La Poste établit une connexion IoT via l’ACSEL
La Poste monte sur la thématique Internet des objets au sein de l’ACSEL. Tour d’horizon des pistes de réflexion.
La Poste est formelle : avec le développement de l’Internet des objets (IoT), elle a l’occasion d’affirmer son positionnement de tiers de confiance auprès des Français.
Le groupe postal a réaffirmé ses ambitions ce jeudi à l’occasion d’une réunion organisée par l’ACSEL.
Cette association, qui se donne pour mission d’accompagner la transformation digitale de l’économie française, vient de mettre sur pied une commission « Objets et Services connectés » coprésidée par Anne-Sophie Bordry et David de Amorim.
La première est fondatrice du think tank « Objets connectés et intelligents France ». Elle fut notamment directrice des affaires publiques France et Europe du Sud chez Facebook, mais aussi conseillère au secrétariat d’État au Développement de l’économie numérique.
Son associé n’est autre que le directeur de l’innovation de Docapost. La filiale du groupe postal spécialisée dans les services numériques (dématérialisation, échange de données sécurisé, archivage électronique, gestion d’identités, etc.) trouve là un point d’ancrage supplémentaire dans l’écosystème IoT.
Avec l’ACSEL, elle a opté pour une vision large, sous plusieurs prismes : utilisateur, fournisseur, entreprise, régulateur… autour d’une problématique : comment la France peut-elle exploiter le levier Internet des objets pour se réindustrialiser et devenir un acteur de poids face aux GAFA ?
Pour Anne-Sophie Bordry, il faut travailler sur la notion de champions européens, en s’appuyant sur des dispositifs comme le label Tech 40, lancé au printemps 2015 par Euronext pour distinguer les PME – ETI innovantes cotées sur les marchés couverts par sa filiale EnterNext (Amsterdam, Bruxelles, Lisbonne, Paris).
David de Amorim met plutôt l’accent sur les services et plus particulièrement sur le défi que représente leur « passage à l’échelle ».
C’est dans cette logique que Docapost a investi, aux côtés de 17 autres actionnaires parmi lesquels des mutuelles, des opérateurs télécoms (Orange, Bouygues) et un fonds privé d’amorçage, dans la Cité de l’objet connecté.
Imaginé par Éric Carreel (Withings, Sculpteo, Invoxia), le projet est issu de l’un des 34 chantiers de la Nouvelle France industrielle – du nom de ce programme dont la première phase avait été lancée en 2014 par Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif.
Gare aux GAFA ?
Au-delà de son rôle d’incubateur, ce lieu fédérateur de compétences basé à proximité d’Angers a vocation à faire le pont entre le bureau d’études et la production. En d’autres termes, à accompagner les entreprises dans l’industrialisation de leurs solutions.
L’heure est critique, à en croire Jérôme Colin. « Regardez comment Google et Amazon descendent dans le hardware : la France ne doit pas perdre sa place dans le monde physique comme cela s’est produit dans le numérique », résume le directeur « Innovation & Partenariats » d’Éolane.
Donnant l’exemple du CHU d’Angers, arrivé avec un cahier des charges minimal et qui a aujourd’hui un prototype fonctionnel de dentier connecté pour les patients souffrant de la maladie d’Alzheimer, il poursuit : « On ne le voit pas forcément, parce qu’on est encore essentiellement en mode PoC [preuve de concept, ndlr], mais il y a énormément de monde qui regarde le sujet ».
La Poste s’est préparée à la déferlante en lançant son « hub numérique », présenté comme une plate forme universelle et neutre permettant d’interconnecter des données issues de multiples objets « intelligents », tout en assurant leur accessibilité et leur portabilité.
Ce n’est qu’un pan d’un plan stratégique assorti d’un investissement d’un milliard d’euros pour monter en puissance dans le numérique, à l’heure où le volume de courrier est pressenti pour baisser de plus de 6 % par an entre 2016 et 2018.
La dimension open innovation est creusée entre autres à travers le programme French IoT, dont la deuxième édition a réuni BNP Paribas Real Estate, Malakoff Médéric, Boulanger et Derichebourg en tant que partenaires. Les 16 start-up lauréates ont remporté un ticket d’entrée à la « French IoT Academy », programme intensif d’accélération business.
