Comment la délocalisation de prestations informatiques vers des pays où la main-d’oeuvre est moins chère qu’en France, pratique connue sous le nom d’offshore, va-t-elle redessiner le secteur français de la prestation de services ? Depuis le début de l’année, cette question se fait de plus en plus lancinante. Apparu après la première guerre du Golfe, l’offshore est resté jusqu’à ce jour marginal en France où il représente seulement quelques pour-cent des réalisations informatiques. Mais voilà qu’elle connaît, dans le climat actuel de crise, un incontestable regain d’intérêt. Des SSII françaises telles Cap Gemini Ernst & Young ou Valtech ont ainsi très clairement fait de la délocalisation, notamment en Inde, un axe stratégique de leur développement, et ce afin de rester compétitives (voir édition du 31 janvier 2003). Lors d’une conférence organisée par la chambre de commerce et d’industrie de Paris réunissant des prestataires indiens et des entreprises, Jean-Paul Eybert, délégué général adjoint du Syntec Informatique, organisation professionnelle représentant les SSII françaises, a posé la question : « L’offshore en Inde : menace ou opportunité ? » La réponse est évidemment : les deux. La disponibilité d’une main-d’oeuvre indienne qualifiée est une opportunité pour les SSII françaises en ceci qu’elle leur permet de maintenir leurs marges dans un contexte où les entreprises exercent une forte pression sur les prix. Mais c’est dans le même temps une menace car, pour les SSII indiennes, la France est un marché potentiel quasi vierge, contrairement au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, et beaucoup d’entre elles sont tentées de s’y implanter. Le représentant du Syntec Informatique les exhorte à respecter scrupuleusement la législation fiscale et sociale française de façon à ce que la concurrence soit loyale. Et de faire planer la menace d’une situation similaire à ce qui se passe dans le secteur du textile avec les ateliers clandestins?
Que reste-t-il aux SSII françaises ?
Mais la menace liée à l’émergence d’une concurrence indienne ne réside pas seulement dans l’apparition d’une offre bon marché pour des prestations informatiques banalisées, à faible valeur ajoutée. En vérité, de nombreuses SSII indiennes se sont imposées sur la scène internationale, garantissant à la fois des prix nettement inférieurs à ceux des françaises (de l’ordre de 35 %) et un niveau technique équivalent à leurs homologues occidentales. Elles sont ainsi déjà plus d’une dizaine à avoir un niveau 5 (le plus haut) de certification CMM (Capability Maturity Model) qui indique le degré de conformité de leurs pratiques de développement logiciel au modèle défini par le Software Engineering Institute de l’université de Carnegie Mellon, quand la France n’en compte qu’à peine cinq. Face à ces nouveaux compétiteurs avantageux et au top techniquement, se pose la question : que reste-t-il aux SSII françaises ? Quelles sont leurs armes pour rester dans la course ? Réponse : la proximité géographique et la connaissance du métier de leurs clients. L’intégration de systèmes nécessite en effet toute une phase préalable d’évaluation des besoins, d’élaboration des spécifications, qui ne peut être délocalisée. De même, le suivi et la recette d’un projet ne doivent être exécutés que sur site. En revanche, tout le reste, c’est-à-dire les tâches purement techniques, sont éligibles à une délocalisation, qu’il s’agisse de la tierce maintenance applicative, du développement de logiciels ou du paramétrage de progiciels…
La conséquence sur l’emploi s’en déduit aisément : les métiers strictement techniques, d’écriture de code par exemple, seront probablement moins recherchés à l’avenir. D’autant plus que prochainement, d’autres pays tels la Chine ou les pays de l’Est s’inviteront au festin. Reste à savoir comment les SSII vont intégrer cette nouvelle donne dans la gestion des carrières de leurs employés. La gestion des ressources humaines n’étant pas le point fort des SSII, les informaticiens français ont donc tout intérêt à prendre dès à présent la mesure de la situation et à prendre le bon virage. A moins d’envisager de s’expatrier en Inde…
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