Loi Thévenoud : Uber invoque avec succès le droit européen devant le Conseil d’État
Le Conseil d’État considère que le décret réservant aux taxis l’utilisation d’outils de géolocalisation est « entaché d’illégalité ». Qu’est-ce qui coince ?
Uber a remporté une bataille dans sa croisade contre la loi Thévenoud.
Par une décision rendue ce mercredi 9 mars 2016, le Conseil d’État a entériné l’annulation des dispositions de l’article R. 3124-11 du code des transports « en tant qu’elles sanctionnent le fait de contrevenir aux dispositions […] de l’article L. 3120-2 [de ce même code] ».
De quoi parle-t-on dans les faits ? Uber avait saisi la plus haute juridiction administrative de France pour contester l’interdiction qui lui était imposée, par un décret du 30 décembre 2014 relatif au transport public particulier de personnes, d’exploiter ses outils de géolocalisation, sous prétexte qu’ils permettaient la « maraude électronique ».
Ayant pour but de fixer les modalités d’application de la loi Thévenoud du 1er octobre 2014, le décret en question (no 2014-1725) avait également fait l’objet de requêtes émises par l’association Taxilibre, la Chambre syndicale des loueurs d’automobiles de Paris-Île-de-France et le syndicat des artisans de taxis de l’Essonne.
Au point 12 de sa décision, le Conseil d’État a tenu à préciser que le législateur « a distingué, d’une part, l’activité consistant à stationner et à circuler sur la voie publique en quête de clients en vue de leur transport et d’autre part, l’activité de transport individuel de personnes sur réservation préalable ». Cette deuxième activité pouvant être exercée non seulement par les taxis, mais également par d’autres professions, « notamment celle de voitures de transport avec chauffeur ».
Défaut d’information
Parmi les règles législatives dont le décret attaqué précise les modalités d’application figure une interdiction résultant de l’article L. 3120-2 du code des transports : les personnes non titulaires d’une autorisation de stationnement ne peuvent pas informer un client, avant la réservation et quel que soit le moyen utilisé, de la localisation et de la disponibilité d’un véhicule.
Ces dispositions doivent, comme l’ont démontré des travaux parlementaires, permettre de réserver cette pratique aux taxis « faisant ainsi obstacle à l’utilisation d’un tel service de réservation par d’autres catégories de transporteurs ».
Le Conseil d’État estime que ces exigences visent spécifiquement l’accès à un « service de la société de l’information », effectué à distance, par voie électronique, sans que les parties soient simultanément présentes, déclenché par une demande individuelle du destinataire et rémunéré. Et qu’elles doivent, de ce fait, être considérées comme des règles techniques relevant de l’article 8 de la directive européenne 98/34/CE du 22 juin 1998 sur l’économie numérique.
C’est là que ça coince : ladite directive prévoit une procédure d’information de la Commission européenne préalable à toute mise en œuvre d’une réglementation technique et/ou règle relative aux « biens et services de la société de l’information ».
Or, la loi Thévenoud, dont sont issues les dispositions contestées, n’a pas fait l’objet de cette procédure d’information.
Vice de procédure
Bilan pour le Conseil d’ État : l’article L. 3120-2 du code des transports est affecté d’un vice de procédure qui « entache d’illégalité toutes les dispositions du décret attaqué dont ils constituent la base légale et qui n’a d’ailleurs lui-même pas fait l’objet de cette procédure d’information ».
Ainsi les requérants sont-ils autorisés à demander l’annulation de l’article R. 3124-11 créé par le décret et qui institue que toute contravention aux dispositions de l’article L. 3120-1 est punie « de l’amende prévue pour les contraventions de cinquième classe ».
Cet argument d’une législation française inapplicable au regard du droit européen, Uber l’a déjà exposé à Bruxelles, également en évoquant la question de l’obligation de notification préalable, qui doit permettre d’éviter que des États adoptent des réglementations susceptibles de porter atteint aux échanges.
C’est ce qui avait, entre autres, retardé de quelques semaines l’adoption de la « loi Amazon », laquelle interdit aux librairies en ligne de cumuler remise de 5 % sur les livres et gratuité des frais de port.
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