En votant, jeudi 8 janvier 2004, le texte sur la confiance dans l’économie numérique (LEN), les députés ont fait entrer Internet dans le droit français. Ce texte constitue notamment la première étape législative du plan RESO 2007 initié par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin (voir édition du 13 novembre 2002). La LEN, qui vise globalement à lutter contre la cybercriminalité et les publicités indésirables en ligne, a subi de nombreux amendement modifiant substantiellement le texte d’origine, défendu par la ministre déléguée à l’Industrie, Nicole Fontaine.
Un droit spécifique pour l’Internet
Sur proposition de Jean Dionis du Séjour, président de la Commission des affaires économiques, l’Assemblée a voté un amendement qui définit un droit de l’Internet autonome par rapport à la communication audiovisuelle. L’Internet était en effet jusqu’à présent associé au régime de l’audiovisuel, régi par la loi du 30 septembre 1986. Une loi propre au Réseau mondial faciliterait la lutte contre le piratage en ligne, selon le député à l’origine de l’amendement. Le gouvernement souhaitait pourtant conserver Internet dans le régime audiovisuel.
En offrant une autonomie juridique au Net, le législateur responsabilise un peu plus ses principaux acteurs, les hébergeurs. Ceux-ci devront surveiller et supprimer eux-mêmes tout contenu jugé illicite, comme ceux relatifs à la pédophilie et l’incitation à la haine raciale. En cas de non-respect de ces dispositions (qui s’ajoutent à l’obligation de fournir l’identité des auteurs de contenus litigieux), ils s’exposent à des poursuites judiciaires allant jusqu’à un an de prison et 15 000 euros d’amende. Si les fournisseurs d’accès ne sont pas épargnés, leurs obligations se limitent à des devoirs d’information. « Quel que soit le support, toute publicité et toute promotion de téléchargement de fichiers des fournisseurs d’accès à Internet doivent obligatoirement comporter une mention légale facilement identifiable et lisible rappelant que le piratage nuit à la création artistique », stipule un article de la loi. Cependant, le sous-amendement 213, proposé par Patrick Ollier, supprime la notion de correspondance privée dans le cadre de l’usage du courrier électronique. Une mesure prise pour ôter la protection dont bénéficieraient les internautes qui s’échangent des fichiers, musicaux notamment.
Une mesure « attentatoire à la liberté d’expression »
Des mesures « honteuses » et « délirantes » selon la ligue Odebi qui regroupe plusieurs associations d’utilisateurs du haut débit en France. « Le Net français devient la honte de l’Occident numérique », lit-on dans son communiqué. « La réalité objective, que nul politique ne peut contredire, est que la mesure de filtrage que le texte impose aux FAI a été rejetée par toutes les démocraties occidentales, et a été récemment explicitement décrite par l’Union européenne comme attentatoire à la liberté d’expression. Elle est dans le même temps attentatoire à la liberté d’information des Français. » Conséquence : Odebi appelle, comme promis précédemment (voir édition du 7 janvier 2003), au boycott des produits musicaux afin de frapper les intérêts économiques des industries musicales considérées comme à l’origine des mesures législatives qui frappent les prestataires techniques.
Côté commerce en ligne, le texte impose l’entière responsabilité aux vendeurs dans le cadre des relations commerciales avec les internautes, quels que soient les intermédiaires qui séparent les deux principaux protagonistes d’une transaction en ligne. Les contrats professionnels devraient cependant bénéficier de dérogations. La prospection directe non sollicitée (ou spamming), en ligne comme par téléphone et télécopie, est purement interdite. Mais pas les actions publicitaires dont les producteurs bénéficient du consentement préalable des destinataires. Les entreprises de marketing disposant de tels fichiers auront six mois pour obtenir le consentement des clients potentiels. Un silence de leur part vaudra comme un refus. Conséquence, la loi étend les compétences de la CNIL (Commission nationale informatique et liberté) chargée notamment de surveiller le bon déroulement de ces opérations.
Des pouvoirs limités pour l’ART
La LEN a également élargi son champ d’action à la notion de réseau. Sans surprise, les collectivités locales peuvent, sous certaines conditions, devenir opérateurs de réseaux locaux. Au grand dam de France Télécom (voir édition du 6 janvier 2003) qui se consolera largement avec des amendements de Patrick Ollier prévoyant de limiter les pouvoirs (consultatifs) de l’Autorité de régulation des télécoms (ART). Le pouvoir de l’Autorité se limitera aux seuls tarifs de base, et non plus de détail, de l’opérateur historique et n’aura plus qu’un contrôle a posteriori, sans pour autant pouvoir intervenir sur les tarifs des services jugés innovants. Un service comme la télévision par ADSL de France Télécom échapperait donc aux avis de l’ART. Une mesure qui a fait bondir Bruxelles : Mario Monti (commissaire chargé de la Concurrence) et Erkki Liikanen (Société de l’information) s’en sont inquiétés par courrier adressé à Francis Mer, ministre de l’Economie. Enfin, un amendement prévoit qu’à l’horizon 2010, les réseaux de communication, notamment à haut débit, devront être accessibles à l’ensemble de la population française.
Rappelons que la LEN transpose dans le droit français la directive européenne 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique. Ce texte plutôt fourre-tout doit repasser devant le Sénat en deuxième lecture au printemps.
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