La livraison du rapport sur les enjeux du numérique par Michel Rocard, commandée par Ségolène Royal, a été tardive. Mais ce document a le mérite de condenser les principales orientations qui servent de fondements pour les propositions de la candidate PS à l’élection présidentielle. Vincent Feltesse est l’un des principaux contributeurs et conseillers en matière de TIC auprès de Ségolène Royal. Un domaine qui lui tient à coeur en qualité de secrétaire national du Parti socialiste chargé des Nouvelles technologies.
Interview téléphonique réalisée le 30 avril 2007 (avec relecture des propos pour validation)
Vnunet.fr : Comment jaugez-vous la campagne électorale sous l’angle des nouvelles technologies ?
Vincent Feltesse : Il y a eu un effet paradoxal. On a beaucoup parlé du Net dans cette campagne, mais peu des politiques numériques. La Web campagne a cannibalisé les débats. Du côté de Ségolène Royal, il y a eu une volonté de reposer les fondamentaux, d’où la commande d’un rapport sur les enjeux du numérique à Michel Rocard.
Vnunet.fr : Ce débat de fonds est plus présent au second tour ?
Vincent Feltesse : Honnêtement, je ne pense pas que cela devienne un sujet central malgré l’actualité liée à la publication de décrets relatifs à la loi pour la Confiance dans l’économie numérique. De toute façon, pour que les discussions sur le numérique soit pertinentes, il faut éviter deux écueils principaux : la technophilie qui rend le débat inaudible pour beaucoup et l’incantation consensuelle. Il faut donc poser le débat de manière politique et non technique et se référer aux actes et aux intentions.
Vnunet.fr : Reprenons des points précis dans le domaine des TIC que vous défendez lors de cette campagne. Comment vulgariser l’accès Internet ?
Vincent Feltesse : Nous nous appuyons sur les objectifs assignés dans le rapport de Michel Rocard en termes d’accessibilité Internet haut débit – voire très haut débit – pour un foyer. Nous souhaitons passer d’une pénétration de 40% à 75% en un quinquennat.
Vnunet.fr : Vous poussez également l’idée d’une offre d’accès haut débit à moindre coût pour les foyers les plus défavorisés?
Vincent Feltesse : Nous préconisons la possibilité de deux offres : la première s’adressant à toutes les populations et singulièrement pour les plus fragiles avec une offre triple play à 5 euros par mois. La mise en oeuvre de ce dispositif pourrait aussi s’appuyer sur des offres déjà proposés par les opérateurs regroupant la fourniture d’un ordinateur et d’une connexion à haut débit. Un niveau cible de 15 à 20 euros par mois, tout compris, semble atteignable. Par ailleurs, nous prévoyons de doter chaque étudiant d’un ordinateur portable, bien sûr sous condition de ressources.
Vnunet.fr : Concrètement, comment comptez- vous instaurer ce principe de formules triple play ? Plus largement, comment comptez-vous favoriser le développement du très haut débit ?
Vincent Feltesse : Pour atteindre les objectifs, d’équipement, de connexion et d’accessibilité, il faut que l’Etat joue désormais son rôle de soutien à l’action locale et de garant de la solidarité entre les territoires et les populations. Il doit accompagner les collectivités locales qui sont les mieux placées pour conduire ces projets. Elles ont plusieurs leviers : donation, recyclage, location ou achats groupés d’ordinateurs, soutien aux étudiants boursier tarifs ADSL réduits pour les HLM?Pour cela, il faut que tout le monde tire dans le même sens, qu’Etat et régions arrêtent de se regarder en chiens de faïence. Les Contrats de projets auraient pu être un bon outil. Il faudra donc faire une conférence avec tous les acteurs, notamment les organismes HLM. En effet, le pacte présidentiel prévoit la construction de plusieurs centaines de milliers de logements? L’accès intégré à Internet devra être traité en amont. Plus largement, on peut même imaginer le recours législatif pour imposer la prise en compte de l’accès au Net dans tous les travaux publics. En septembre, des opérations concrètes seront mises en place en Poitou-Charentes.
Vnunet.fr : Nicolas Sarkozy prône l’idée d’une intégration du haut débit dans la liste des services publics universels comme le téléphone?Vous êtes sensible à cette proposition ?
