La rumeur d’un rachat d’activité de Vivendi Universal (VU) par Apple, parue ce week-end dans le Los Angeles Times, a fait réagir plus d’un observateur et plus d’un analyste financier. Le quotidien de la côte Ouest affirme qu’Apple serait en pourparlers avancés avec le groupe français Vivendi Universal pour qu’il lui cède sa branche musicale, Universal Music Group. Les observateurs restent perplexes et les commentaires négatifs pleuvent, arguant de la faiblesse des synergies entre Apple et le marché de la musique, tout autant que de l’éloignement de la firme de son métier de base, à savoir le logiciel et le matériel Mac. S’il apparaît que Vivendi Universal est bien en quête d’un repreneur pour certaines de ses activités (le groupe voudrait céder 7 milliards d’euros d’actifs en 2003), sa stratégie de vente (d’un seul tenant ou par départements) reste toutefois peu prévisible. Le groupe pourrait maximiser ses cessions d’actifs s’il parvenait à vendre ses métiers morceau par morceau. Mais Vivendi Universal est également pressée par le temps : la rumeur veut qu’un plan de reprise par les cadres de l’entreprise ait échoué. Le groupe de Jean-René Fourtou aurait également approché Microsoft, selon le New York Post. Mais l’intérêt exprimé par le géant des logiciels paraît plutôt mou à l’aune de l’état d’avancement supposé des discussions avec Apple. Mais l’introduction de ce challenger est également destinée à éviter une vente à un prix trop bas. De son côté, Apple n’a procédé qu’à de « petites » acquisitions depuis 1996, la plus importante ayant été le rachat de NeXT Computer qui lui a permis de renouveler entièrement sa stratégie informatique en cinq ans. D’autres acquisitions, mineures, ont aidé Apple à se positionner de manière plus forte sur le marché des professionnels de l’audiovisuel. Le constructeur détient depuis peu une gamme étendue de solutions destinée à lui donner accès aux marchés juteux de la vidéo et de l’audio numérique. Reste que la rumeur d’acquisition paraît difficilement crédible : Apple, dont le PDG est pourtant bien connu pour être amateur de musique, ne connaît pas les subtilités de ce marché. Même Microsoft, qui a tâché de s’en rapprocher au sommet de la vague Internet, ne s’y est finalement pas aventuré.
Un modèle de distribution musicale fonctionnel
Les intentions d’Apple demeurent mal comprises pour plusieurs raisons : la firme s’est mis à dos les professionnels du secteur à partir de 2001 en lançant une campagne de publicité intitulée « Rip, Mix, Burn » qui a connu un certain succès, en raison du double sens donné à « Rip ». Si le terme signifie « importer rapidement » (transformer d’un format CD à un format numérique MP3), il veut également dire « voler ». Apple a toutefois toujours mis en avant sa politique de responsabilisation de l’utilisateur. Le lancement de son logiciel de gestion de discothèque iTunes et de son lecteur MP3 iPod ont participé de la même stratégie. La firme pourrait par ailleurs lancer un service de vente en ligne de titres musicaux avec la participation des cinq majors dans les toutes prochaines semaines, en même temps qu’elle renouvellerait son iPod. Si les projets d’Apple dans le domaine de la musique restent occultés, le regain d’activité de la firme semble acquis. Ce dynamisme pourrait être le fruit de la formalisation du standard MP4 ou Mpeg-4 en décembre dernier (voir édition du 12 février 2003), de la finalisation d’outils de gestion de droits (voir édition du 24 février 2003) et de l’arrivée à maturité d’une solution d’achat de musique en ligne autour de One-click (achat en un clic) d’Amazon. Avec l’adoption rapide de la norme Rendezvous, Apple disposerait actuellement de l’ensemble des briques lui permettant de mettre en place un modèle de distribution musicale fonctionnel, opérationnel et rentable, donnant à ses ordinateurs une place centrale au milieu d’autres périphériques numériques et jetant les bases d’un renouvellement des industries informatique et électronique. La pierre angulaire de ce schéma fonctionnel serait bien sûr la norme MP4, à laquelle une extension de gestion de droits (DRM) pourrait permettre à un utilisateur de gérer sa discothèque (utiliser les morceaux de musique achetés tant sur son ordinateur que sur un CD gravé ou dans un baladeur) tout en restant dans la légalité. Real et Microsoft ont déjà intégré leurs solutions de DRM, mais tardent à les imposer en raison de leur incompatibilité et de leur complexité.
Si Apple a réussi le tour de force qu’on lui prête, elle pourrait faire s’écrouler les dernières barrières à la commercialisation massive de musique en ligne et relancer l’industrie du disque, qui estime avoir connu une baisse de 25 % de son chiffre d’affaires en raison du piratage depuis l’an 2000 (7 % de baisse en 2002). Mais Apple ne pourrait aboutir sans l’adoption rapide du format Mpeg-4. En faisant l’acquisition d’Universal Music, la firme peut accéder à 23 % du marché et accélérer sa conversion au nouveau modèle économique et technique. La participation des autres majors au service de ventes en ligne d’Apple n’est pas nécessairement remise en question par l’acquisition d’Universal Music tant l’initiative d’Apple pourrait relancer l’activité au sens large. Le plus intéressant, si cette rumeur s’avère, concerne les conséquences pour le marché de l’informatique : le Mpeg-4, pour le moment, n’a véritablement été adopté que par Real (voir édition du 11 décembre 2001) et Apple (voir édition du 6 juin 2002). Microsoft reste campé sur son format propriétaire Windows Media, qui emprunte pourtant à la norme basée initialement sur le format QuickTime d’Apple. L’engouement pour le MP4, s’il s’avérait massif, relancerait l’intérêt pour les plates-formes compatibles avec le standard. En maîtrisant le format du contenu, Apple entend donc bien relancer l’intérêt pour ses ordinateurs, qui intégreront les outils les plus efficaces pour acheter, télécharger et écouter la musique mise en ligne, même s’il y a fort à parier que le constructeur de Mac ne mettra pas de côté les utilisateurs de Windows, avec qui elle réalise plus de 50 % de ses ventes d’iPod !
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