Emballement passager ou lame de fond dans l’univers du crowdfunding ? En l’état actuel, on perçoit une certaine effervescence autour du lancement des activités de Kickstarter en France.
La plate-forme américaine de financement participatif a fait salle comble ce jeudi dans les locaux parisiens de TheFamily, pour sa deuxième soirée dans la capitale au contact des porteurs de projets qui feront peut-être appel à ses services à compter du 27 mai.
Et certains semblent décidés à franchir le pas. Tandis qu’un entrepreneur basé à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) nous confie « On voulait se financer sur KissKissBankBank, puis on a changé d’avis », son associé nous précise : « On avait des investisseurs potentiels, mais pas l’envie de diluer notre capital ».
Lever ainsi des fonds en se tournant vers les internautes ou privilégier les circuits traditionnels ? Dans le premier cas, solliciter une plate-forme française ou miser sur la visibilité d’un concurrent à dimension internationale ? Autant de problématiques que l’on retrouve dans le discours de nombreux « makers » venus assister à la présentation de Kickstarter.
Ceux qui décident de tenter l’aventure sur la plate-forme américaine doivent s’établir juridiquement dans l’un des 11 pays où elle propose ses services (l’Allemagne étant pour le moment le dernier ajout sur la liste, depuis le mois de mars).
C’est ce qu’avait fait l’entrepreneur français à l’origine de Prynt – appareil photo instantané pour iPhone, financé à 1,5 million de dollars – en s’installant à San Francisco.
Cette barrière sera levée à partir du 27 mai. Mais les résidents français qui lanceront des campagnes ne seront pas pour autant en contact avec une équipe Kickstarter locale.
C’est Axelle Tessandier qui gérera les relations depuis la Silicon Valley. Par le biais de sa société AXL Agency, cette experte du numérique accompagne déjà des structures françaises comme l’institut Fabernovel et la start-up My Little Paris.
« L’ouverture en France a demandé des investissements considérables », assure Axelle Tessandier. Mais à distance. Le principal enjeu a été de traduire l’ensemble du site, sans toutefois lancer de version dédiée : les campagnes lancées depuis l’Hexagone seront visibles par toute la communauté Kickstarter.
D’où l’intérêt, pour les créateurs, d’exploiter l’outil de sous-titrage mis à leur disposition pour agrémenter la vidéo de présentation de leur projet. Un point sur lequel insiste Chris Beck.
Ayant étudié à Paris, ce membre de l’équipe Integrity (chargée de vérifier la conformité des projets vis-à-vis des règles de la plate-forme) aura été l’un des artisans de la localisation du service dans la langue de Molière. Il était d’ailleurs présent ce jeudi aux côtés d’Axelle Tessandier pour fournir quelques conseils à l’auditoire.
Mais aussi des statistiques. Suffisamment pour refléter l’importance stratégique du marché français pour Kickstarter, quand bien même aucun partenariat n’a été noué pour accompagner cette incursion.
Si la plupart des 3,3 millions de « backers » enregistrés en 2014 sont situés aux États-Unis, ils sont tout de même un peu plus de 41 000 à avoir soutenu au moins un projet depuis la France, pour un investissement global dépassant les 7 millions d’euros.
A 25 euros, le ticket moyen d’investissement est bien plus faible que dans le cadre des opérations de financement participatif par prêt ou émission d’actions/obligations. C’est la nature même du crowdfunding basé sur le don avec contrepartie : le nombre fait la force.
Si bien que la dimension « réseau social » prônée par Kickstarter prend tout son sens. « Les commentaires, les actualités du projet, les liens vers pages Web et profils Facebook… Abusez-en », affirme Chris Beck, tout en reconnaissant que les sommes collectées restent « inférieures à 9000 dollars dans 60 % des cas ».
Mais qu’est-ce exactement qu’un projet ? Le règlement a bien évolué depuis l’ouverture de Kickstarter en 2009. Il est aujourd’hui synthétisé en trois points majeurs. Premièrement, avoir pour but la création d’une œuvre ou la fabrication d’un produit à portée collective. Deuxièmement, être conçu avec honnêteté et présenté de façon claire. Enfin, ne pas être de nature caritative et ne pas offrir de contreparties financières (plus de détails ici).
Ces critères sont au cœur de l’évaluation réalisée par l’équipe Integrity, qui a par ailleurs la possibilité de mettre en avant ses « coups de cœur » (« Staff Picks »). Sa compétence d’assistance auprès des porteurs de projets est cependant limitée… d’un point de vue juridique.
« Nous ne sommes pas légalement habilités à donner des conseils fiscaux », reconnaît Axelle Tessandier lorsqu’on l’interroge sur des problématiques que Chris Beck préfère pour sa part éclipser : comment gérer les taux de change étant donné que les fonds collectés sont traités aux États-Unis* ? Qu’en est-il des taxes liées aux livraisons vers l’international ? Et l’assujettissement à la TVA ainsi qu’à l’impôt sur les sociétés ?
« Il faut y penser en fixant l’objectif de financement », reconnaît Chris Beck. Il est secondé par Axelle Tessandier, qui s’emploie à détendre l’atmosphère : « Ce ne sont pas des problèmes ; que des challenges ».
Mais la boîte de Pandore est ouverte : la tension est montée d’un cran. Lorsque nous reformulons la question en deuxième partie de soirée tout en évoquant, au passage, les jonctions entre crowdfunding et capital-risque, nous sentons comme un malaise dans l’assistance. « C’est un événement réservé aux makers », nous glisse-t-on d’ailleurs en nous communiquant l’adresse e-mail d’un avocat que l’on nous dit « spécialisé dans le financement participatif ».
On en restera donc aux espoirs nourris par Axelle Tessandier concernant le public féminin. « Pour le moment, les deux tiers des investisseurs sont des hommes, car les geeks sont allés plus vite à l’usage. Mais cela devrait rapidement se rééquilibrer avec nos nouvelles catégories [danse, mode, design, artisanat, gastronomie, etc., ndlr] ».
* Kickstarter prélève 5 % de commission sur chaque levée de fonds réussie. Il faut y ajouter la part des intermédiaires, qui « varie de 3 % à 5 % selon les marchés », d’après Kickstarter.
Kickstarter en chiffres |
– Une campagne peut durer jusqu’à 60 jours. Les meilleurs résultats sont obtenus sur les collectes de 30 jours.- Le mois d’août est le plus lucratif pour les porteurs de projets. Suit la période des fêtes de fin d’année.- On proposera idéalement de 5 à 7 récompenses par projet, en sachant que le niveau à 100 euros est celui qui rapporte généralement le plus d’argent.- Les projets qui atteignent 20 % de leur objectif sont financés intégralement dans 4 cas sur 5. Il en va de même pour les 3/4 des projets qui rassemblent au moins 25 contributeurs.- Plus de 85 000 projets ont été intégralement financés (taux de réussite : 38 %), réunissant un total de 1,726 milliard de dollars auprès de 8,65 millions de contributeurs. |
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