Difficile de trouver un ambassadeur plus loquace pour promouvoir le très haut débit. Jean-Michel Billaut reste l’un des plus ardents défenseurs d’un déploiement en fibre optique pour couvrir la France, voire l’Europe, afin d’entrer réellement dans la société de l’information. Une utopie ? Il suffit juste d’une réelle impulsion politique, répond l’intéressé. Jean-Michel Billaut a un don d’ubiquité dans le monde des nouvelles technologies car son parcours professionnel est dense. Notons qu’il a fondé la cellule de veille technologique L’Atelier du groupe BNP-Paribas et qu’il est conseiller auprès de la ville de Pau pour le développement de son réseau en fibre optique. Sur son blog bien alimenté (je vous invite à découvrir ses premiers pas dans la « vidéoblogsphère »), cet expert des TIC revient sur l’avancée de la fibre optique en France. Un secteur qui bouge beaucoup ces temps-ci. (Interview réalisée le 22 décembre 2005)
Vnunet.fr :Vous avez souvent préconisé le 100 Mbit/s pour tous les Français. Estimez-vous que le gouvernement, qui a commandé un rapport sur l’utra haut débit, étudie sérieusement cette option ?
Jean-Michel Billaut: C’est une vision de la société française qui reste à dessiner. Mais existe-il réellement une volonté politique en France pour que notre pays devienne l’un des premiers pays à basculer et à s’impliquer réellement dans la société de l’information ? Nous avons des atouts colossaux à portée de main dans l’industrie du contenu à très haut débit : vulgarisation de la 3D, haute définition, e-santé… Mais, pour les exploiter, cela nécessite au préalable l’élaboration d’un véritable plan stratégique de fibre optique. J’ai eu l’occasion d’évoquer le sujet avec François Loos, ministre de l’Industrie, qui était passé en février à l’ambassade de France à Tokyo où je me trouvais. Je pense qu’il devrait prochainement se rendre à Pau pour voir ce qui se passe. Je vous rappelle que d’ici 2010, la moitié des Japonais disposeront d’une connexion fibre à domicile avec 1 Gbit/s de débit théorique en voies montante et descendante. D’autre part, l’administration Bush pousse les opérateurs américains à étendre la fibre sur l’ensemble de leur territoire. Et ces derniers ne seront pas régulés (une condition pour qu’ils investissent).
Pour le moment, les principaux opérateurs gardent le cap sur les technologies xDSL?
Nous assistons à une course au surinvestissement dans les réseaux DSL. Va-t-on tirer jusqu’au bout la ficelle du réseau de cuivre de France Télécom qui est en train de se refaire une santé ? Si l’on additionnait tous les investissements ADSL 1, puis 2, puis 3, etc., je pense que l’installation d’une fibre coûterait moins cher. J’ai vu récemment qu’une société autrichienne proposait une technologie permettant d’enlever le fil du cuivre dans les fourreaux et de les remplacer par de la fibre simplement en dénudant les extrémités.
A Pau, agglomération pionnière dans le déploiement de la fibre optique, on recense seulement 800 abonnés connectés. N’est-ce pas décevant ?
Paris ne s’est pas faite en un jour. Je pense que le cap du millier d’abonnés a été dépassé car il existe désormais plusieurs opérateurs locaux. Néanmoins, le projet ultra haut débit à Pau a pris deux ans de retard. On peut reprocher le manque de communication des élus de Pau en la matière. Cette affaire a certainement entraîné quelques conflits politiques locaux comme c’est souvent le cas dans notre pays entre la droite et la gauche. Et France Telecom a dû mettre de l’huile sur le feu. Mais il faut souligner le travail formidable réalisé par l’équipe de fonctionnaires territoriaux de Jean-Pierre Jambes, directeur technique du projet Pau Broadband Country, depuis trois ans. Sans eux, il n’y aurait jamais eu de PBC. Et ce projet a déjà généré quelques centaines d’emplois? Il faudrait maintenant qu’André Labarrère, le président de l’agglomération de Pau Pyrénées, le dise.
