Le W3C demande l’invalidation du brevet d’Eolas
Révision du code HTML, refonte d’Internet Explorer, modification inévitable de millions de pages Web… Le brevet d’Eolas sur l’exploitation des plug-ins dresse un avenir cauchemardesque du Web. La solution du W3C ? Le supprimer.
Comment échapper aux restrictions d’un brevet informatique quand on refuse d’en acquérir une licence ? Tout simplement en demandant l’invalidité de ce brevet. C’est ce que vient de faire le W3C, le consortium chargé de valider les standards du Web. Dans une lettre datée du 28 octobre 2003 et adressée à James E. Rogan, le sous-secrétaire américain chargé du Commerce et de la Propriété intellectuelle, le directeur du W3C, Tim Berners-Lee, demande rien de moins qu’un « reéxamen du brevet ‘906 afin d’empêcher de substantiels dommages économiques et techniques pour le bon fonctionnement du World Wide Web ». Le brevet en question, référencé n° 5.838.906, n’est autre que celui d’Eolas Technologies, une start-up qui a récemment obtenu la condamnation de Microsoft à lui verser plus de 500 millions de dollars de dommages et intérêts pour l’utilisation de son « invention » dans Internet Explorer (voir édition du 1er septembre 2003).
Un brevet sur les plug-ins
Rappelons que le brevet d’Eolas décrit une « méthode de distribution hypermédia pour invoquer une application externe permettant d’interagir avec des objets intégrés dans des documents hypermédias ». Autrement dit, Eolas revendique l’invention des plug-ins et technologies ActiveX qui enrichissent les navigateurs et les pages HTML de fichiers audio, vidéo, Flash, applets Java et autres formats multimédias. Fort de son brevet et de sa victoire judiciaire, Eolas espère faire plier l’éditeur de Windows avant de s’attaquer, éventuellement, aux autres éditeurs. On pense notamment à Macromedia, Apple, Adobe et RealNetworks, les principaux éditeurs de formats propriétaires (Flash, QuickTime, PDF, Real…) circulant sur la Toile. Microsoft, qui a fait appel du jugement, s’est orienté vers une refonte de son navigateur afin de ne plus être menacé par le brevet d’Eolas. En conséquence, le W3C prévoyait de modifier le code HTML (voir édition du 25 septembre 2003).
Seulement, l’implémentation aujourd’hui standardisée des modules additionnels pour les navigateurs rend difficile un éventuel retour en arrière. « Bien que la proposition de Microsoft de modifier [Internet Explorer] ne concerne qu’une petite partie du code du navigateur, cela rendrait des millions de pages Web et nombre de produits de développeurs indépendants incompatibles avec l’application de Microsoft », explique le président du W3C dans sa lettre. « Dans nombre de cas, ceux qui seront obligés de supporter les coûts liés à la modification de leur pages Web ne sont pas directement impliqués dans la violation du brevet (en considérant qu’il est valide) », poursuit-il. En résumé, le brevet d’Eolas remet en cause la standardisation du Web et, en conséquence, sa stabilité. Situation finalement inacceptable de la part du W3C puisque, au delà du tremblement de terre numérique en vue, cela pourrait remettre en cause son fonctionnement, voire sa crédibilité en tant qu’organisme de validation des technologies du Web.
Vice de procédure
Naturellement, le W3C ne se contente pas de ces considérations économiques et techniques, aussi importantes soient-elles, pour demander l’annulation de la validation du brevet d’Eolas. L’organisme de standardisation motive sa demande en mettant en avant une sorte de vice de procédure lors de la validation du brevet litigieux. Selon lui, la « recherche d’antériorité [d’inventions similaires, Ndlr] n’a été prise en compte ni au moment de l’examen du brevet, ni au cours du récent litige sur la violation du brevet ». Autrement dit, l’organisme gouvernemental d’enregistrement des brevets américains, l’US Patent and Trademark Office, n’aurait pas bien fait son travail. De même que les avocats de Microsoft lors du procès intenté par Eolas. Le W3C ajoute cependant que la seule différence qui caractérise le brevet d’Eolas avec celui d’un navigateur traditionnel tient dans le mode d’affichage du contenu hypermédia. A l’origine, les navigateurs lançaient une fenêtre indépendante pour effectuer la lecture d’un contenu multimédia alors qu’Eolas fait état d’une lecture intégrée à la page Web. Fonction intégrée que le W3C déclare avoir évoquée dans ses documents bien avant le brevet d’Eolas. Une situation qui ne peut qu’amener à constater l’invalidité du brevet ‘906, selon le W3C.
Naturellement, la refonte d’Internet Explorer et du HTML n’arrangerait ni les éditeurs d’applications, ni les auteurs de sites Web, et encore moins le W3C. Pas même Eolas dont les licences n’intéresseraient alors plus personne. Mais la demande du W3C amène à s’interroger sur sa démarche. Pourquoi, si ses arguments sont légitimes (notamment le fait qu’il avait déjà évoqué la possibilité d’intégrer les plug-ins dans les pages Web), le W3C a-t-il mis plus d’un mois pour s’en rendre compte, et ce après avoir mis en place un groupe de travail dédié ? En tout cas, le cas Eolas illustre parfaitement le problème que pose la brevetabilité des programmes informatiques que les Etats-Unis tentent pourtant, indirectement, d’imposer à l’Europe.