Les sénateurs ont tranché. Ils ont adopté, jeudi 8 avril 2004, la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LEN) telle qu’elle avait été définie, dans sa majeure partie, par les députés en janvier 2004. Cependant, quelques mesures de nature à satisfaire les fournisseurs d’accès (FAI), notamment, ont été prises. Si le retrait du caractère de correspondance privée du courrier électronique a été maintenu, l’obligation générale de surveillance des contenus a priori par les prestataires techniques, privés comme associatifs, a été supprimée. La menace des fournisseurs d’accès (FAI) de supprimer les services d’hébergement des pages personnelles et forums de discussion a sans doute pesé dans la décision. Surtout, cette disposition n’était pas conforme à la Directive européenne sur le commerce électronique (2000/31/CE) que la LEN transpose. Les parlementaires ont visiblement préféré éviter les risques de poursuites pour violation de la législation européenne.
La question des filtrages des contenus (hébergés à l’étranger ou non) a également été aménagée. Alors que les députés proposaient initialement que « l’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, [aux prestataires techniques], toutes mesures propres à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication publique en ligne, telles que celles visant à cesser de stocker ce contenu ou, à défaut, à cesser d’en permettre l’accès », les sénateurs s’en sont tenus aux « mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ». Les députés réclamaient le filtrage par les FAI de l’accès à un contenu jugé illicite, les sénateurs préfèrent s’appuyer sur la suppression du contenu directement. Autrement dit, un juge pourra demander aux FAI la suppression du compte d’un internaute jugé indélicat mais n’obligera pas le fournisseur à mettre en oeuvre les moyens pour limiter les accès au contenu litigieux. Cette mesure vise essentiellement à lutter contre le partage illégal en ligne de fichiers, musicaux essentiellement, en frappant directement à la source (le diffuseur) plutôt que d’essayer d’imposer des filtres à l’efficacité aléatoire vers ce contenu. « En proposant un texte équilibré, le Sénat a agi sagement », estime Stéphane Marcovitch, secrétaire général de l’association des fournisseurs d’accès français (AFA).
Les hébergeurs resteront cependant soumis aux contrôle a posteriori selon les demandes éventuelles de personnes morales ou physiques de suppression de contenus considérés comme illicites. Ces aménagements visent en premier lieu à lutter contre la pornopédophilie et les appels à la haine raciale mais l’absence de définition concrète de ce qui est considéré comme un contenu à « caractère illicite » induit donc le risque d’application de ce que les acteurs du Net interprètent comme une « justice privée ». Pour se prémunir des abus, une peine maximum d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende pour toute personne qui effectuerait une notification injustifiée à un prestataire technique est maintenue dans le texte. Patrick Devedjian, successeur de Nicole Fontaine à l’Industrie dans le nouveau gouvernement, s’est engagé, au nom du gouvernement, à élaborer une « charte de bonne conduite ». Les FAI avaient déjà fait un premier pas pour encadrer précisément le caractère illicite d’un contenu en proposant leur propre « charte » (voir édition du 30 mars 2004).
Prescription prolongée pour la presse en ligne
Signalons également que, sur proposition du sénateur du Rhône René Trégouët (UMP), les dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en matière de diffamation s’appliquent désormais aux services de communication en ligne. Cependant, le délai de prescription de trois mois appliquée à la presse « physique » (journaux, hebdomadaires, magazines…) est étendu pour la presse en ligne exclusive. Une mesure qui place donc la presse « électronique » dans un cadre à part de la presse « traditionnelle » au risque de créer deux niveaux de traitements pour une même activité.
Autre point de la LEN, les dispositions concernant les règles du commerce en ligne et de la publicité ont été adoptées telles quelles. Elles définissent les cadres d’échange marchand entre un fournisseur et son client et réprime la « publicité trompeuse ». L’envoi de documents publicitaires non sollicités est notamment interdit sans le consentement du destinataire. La loi vise donc à protéger les utilisateurs victimes du spam. Mais pour la faire appliquer, ceux-ci devront se tourner vers la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) dont le pouvoir s’arrête aux frontières nationales.
De plus, la LEN valide l’autorisation pour une collectivité territoriale d’opérer (ou de faire appel à l’opérateur de son choix) son propre réseau de télécommunications, filaire ou non. Enfin, les opérateurs de téléphonie vocale sont désormais « tenus de proposer de manière équitable […] une offre dans laquelle les communications métropolitaines commutées sont facturées à la seconde, dès la première seconde, hors éventuellement un coût fixe de connexion ». Autrement dit, une forme de crédit temps (un montant minimum facturé pour une durée prédéfinie quelque soit le temps utilisé de cette durée) est maintenu. Il restera à vérifier, dans les offres commerciales des opérateurs, le bénéfice que le consommateur pourra tirer de cette disposition.
La LEN doit maintenant passer devant la commission paritaire mixte (CMP, composée de 7 députés et 7 sénateurs) pour aménager certain points avant d’être promulguée. Il existe donc un risque de revenir sur certaines dispositions prises par les sénateur comme la question du filtrage. Aucune date n’est encore fixée. En cas d’échec de la CMP, la loi repasse devant les assemblées parlementaires. L’opposition peut également saisir le Conseil constitutionnel qui, selon son avis, pourra modifier la loi. Autant d’étapes qui retardent sa mise en application.
(Article mis à jour le 9 avril 2004 à 15 h 00)
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