Les codes de l’IoT
La Poste accorde une attention particulière à la santé. Elle qui héberge déjà 45 millions de dossiers médicaux en tant que prestataire agréé se donne pour objectif de décloisonner les acteurs et les pratiques du secteur, pour aller vers une médecine « préventive, personnalisée, participative et prédictive ». Ou comment la data permet d’individualiser le suivi des patients.
Directeur du développement e-santé pour La Poste, Jean-Marie Dunand résume : « L’idée est de créer des bouquets de services et de favoriser la constitution d’un écosystème ». Il donne l’exemple d’un foyer dont on centraliserait toutes les données en provenance de multiples objets connectés pour déterminer s’il est arrivé un accident domestique.
Reste à convaincre, dans ce schéma d’exploitation BtoC, le consommateur final. Sur ce point, notre confrère François Sorel dégage des axes d’amélioration : l’autonomie, le design (essentiellement à travers la miniaturisation)… et la simplification du fonctionnement. La technologie doit devenir « transparente » pour séduire ces 74 % de Français qui déclarent, selon l’ACSEL, ne pas avoir besoin d’objets connectés.
François Deprey est sur la même ligne : le développement technologique ne doit pas partir de l’objet, mais de l’usage.
Le directeur général de la branche française de GS1 – organisme mondial actif dans la normalisation des méthodes de codage utilisées sur la chaîne logistique – considère plus globalement que l’IoT est déjà une réalité, ne serait-ce qu’avec les codes à barres.
En la matière, il évoque la directive européenne 2011/62/UE, que toutes les entreprises de l’industrie pharmaceutique devront respecter en 2017 avec la mise en place d’un système de sérialisation qui devra permettre d’éviter l’introduction, dans la chaîne d’approvisionnement légale, de médicaments falsifiés.
La culture du choix
La Poste s’intéresse à cet aspect traçabilité, y compris en jonction avec la blockchain. Mais les espoirs fondés sur cette technologie de registre décentralisé s’arrêtent là en l’état, d’après David de Amorim.
L’intéressé insiste plutôt sur la capacité, pour les porteurs de projets, « à être multitechnologie et multifournisseur ». Notamment sur la sécurité, pour mutualiser les coûts, ainsi qu’au niveau du choix du réseau, qu’on aurait trop vite fait de résumer à un duel entre la solution propriétaire de Sigfox et une technologie LoRa qui joue l’ouverture.
Parmi les autres choix à faire, celui de l’interface pour la collecte et la visualisation des données : une API ? une plate-forme Web ? une application mobile dédiée ?
Anne-Sophie Bordry suggère par ailleurs de scruter les « relais naturels de l’IoT » que pourraient constituer des dispositifs tels que la reconnaissance vocale.
Changement social
Lionel Janin élargit la réflexion à l’intelligence artificiel comme « outil essentiel ».
Cet économiste de formation, chargé de mission numérique chez France Stratégie, perçoit un phénomène inverse à la « consumérisation » qui s’est produite avec les terminaux mobiles : « L’IoT va se développer dans des champs industriels qui s’étendront progressivement au public ».
Pour ce qui est des enjeux de sécurité, il estime important de « profiter des domaines où l’expertise est forte, comme le paiement et l’aéronautique ». Non sans aborder le concept du « privacy by design », que les fournisseurs sont souvent tentés d’éclipser pour abaisser les coûts de fabrication.
Une récente attaque DDoS contre OVH a montré qu’il fallait prendre au sérieux la protection des objets connectés. Les services de l’hébergeur ont été fortement perturbés par plus d’une centaine de milliers de caméras IP compromises envoyant des requêtes simultanément.
Lionel Janin émet aussi un avertissement sur le volet data. Dès lors qu’on mesure des choses qu’on ne savait pas mesurer auparavant, « cela met en tension des systèmes sociaux […] : il faut se demander quelles discriminations sont acceptables sur la base de traitements de données ».
Il poursuit, convaincu que l’usage fera changer les attitudes : « La durée d’une telle transformation est essentiellement un choix social », éventuellement fruit d’une concentration sur de grands principes plutôt que sur un cadre resserré…
(Crédit photo : ACSEL)