L’industrie informatique traverse une crise profonde : depuis 2001, les entreprises restreignent leurs budgets et les conjoncturistes ne relèvent toujours pas les signes d’un renversement de tendance. Cette situation suggère que l’industrie n’est pas simplement confrontée à la fin d’un cycle de croissance. Il semble plutôt qu’après avoir suscité l’enthousiasme, l’informatique d’entreprise est entrée dans l’ère du soupçon. Les dirigeants remettent en question son influence supposée positive sur la productivité des salariés ou encore sa légitimité à devenir partie intégrante de la stratégie de l’entreprise. Signe de cette suspicion nouvelle, l’obsession du ROI (ou retour sur investissement) qui conditionne désormais tout démarrage d’un nouveau projet informatique, le ROI étant censé apporter la preuve comptable que le projet sera bénéfique pour l’entreprise. Les fournisseurs informatiques eux-mêmes semblent douter puisqu’ils se mettent à financer des recherches visant à mieux cerner les liens entre informatique et productivité (voir édition du 23 avril 2003).
Le roi est nu
Dans ce climat déprimé, un auteur spécialiste de l’économie numérique, Nicholas Carr, s’est récemment employé à jeter de l’huile sur le feu. Il vient en effet de publier dans la revue américaine Harvard Business Review un article au titre provocateur : IT doesn’t matter. Une façon de dire que le roi informatique est nu, ce qui n’a pas manqué de provoquer l’émoi dans le milieu, suscitant commentaires et critiques. Sa thèse est la suivante : la période durant laquelle l’informatique pouvait être considérée comme une innovation technologique, source potentielle d’avantages compétitifs pour les entreprises, est désormais révolue. En cela, elle obéit à un destin similaire à celui de technologies plus anciennes telle l’énergie électrique. Comme elle, l’informatique s’est banalisée au fur et à mesure que son coût a baissé et que de plus en plus d’entreprises se sont dotées de matériels et logiciels. En conséquence, le système d’information ne revêt plus d’enjeux stratégiques, ce qui induit pour les dirigeants une nouvelle façon de l’appréhender : offensive hier lorsqu’il était source d’opportunités, défensive aujourd’hui car il s’agit surtout de se prémunir de ses éventuelles défaillances. D’où également le conseil de ne pas trop investir dans l’informatique.
L’informatique, levier de changements organisationnels
Difficile de contre-argumenter en quelques lignes. Ce que l’on peut au moins remarquer, c’est qu’en matière d’informatique d’entreprise, l’innovation technologique n’a jamais constitué en soi un avantage compétitif. Aucune entreprise n’a jamais amélioré sa compétitivité ou son efficacité par le seul miracle de l’installation de serveurs, de PC ou de logiciels, si sophistiqués soient-ils. L’intérêt de l’informatique pour l’entreprise réside plutôt dans la possibilité qu’elle offre d’inaugurer de nouveaux modes d’organisation ou de nouvelles façons de travailler. N’importe quel directeur informatique sait que tout projet informatique est avant tout un projet organisationnel. D’autre part, il est inexact de dire que le temps de l’innovation est achevé. Les services Web, qui définissent un modèle d’architecture distribuée standard facilitant le dialogue interapplicatif, constituent bel et bien une innovation qui aidera les entreprises à intégrer leurs processus métiers et à les mettre à la disposition de leurs partenaires économiques. Grâce à cela, elles pourront s’organiser selon le principe de l’entreprise étendue. Les réseaux mobiles à haut débit, qui permettent aux travailleurs nomades d’accéder à distance au système d’information de leur entreprise, sont également à l’origine de nouvelles pratiques. Enfin, l’exploitation et l’analyse de la masse d’informations numérisées qui circule dans les entreprises ? c’est le domaine de la business intelligence ? ne peuvent qu’intéresser tout dirigeant à la recherche d’indicateurs fiables et pertinents sur l’activité de son entreprise. L’enjeu de l’informatique est en effet de traiter l’information, de la valoriser. Or l’environnement économique des entreprises évolue vers une complexité croissante où toute la difficulté pour les dirigeants est de discerner l’information pertinente. Plus que jamais, ils doivent se saisir des problèmes relatifs à leur système d’information et en piloter les évolutions en fonction de la stratégie globale.
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