La question de la responsabilité des hébergeurs de sites continue de faire des vagues. Après ses démêlés avec la justice pour la présence de photos d’Estelle Halliday dénudée, Valentin Lacambre, fondateur de l’hébergeur Altern.org, a été récemment condamné à payer 300 000 francs de dommages pour l’hébergement d’un site sadomasochiste reprenant des images et la phrase « c’est trop injuste » du dessin animé Caliméro. Sur les pages d’Altern.org, on lit que l’auteur du site a été identifié et condamné à une amende du même montant. Valentin Lacambre, à qui la justice interdit désormais d’utiliser l’expression « c’est trop injuste », prévoit de faire appel pour rejeter l’intégralité de la responsabilité vers l’internaute fautif.
L’affaire prend d’autant plus de relief que l’Assemblée Nationale vient d’adopter en seconde lecture un texte sur la liberté de communication. Ce texte risque, entre autres, d’obliger les internautes français à afficher leur identité sur chacune de leur page Web, dans les forums de discussion ou lors d’une conversation en ligne. Attendue de longue date pour clarifier enfin la responsabilité des hébergeurs de sites, la loi pourrait dépasser de loin les dispositions que l’on attendait depuis l’affaire Lacambre.
Reprenant, en partie, l’esprit d’un amendement déposé par le député Bloche (voir édition du 19 mai 1999), le premier article stipule que les hébergeurs de sites et de services en ligne sont responsables des contenus jugés illicites s’ils ont participé à leur création ou leur modification. La responsabilité serait aussi avérée si « ayant eu connaissance du caractère illicite de ces contenus, ils n’ont pas fait toute diligence pour mettre en demeure leurs auteurs ou éditeurs de les retirer ou pour en rendre l’accès impossible.« . On s’y attendait déjà, même si certains regrettent le fait que le concept de « diligence » soit tout relatif. Mais une troisième disposition vient mettre le feu aux poudres à cause du flou et des différentes lectures qu’elle autorise.
Ainsi, l’article rend les hébergeurs responsables s’ils refusent de révéler l’identité des auteurs de contenus litigieux. L’article prévoit une peine de six mois d’emprisonnement et de 50 000 francs d’amende aux contrevenants. Cela implique pour l’ensemble des contenus diffusés sur le Web (sites personnels ou discussions en ligne, cela n’est pas précisé), que chacun devra décliner son identité lorsqu’il s’exprimera. De l’autre côté, les professionnels risquent de devoir mettre en oeuvre des moyens techniques hors de leur portée pour vérifier l’identité des internautes.
Lors de la création d’un site Web, l’utilisation actuelle d’un pseudonyme représenterait davantage une voie légale et sage. C’est du moins l’avis de François Le Tocquin, porte-parole de l’Association des fournisseurs d’accès et de services Internet (AFA). « La chaîne de l’Internet permet de retrouver un internaute. En cas de litige, les adresses IP permettent de remonter vers un fournisseur d’accès qui possède les coordonnées postales, bancaires ou le numéro de téléphone appelant », estime le responsable. Une démarche des plus aléatoires en ce qui concerne les fournisseurs d’accès gratuits.
Certains hébergeurs abritent des dizaines de milliers de sites personnels. Incapables de valider l’identité des utilisateurs, ils pourraient subir une vague de procès qui signifierait la fermeture de leur service, si le texte était adopté en l’état. Les professionnels ne manquent pas d’évoquer la menace d’une fuite des pages Web vers des serveurs étrangers, sans parler d’arrêt total de leur activité. Du côté des internautes, en interdisant de dissimuler son identité, le texte menace la liberté d’expression de tous les individus dont le discours fâche.
Le texte devrait être relu par le Sénat dans les prochaines semaines, et l’on craint à l’AFA qu’il ne durcisse en inscrivant noir sur blanc l’obligation systématique de vérifier l’identité des internautes.
Pour en savoir plus :
* Le texte de loi sur le site de l’Assemblée Nationale
* Le Sénat
* L’AFA
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