La responsabilité des hébergeurs reste floue

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Les députés ont adopté le 16 juin 2000 plusieurs modifications au projet de loi sur la liberté de communication. Critiqué pour son manque de précision, le texte laisse planer l’incertitude sur les devoirs en cas de litige pour les fournisseurs d’accès ou les hébergeurs de site.

Les contours de la loi sur la liberté de communication se précisent. Lors d’une nouvelle lecture à l’Assemblée Nationale, démarrée en soirée le 15 juin 2000, les députés ont apporté quelques modifications, notamment pour définir les devoirs et la responsabilité des fournisseurs d’accès et des hébergeurs de sites.

Le texte, dont on peut télécharger une copie sur le site de l’Assemblée, subit pourtant encore des critiques au parfum de vitriol. Au sein de l’association IRIS (« Imaginons un réseau Internet solidaire »), on condamne sans détour le flou sur la réponse que doivent apporter les hébergeurs dès qu’une plainte est déposée. « Cette mouture est liberticide et hypocrite », indique un communiqué de l’IRIS. L’association reproche au projet de loi de se contenter d’évoquer des « diligences appropriées » pour empêcher ou mettre fin à la publication de contenus litigieux. Le texte n’apporte pas davantage de précision, et il faut consulter les comptes-rendus de jugements précédents pour savoir de quoi il s’agit.

« Les termes de diligence renvoient à l’affaire Lacoste et celle de l’UEJF, face à Multimania », explique l’avocate Murielle-Isabelle Cahen, responsable du site Avocat Online. En effet, au terme du procès opposant l’Union des Etudiants Juifs de France (UEJF) à Multimania, après la découverte de pages Web pro-nazies, le tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre a conclu que l’hébergeur avait fait preuve de diligence en réagissant rapidement, en proportion de ses moyens. Point important, le concept de diligence implique aussi de surveiller les contenus pour devancer les plaintes, par exemple à l’aide d’un personnel dédié et de moteurs spécialisés. Le tribunal a d’ailleurs relativisé les choses : « …une recherche basée sur les mots les plus courants suggérés par l’UEJF tels : nazi – Hitler ? heil ? juif, débouche sur un répertoire de 12 000 pages environ dont la plus grande majorité est soit d’inspiration historique, soit inspirée par la lutte anti-raciste ». Difficile, dans ces conditions, de trier le bon grain de l’ivraie.

Un autre point faible de la loi réside dans l’article 43-6-2. On y lit que les organisations professionnelles sont responsables « si, ayant été saisies par un tiers estimant que le contenu qu’elles hébergent est illicite ou lui cause un préjudice, elles n’ont pas procédé aux diligences appropriées ». Cet extrait donne la possibilité à n’importe qui d’exiger la fermeture d’un site sans passer forcément par une autorité judiciaire. D’où le risque de voir les plaintes se multiplier, d’autant que les contenus litigieux sont parfois discrets. « S’il semble possible de repérer des termes pédophiles ou antisémites, il est plus difficile de détecter la contre-façon d’une marque. D’autant que ce n’est pas le métier des hébergeurs », poursuit Murielle-Isabelle Cahen.

A ces critiques, le député Patrick Bloche, à l’origine de la prise de conscience de la classe politique sur le sujet, apporte ses réponses. « Personne n’a présenté de solution satisfaisante pour définir ce qu’est une ‘diligence appropriée’. De toute façon, une liste exhaustive des actions à mener aurait été impossible à réaliser ». Concernant plus particulièrement les démarches que peut engager un particulier, il ajoute : « L’hébergeur est dégagé de sa responsabilité s’il joue son rôle d’intermédiaire entre le plaignant et l’éditeur ». Reste à déterminer les modes d’intermédiation : un simple courrier électronique suffira-t-il ?

Parmi d’autres critiques, l’association IRIS reproche au texte d’obliger les fournisseurs d’accès à obtenir l’identité des internautes… sans pour autant devoir la vérifier. L’anonymat reste donc possible. Sachant qu’une disposition existe déjà à l’intention des services de police, l’IRIS juge l’ajout « inutile ».

Le texte ne règle pas tout et fera appel à la sagesse des juges, qui continueront de se référer aux décisions des procès précédents. Selon l’IRIS, la loi sur la liberté de la communication devrait repasser devant le Sénat le 27 juin 2000, pour être enfin entérinée le lendemain en dernière lecture à l’Assemblée Nationale.

Pour en savoir plus :

* L’IRIS

* Le projet de loi (format pdf)

* Le jugement UEJF/Multimania

* Avocats online