Il semble exister un décalage entre l’offre et la demande de débit. Même si l’on propose un cadre idéal pour l’ultra haut débit, les particuliers français hésitent à adopter ce type d’offre?
Manifestement, les Français adhèrent au haut débit. En gros, 50 % des foyers sont aujourd’hui connectés à l’Internet et de plus en plus en ADSL . D’ici 2010, le taux d’équipement devrait monter à 90 %. A part Pau, il n’y a pas d’offres de très très haut débit en France. Elle arrive. Avec Cité Fibre par exemple à Paris?
Mais il est vrai qu’en matière d’engouement vis-à-vis de l’ultra haut débit, et malgré un niveau de tarifs quasiment similaire entre les offres de fibre et les formules ADSL, les Français ne se ruent pas sur ce type d’offre et se contentent de l’ADSL. La raison en est simple : personne ne leur propose autre chose. Ils sont aujourd’hui moins friands que les Néerlandais par exemple. Amsterdam est partie sur les traces de Pau et va déployer entre 40 000 et 50 000 prises optiques. Une petite ville du sud-est des PAys-Bas du nom de Nuenen a créé une coopérative de télécommunication. Signe de leur état d’esprit très orienté Internet. Mais les Français s’y mettent?
Les principaux FAI vont-ils intégrer la fibre dans leurs stratégies ?
C’est inévitable, mais je ne sais pas quand. Je suis persuadé que Xavier Niel [cofondateur et actionnaire majoritaire du groupe Iliad/Free, NDLR] étudie le sujet avec attention. L’initiative de CitéFibre à Paris autour de la fibre optique doit le titiller. Elle doit même troubler l’ensemble des fournisseurs d’accès Internet. Mais je m’oppose au développement de réseaux d’infrastructures privés. Ils doivent entrer dans la sphère publique. Mais bon, comme l’Etat français n’a plus d’argent, on se retrouve le bec dans l’eau.
Les câblo-opérateurs vont proposer rapidement des offres à 100 Mbit/s. Est-ce perturbant pour l’ensemble du marché de l’accès ?
Tout dépend de la manière dont ils vont packager leurs offres. Sont-ils prêts à lancer des investissements lourds pour adapter leurs réseaux à la fibre optique à domicile ? Je vous rappelle que Noos ? qui a un réseau câblé traditionnel à Pau – est absent de PBC malgré la possibilité de raccorder son réseau sur la plate-forme ultra haut débit local.
France Télécom va-t-il également freiner les développements de la fibre, comme on a pu l’observer dans le cas de l’ADSL ?
Lors des dernières assises télécoms de l’Idate en novembre, Didier Lombard, PDG de France Télécom, a déclaré qu’il était prêt à investir dans la fibre à condition de ne pas être régulé. On peut craindre qu’il mette des bâtons dans les roues aux opérateurs alternatifs.
Le déploiement de la fibre sur l’ensemble de la France est-il un bon argument pour la prochaine campagne présidentielle ?
Je l’ai déjà dit sur mon blog. Le département des Hauts-de-Seine, où Nicolas Sarkozy siège en qualité de président du Conseil général, a décidé de déployer la fibre optique sur l’ensemble du département. Peut-être proposera-t-il la même chose au niveau national lors de la prochaine course présidentielle. J’ai déjà écrit des lettres à la présidence de la République et à Nicolas Sarkozy dans ce sens. Mais je n’ai jamais obtenu de réponses. Les instances de décision de l’Union européenne devraient également prendre en main ce sujet stratégique pour notre avenir. On peut estimer qu’une connexion fibre par habitant représente un investissement de 1 200 euros en moyenne. Le montant devrait être moins élevé pour les zones rurales puisqu’il suffirait de mettre les fourreaux sur les poteaux électriques qui appartiennent aux collectivités locales.
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