Le mercredi 22 février, en début de soirée au Palais de Tokyo à Paris, le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres a inauguré Lestéléchargements.com. Un site dédié au « dialogue libre entre créateurs et internautes » à l’initiative de son ministère et celui de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, et des sociétés de gestion collective de droits d’auteurs SACD et SACEM.
Témoignages (quatre podcasts vidéo pour l’heure), reportages (deux), explication du projet de loi (que le site, en omettant de préciser qu’elle n’est pas encore votée, présente comme une loi acquise), contenus à vocation pédagogiques sur « la révolution du tout numérique » constituent les principales rubriques du site.
Il s’agit donc d’un forum ouvert, un espace de débats autour du projet de loi sur le droit d’auteur et droits voisins dans la Société de l’Information (DADVSI) et de la problématique des téléchargements « illégaux » de musiques et de films essentiellement. Un site qui arrive bien tardivement alors que la reprise des débats parlementaires sur le projet de loi est attendue le 7 mars. Un site qui tente d’équilibrer les points de vue face à l’initiative de l’Alliance Public-Artistes, partisan de la licence globale (voir édition du 14 février 2006).
Ouvert mais filtré. « Les discussions sont modérées : de 9h à 1h du matin en semaine [et] le weekend », découvre-t-on sur la charte éditoriale du site qui promet par ailleurs aucune censure au-delà des propos dénigrants, racistes, diffamatoires, publicitaires ou hors sujet voire « non argumentés ». Un site qui soutient sans détour le projet de loi défendu par le ministre de la Culture.
Aller au-delà de la directive
Quelques heures avant l’ouverture du site, Renaud Donnedieu de Vabres exposait la position du gouvernement sur le projet de loi DADVSI aux membres de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Tout en rappelant que le texte avait suscité « de vives passions », notamment lors de son premier passage juste avant la trève de Noël devant les députés qui ont adopté un amendement sur la licence globale (voir édition du 22 décembre 2005), le ministre ambitionne « d’aller au-delà de la simple transposition de la directive européenne, pour répondre à deux enjeux essentiels qu’elle n’avait pas traités, l’encadrement des mesures techniques de protection afin de garantir l’interopérabilité et la copie privée, et la graduation des sanctions pénales, rendue nécessaire par le développement massif du téléchargement ».
Côté répression, le ministre ne souhaite pas que les sanctions pénales s’appliquent aux « téléchargeurs » et préfère l’attribution d’amende : 38 euros pour du téléchargement illégal et jusqu’à 150 euros pour la mise à disposition des fichiers. On ignore si les deux amendes sont cumulables puisque, dans les faits, un fichier en cour de téléchargement sur un logiciel d’échange est généralement également mis à disposition du reste des internautes. Particulièrement avec le protocole BitTorrent de plus en plus choyé par les amateurs d’échanges gratuits.
Si les internautes ont toutes les chances d’échapper à la prison, ce ne sera pas le cas de éditeurs de logiciels qui permettent ces échanges jugés illégaux. « Des sanctions plus lourdes viseront non pas les internautes, mais les éditeurs de logiciels manifestement destinés à favoriser le piratage, qui profitent commercialement des échanges illégaux », a déclaré le ministre.
La loi encadre les mesures techniques
Renaud Donnedieu de Vabres a également insisté sur l’importance du développement d’une « offre légale plus attractive et plus innovante ». Une offre qui passe notamment par l’existence inconditionnelle d’une interopérabilité. « Il s’agit de permettre de lire, quel que soit le support, des oeuvres acquises légalement », explique le ministre. Celui-ci ne précise pas pour autant comment il va convaincre Apple, le leader incontesté de la distribution de musique en ligne, d’ouvrir ses formats à la concurrence et réciproquement.
Interopérabilité qui devra rimer avec mesures de protections techniques (étrange adaptation française pour désigner les DRM ou gestion de droits numériques) qui devront à leur tour autoriser la copie privée. Des mesures qui existent déjà et que la loi devra « encadrer » notamment face aux atteintes à la vie privée. Le tout dans le « respect nécessaire du travail, oui, du travail, des artistes et des créateurs ». Et à ce titre, la licence globale se révèle être « une fausse bonne idée » aux yeux du ministre. « Elle taxe le consommateur, elle n’est pas suffisante pour financer la création. »
Un argument que contredit Roberto Di Cosmo. Dans une lettre ouverte à Monsieur Eddy Mitchell en date du 2 janvier 2006 suivie d’un Post Scriptum adressé au même artiste en date du 20 février, le professeur, qui enseigne à l’université Paris VII et qui est connu pour son implication dans le domaine du logiciel libre, a calculé que la licence globale pourrait rapporter plus de 200 millions d’euros aux artistes. A comparer aux 43 millions d’euros de la partie réservée aux artistes au nom de la copie privée sur l’année 2004. « La licence globale sur Internet est capable de garantir [aux artistes] un revenu de substitution plus important que celui obtenu aujourd’hui au bout de longues et exténuantes négociations avec les maisons d’édition » , estime l’universitaire. L’argument sera-t-il pour autant entendu par les députés?
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