Vincent Feltesse : Lorsqu’on cherche à définir aujourd’hui, à quoi correspond la notion de services publics, le haut débit apparaît clairement. Dans ce domaine, comme dans d’autres, il faut que les actes soient conformes aux paroles. M. Sarkozy est depuis cinq ans le numéro 2 d’un Gouvernement qui ne cesse de remettre en cause les services publics. Il faudra aussi définir comment nous financerons ces nouveaux services publics. Nous travaillons aujourd’hui à la définition de ce que nous nommons le dividende numérique: au regard des gains financiers générés par la croissance du secteur télécoms-TIC, comment peut-on les réaffecter avec un certain équilibre ? Nous prévoyons aussi la mise en place d’un fonds numérique qui pourra aider jusqu’à hauteur de 20% les collectivités locales dans les projets évoqués plus haut.
Vnunet.fr : Parmi les propositions soutenues par le collectif Renaissance Numérique concernant les usages TIC, quelles sont celles qui vous paraissent les plus intéressantes ?
Vincent Feltesse : Nous avons emprunté un certain nombre d’idées dans le rapport Rocard. Comme la possibilité pour les employés d’une entreprises de récupérer les PC usagés installés sur leurs lieux professionnels pour les ramener à domicile. C’est une mesure qui a eu une certaine efficacité dans les pays nordiques.
Vnunet.fr : Comment dynamiser la démocratie participative, défendue par votre candidate, par le biais des nouvelles technologies ?
Vincent Feltesse : Nous avons le sentiment d’avoir fait nos preuves en la matière. La démocratie participative, au coeur de la démarche politique de Ségolè ne Royal, passe beaucoup par Internet. Les Cahiers de l’Espérance publiée à la fin du mois de janvier, c’est le recueil des 135 000 contributions recensées sur le site Internet Désirs d’Avenir en onze mois. Ces contributions dépassaient largement le stade du simple message sous forme de commentaire. Il s’agissait de textes construits, fruit d’une réflexion certaine. Ils ont apporté des éléments précieux dans la constitution du pacte présidentiel. Les nouvelles technologies seront un levier non négligeable pour le renouvellement des pratiques politiques et l’avènement d’une Nouvelle République, d’une VIème République. Le Pacte Présidentiel prévoit par exemple que toute pétition au delà d’un million de signataires pourra déboucher sur un débat parlementaire. C’est un système que l’on pourra évidemment ouvrir à Internet.
Vnunet.fr : Le PS a demandé un moratoire pour le recours aux machines à voter dans le cadre de l’élection présidentielle. Comment comptez-vous revoir leur déploiement ?
Vincent Feltesse : Nous estimons que les machines à voter ne constituent pas un outil d’e-démocratie. Cette position de moratoire a été poussée au sein du PS par des personnes férues de nouvelles technologies. Cela peut paraître paradoxal mais il ne faut pas céder aux gadgets technologiques. Le rituel du vote, qui est l’acte démocratique par essence, doit continuer. Depuis plus d’un siècle, les Français ont confiance dans l’urne et dans l’isoloir, quel que soit leur âge, leur profession, leur degré d’éducation aux technologies? Ce moment symbolique ne peut disparaître par le seul effet d’une circulaire administrative, remettant au jour une loi votée il y a près de 40 ans. Sur un sujet aussi essentiel que le vote, ses modalités, un vrai débat public ne peut être évité. La crise de la démocratie doit être traitée politiquement et non technologiquement.
Vnunet.fr : Comment exploiter les nouvelles technologies pour moderniser les services publics et favorisez son adoption par les grandes administrations ?
Vincent Feltesse : Nous préconisons une certaine réorganisation au niveau des services publics, avec notamment l’instauration d’un ministère unique pour le service public plutôt que le mille-feuilles actuel. Nous proposons la création d’une délégation interministérielle à l’Internet avec un programme type LOLF sur les systèmes d’information de la sphère publique. L’organisation de l’administration électronique doit se faire autour de l’usager. Un portfolio pour faciliter les démarches de chaque usager sera ainsi créé. Il permettra à chacun d’effectuer un bilan permanent de ses droits. Sa mise en place se concentrera prioritairement sur les populations qui en ont le plus besoin. Il est aussi important que les données publiques soient accessibles à tous. Enfin le progrès numérique devra se faire de manière égale pour toutes les administrations. Si l’on fait un bilan par ministère sur leur implication dans les nouvelles technologies, on recense des différences flagrantes. Il y a un fossé hallucinant entre les efforts fournis par le Ministère de l’Economie, de l’Industrie et des Finances et ceux émanant du ministère de la Justice.
Vnunet.fr : Jusqu’où pourriez-vous pousser l’adoption de solutions open source dans les services publics ?
Vincent Feltesse : A priori, toute nouvelle initiative dans les nouvelles technologies doit passer par un examen d’implémentation en open source.
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