Ni l’opposition de la CEA-PME (Confédération européenne des associations de petites et moyennes entreprises), qui représente 500 000 entreprises en Europe, ni l’opinion publique massivement opposée, ni les multiples manifestations (dans la rue comme en ligne) et pétitions organisées par nombre d’associations promouvant les logiciels libres, ni les différentes études remettant en cause le bénéfice des brevets logiciels, ni la lettre de Linus Torvalds (voir édition du 23 septembre 2003) n’y ont fait. Par 361 voix, la directive européenne soutenue par la députée travailliste britannique Arlene McCarthy sur la « brevetabilité des inventions mises en oeuvres par ordinateur » a été adoptée ce mercredi 24 septembre 2003 au Parlement européen de Strasbourg. Seuls 157 députés se sont prononcés contre et 28 se sont abstenus.
Désormais adoptée, cette directive ne sera pas sans conséquence sur le secteur informatique européen. Si, pour les défenseurs du projet, le brevet logiciel est le seul moyen pour les entreprises européennes de lutter à armes égales avec leurs concurrentes américaines, les opposants estiment au contraire qu’elle est un frein à l’innovation. Un obstacle avant tout économique : le dépôt d’un brevet requiert des moyens financiers (certains évoquent la somme de 40 000 euros par brevet déposé) hors de portée de nombre de petites et moyennes entreprises européennes, notamment celles qui évoluent dans l’univers des logiciels libres.
30 000 brevets légalisés
Les opposants ajoutent que les brevets logiciels peuvent servir aux grandes entreprises à absorber et récupérer (voire tuer) la technologie d’une PME même si celle-ci est dans son droit dans l’exploitation de ses brevets. Une multinationale qui s’intéresse à telle PME pourrait l’attaquer en justice pour contrefaçon avec, dans l’esprit, l’idée de faire plier la petite entreprise sous le poids des frais de justice (on parle de 500 000 dollars, aux Etats-Unis, de frais de gestion du litige). Dans ce cas, le dépôt d’un brevet pour une PME s’assimile plus à une option de rachat qu’à un objectif d’exploitation commerciale. Surtout, la directive légalise les 30 000 brevets enregistrés de manière discutable par l’Office européen des brevets (OEB) et d’autres instances nationales qui, dès que la directive sera transposée dans les différents pays européens, s’empresseront probablement de faire la chasse aux « contrefacteurs ».
Certes, la directive votée comporte une série d’amendements visant à « préciser ce qui est brevetable et ce qui ne l’est pas, afin de limiter l’extension du champ de la brevetabilité, contrairement à ce qui se fait aux Etats-Unis ou au Japon », rappelle le communiqué du Parlement. Dans un souci de précision, les députés ont donc défini « une invention mise en oeuvre par ordinateur comme étant une invention au sens de la Convention européenne des brevets dont l’exécution implique l’utilisation d’un ordinateur ». Laquelle Convention déclare pourtant, dans son article 52, que les logiciels en tant que tels ne sont pas brevetables. Pour qu’ils le soient, les députés ont rappelé que la contribution technique qu’apporte un brevet « doit être nouvelle, non évidente et susceptible d’application industrielle ».
Des batailles juridiques en perspective
Ainsi, pour les députés, ne sont pas brevetables les logiciels « qui mettent en oeuvre des méthodes commerciales, des méthodes mathématiques ou d’autres méthodes si elles ne produisent pas d’effets techniques ». Des termes encore trop flous et facilement contournables pour les opposants à la directive, ce qui risque d’engendrer plus de batailles juridiques que techniques. L’affaire SCO, qui réclame 3 milliards de dollars à IBM pour violation de brevet sur le code source de Linux (voir notamment édition du 3 septembre 2003) ou encore le procès Microsoft, condamné à verser plus de 500 millions de dollars à Eolas pour violation de brevet sur les plug-ins (voir édition du 1er septembre 2003) sont révélateurs de la complexité du problème.
Avant d’être effective, la directive doit encore être adoptée par le Conseil de l’Europe. En cas de désaccord du Conseil, la directive repassera au Parlement. Aucune date d’étude par les membres du Conseil n’a encore été fixée. Les opposants ont donc encore un espoir, aussi minime soit-il, de remettre en cause la directive.
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