dossier en vue de l’attribution de la licence IFP (intermédiaire en financement participatif). Je parie qu’une quinzaine d’entre eux vont la décrocher.

ITespresso.fr : Dans le cadre du salon des Entrepreneurs, vous avez sorti un sondage sur l’appréhension du crowdfunding par les Français et les entrepreneurs. Est-ce clair dans leur esprit ?

Vincent Ricordeau : La notoriété est en train d’exploser mais les gens confondent tout. Ne serait-ce que le positionnement des plateformes de financement participatif…L’idée d’avoir la capacité de soutenir financièrement des projets jugés intéressant est ancrée dans l’esprit. Mais, dans les cas cas où l’on prête de l’argent, il y a encore énormément de pédagogie à faire. C’est logique : nous sommes présents que depuis 5 ans. Difficile de parler de maturité.

Forbes estimait que le marché allait atteindre 1000 milliards de dollars à l’horizon 2020 dans le monde. En France, à cette échéance, il sera évalué à 2 ou 3 milliards. Dans le sondage monté dans le cadre du salon des Entrepreneurs, le potentiel d’investissement qui pourrait descendre sur ces plateformes de financement participatif est situé entre 16 et 75 milliards d’euros. Même s’il faut reconnaître les limites de l’exercice car il s’agit de déclaratifs.

Mais c’est un bon départ : la France est très en retard sur les Etats-Unis mais très en avance sur le reste du monde. En Europe, en matière de dons contre dons, les deux leaders sont français : KissKissBankBank et Ulule (30 millions d’euros collectés en cumul). La première plateforme allemande [StartNext] en a récolté 10 millions. La plus grosse plateforme britannique [CrowdFunder] doit se situer entre 5 et 6 millions de pounds.

ITespresso.fr : Quel est le premier bilan de Lendopolis lancé fin 2014 ?

Vincent Ricordeau : On a déjà collecté 600 000 euros à travers la plateforme. On a récolté ce montant en deux mois alors qu’il a fallu 24 mois pour parvenir à ce niveau avec KissKissBankBank. Le démarrage est fort. On a reçu 650 dossiers. Nous en avons mis une quinzaine en ligne et nous en avons quinze autres en réserve.

La difficulté que l’on perçoit principalement, c’est que l’on reçoit majoritairement des dossiers de boîtes en difficulté. Ce n’est pas notre cible : ce sont les PME en phase de croissance.

Je pense que le don contre don a pris toute la place médiatique en France. Les chefs d’entreprise doivent comprendre qu’avec Lendopolis, la dimension dons contre dons n’est pas notre approche du marché. On va y aller doucement mais sûrement pour expliquer et avancer. Ne serait-ce que pour rassurer ceux qui prêtent de l’argent.

ITespresso.fr : Comment les groupes bancaires perçoivent le financement participatif ?

Vincent Ricordeau : Historiquement, avec KissKissBankBank, on a un partenariat avec La Banque Postale. Elle investit dans des projets présentés sur la plateforme et elle en parle dans ses réseaux sociaux.

Sur la partie business, je crois que l’on pointe une carence des banques et ce n’est pas très agréable pour elles.

Mais, en même temps, on ne marche pas sur leurs plates-bandes non plus. Mais leur attitude risque de changer lorsque l’on va brasser des milliards.

ITespresso.fr : Parmi les acteurs du financement des start-up, les sociétés de capital-risque vont-elles aller à la rencontre des plateformes de crowdfunding ?

Vincent Ricordeau : Je pense que, nativement, les plateformes de crowdfunding sont les outils de business angels. Les réseaux dédiés sont en train de monter des accords dans ce sens. Sans exception.

Du point de vue des capitaux-risqueurs, le crowdfunding est davantage perçu comme un outil de « scouting » (détection). Pour certains projets sur lesquels les VC hésitent à prendre position, ils re-dirigent vers les plateformes de crowdfunding pour voir l’accueil.

ITespresso.fr : Au niveau européen, se dirige-t-on vers un marché unifié du crowdfunding ?

Vincent Ricordeau : Les dispositions (juridiques, règlementaires et fiscales) sont différentes en fonction des pays. Nous travaillons sur ces points avec la Commission européenne à travers l’association European Crowdfunding Network pour lisser tout cela. L’objectif est d’être compétitif vis-à-vis des grands acteurs américains.

Avec KissKissBankBank, nous nous sommes lancés en même temps que Kickstarter en 2009. On voit la différence : nous avons collecté 26 millions d’euros tandis que la plateforme américaine en a cumulé 1,2 milliard. Sur un marché unifié certes. Même en prenant en compte l’ensemble des plateformes de dons contre dons en Europe, on arrive à 60 millions d’euros. C’est 30 ou 40 fois plus petit. Parce que nous sommes tous enfermés derrière nos frontières respectives.

C’est dommage que le nouveau commissaire européen au Numérique [Günther Oettinger] n’évoque pas le sujet dans ses priorités. Alors qu’en France, Emmanuel Macron [ministre de l’Economie] et Axelle Lemaire [secrétaire d’Etat au Numérique] n’hésitent pas à en faire la promotion. Auparavant, Fleur Pellerin, ex-ministre délégué en charge du Numérique, s’était vraiment impliquée pour faire émerger le crowdfunding en France.

(photo : Page Facebook Lendopolis : le P-DG Vincent Ricordeau à droite sur la photo accueille le ministre de l’Economie Emmanuel Macron au stand de la plateforme de financement participatif pour les PME)

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