La chasse aux pirates s’intensifie
Après AOL, c’est au tour de Free d’adresser un courrier d’avertissement à l’un de ses abonnés suite à des téléchargements illégaux. Le plaignant a été cette fois identifié : il s’agit de l’industrie du jeu vidéo, via une association d’éditeurs.
AOL n’est pas le seul fournisseur d’accès (FAI) en France à adresser des courriers d’avertissement à ses abonnés concernant l’utilisation illégale de son service (voir édition du 26 février 2003). Free aussi, comme le révèle une lettre envoyée à un abonné et publiée sur le site Presence PC. Le FAI s’adresse ainsi à l’utilisateur incriminé : « Nous vous rappelons que l’utilisation de nos services est soumise à conditions. Le non-respect de ces dernières peuvent entraîner le blocage de tous vos accès internet. Nous vous demandons donc de retirer les fichiers dont vous ne possédez pas les droits d’exploitation et prendre les mesures nécessaires afin de mettre un terme à ces activités. ». Utilitaires, outils de production, jeux, une trentaine de logiciels en tout genre sont ensuite listés. Ils auraient été téléchargés via eDonkey, un logiciel de partage de fichiers de type peer-to-peer (P2P).
La lettre de Free est en fait un transfert vers l’abonné d’un courrier adressé au FAI par l’IDSA (Interactive Digital Software Association), une association américaine de lutte contre le piratage de jeux vidéo qui regroupe les principaux éditeurs (Infogrames, Nintendo, Vivendi Universal Games, Electronic Arts, Eidos, Sega, Microsoft, etc.). Cette association a donc repéré l’internaute indélicat via son adresse IP avant de s’adresser à Free. Lequel s’est contenté d’en informer l’abonné. Une affaire qui semble contredire les propos que Michaël Boukobza, directeur général adjoint de Free, tenait récemment à l’occasion d’un chat organisé par notre confrère le Journal du Net où il déclarait notamment que « Free n’a pas l’intention de limiter quoi que ce soit et n’a pas à juger l’usage ou le type de trafic de [ses] abonnés » (voir édition du 20 février 2003).
Une obligation d’agir
Une contradiction que réfute Michaël Boukobza. « La pertinence et l’usage du réseau qu’en font les abonnés ne nous regardent pas », se défend-il, « néanmoins la loi autorise la notification par un tiers à un FAI et, à ce titre, nous avons une obligation d’agir promptement et de prévenir l’abonné. » A lui d’estimer ensuite si la demande du plaignant est conforme ou justifiée. Free ne fournit au plaignant aucun élément sur l’identité de l’abonné. « Nous ne levons le voile de l’anonymat que sur décision d’un juge », rappelle le porte-parole du FAI. Pour obtenir l’identité du pirate, l’IDSA devra donc porter l’affaire devant un tribunal français qui pourra, si la plainte est jugée recevable, ordonner à Free de fournir l’identité de l’utilisateur mis en cause. « Et, dans ce type d’affaire, la plainte sera recevable », assure Michaël Boukobza.
Reste à savoir si l’usage de l’adresse IP est légalement exploitable, en France, en tant que donnée personnelle. « Absolument », estime le porte-parole de Free. Et de prendre l’exemple du harcèlement téléphonique à partir d’un numéro en liste rouge. « Si j’ai les moyens de connaître le numéro de téléphone d’une personne qui me harcèle, j’ai le droit de communiquer cette donnée, pourtant personnelle, à la police. » Si la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) interdit l’exploitation d’une donnée personnelle dans un cadre commercial non déclaré, elle admet son utilisation dans un cadre judiciaire. « La police judiciaire pourra, en cas d’infraction et d’enquête, avoir accès aux données en cause », peut-on lire dans son 22e Rapport d’activité 2001 à propos de l’obligation faite aux FAI de conserver les données de connexion. Voilà qui donnera à réfléchir aux adeptes du peer-to-peer.
L’industrie des jeux vidéo en première ligne
Alors que l’industrie musicale, en Europe comme aux Etats-Unis, proteste vigoureusement contre ces réseaux d’échange de fichiers numériques, il semble que ce soit l’industrie du jeu vidéo qui décide de frapper la première. Même si AOL n’a pas révélé publiquement l’identité des plaignants, les fichiers mis en cause étaient déjà des titres de jeux vidéo. Remarquons d’ailleurs la différence de traitement entre les deux FAI : là où AOL adresse une lettre recommandée à l’abonné en lui notifiant qu’il tient à sa disposition les coordonnées du plaignant, Free transfère directement l’e-mail du contestataire vers son client et lui révèle donc son identité. Remarquons aussi que les plaintes semblent provenir exclusivement des Etats-Unis.
Il serait étonnant que Free et AOL soient les seuls concernés par cette « chasse aux pirates ». Mais le haut débit étant le nouveau cheval de bataille commercial des FAI, ces derniers préfèrent vanter les capacités de téléchargement intensif plutôt que les risques encourus… tout en relayant les plaintes. C’est probablement ce que l’association des fournisseurs d’accès français (AFA) appelle la « sensibilisation des internautes » au respect de la propriété intellectuelle.