Habituées à tisser une relation client intime en boutique, les marques de luxe ont du mal à passer au numérique. La concurrence des pays émergents et des pure players les contraint toutefois à se digitaliser.
La deuxième édition du Digital Luxe Meeting qui s’est tenue ce 10 mai à Paris a permis de faire le point sur la maturité digitale de cette industrie, encore à part à plus d’un titre.
A priori, tout oppose le luxe et le digital. Le premier vise l’élitisme, l’émotion, la rareté alors que le second évoque l’universalisme, la transparence, l’information de masse.
Un créateur d’une griffe fait appel à son intuition pour anticiper les tendances de demain, le big data brasse, lui, un grand nombre de données factuelles pour concevoir des modèles prédictifs.
Pour autant, les grandes marques de luxe ne peuvent plus se permettre d’ignorer le numérique comme l’a rappelé Jonathan Siboni, dirigeant de Luxurynsight, spécialiste data pour l’industrie du luxe à l’occasion du Digital Luxe Meeting.
« Dans les années 80, la donne était simple. Les maisons familiales vendaient à des clients riches américains, japonais ou du Golfe qu’ils connaissaient personnellement. Eux, puis leurs enfants. »
Aujourd’hui, avec le « global shopping », le luxe s’est démocratisé. « La classe moyenne supérieure des pays émergés y a accès. Les marques ont, de leur côté, élargi leur offre aux produits dérivés (lunettes, parfums…) tout en voyant apparaître une multitude de concurrents. »
Une transformation numérique qui relève plus du mariage de raison que du mariage d’amour.
Michel Campan, fondateur de l’agence Mcgarrybowen Luxury, se souvient de « débats hallucinants » dans des maisons françaises autour du numérique. « Collecter de la donnée, c’était sale. Cela pouvait être perçu comme intrusif dans l’expérience intime d’un individu à une marque ».
Aujourd’hui encore, selon lui, les marques disposent de « super bases de données » mais n’en font rien à part de l’e-mailing. « Elles doivent comprendre que leurs organisations silotées doivent exploser ».
D’autant que la Chine, devenue leur premier marché, n’a pas ses complexes autour de l’utilisation sur les données. « Arrivés sur le tard, en 2006, les Chinois ont développé des modèles 100 % digitaux. Pour eux, il est tout à fait normal d’être reconnu quand on entre dans une boutique. »
A ce petit jeu, les marques de luxe anglo-saxonnes s’en sortent mieux.
Dans la quatrième édition de sa Digital Competitive Map, ContactLab, éditeur de solutions d’e-marketing direct, place Burberry ou Ralph Lauren en tête et Céline…bonne dernière.
Louis Vuitton ou Dior développent néanmoins des stratégies digitales reconnues.
Dans ce paysage en recomposition ont aussi émergé des « pure players » du Web comme l’ont rappelé Gemmyo ou Precouture, présents au Digital Luxe Meeting.
L’histoire de Gemmyo commence par une histoire d’amour. En juin 2011, quand Charif demande Pauline en mariage, ils se rendent chez deux ou trois joailliers de luxe. L’univers est intimidant et froid, le choix limité, les prix ne sont pas affichés. Pas top pour un moment qu’ils espéraient exceptionnel.
De cette mauvaise expérience naîtra Gemmyo, une « fashion tech » qui propose des bijoux sur mesure. Pas de stock ni de points de vente. Le client choisit son modèle, la pierre ou le métal précieux assorti, indique la taille, puis le bijou est imprimé en 3D et livré en deux semaines.
Avec pour cible une clientèle plutôt jeune et CSP+ qui se retrouvent dans l’état d’esprit véhiculé par le site « Jeune et joaillier » et sa mascotte, un chaton rose.
Faisant du sur-mesure, le site Gemmyo.com n’était pas, par exemple, tenu de respecter le délai de rétractation de 14 jours imposé par la loi Hamon. Il fait néanmoins le retour gratuit mais aussi la remise à taille.
Gemmyo s’est aussi organisée pour proposer une chaine logistique et un service clientèle 24/7 avec notamment le déploiement d’un ERP. « Notre connaissance client est centralisée alors qu’habituellement un bijoutier la construit au niveau de sa boutique. »
Les défilés de mode peuvent être des spectacles particulièrement frustrants pour les fashion victims quand elles ne font pas partie de la clientèle haut de gamme invitée aux shows.
Elles flashent sur une pièce mais ne pourront l’acheter en boutique que six mois plus tard. Et, encore si et seulement si les acheteurs professionnels l’ont sélectionnée.
Lors des fashion weeks de Paris, New York, Londres ou Milan, le site retransmet aussi les shows en direct laissant la possibilité d’acheter d’un clic les vêtements haute couture.
Si le concept existe depuis quinze ans aux États-Unis, Precouture a dû évangéliser de ce côté-ci de l’Atlantique. Co-fondatrice, Sandra Mascio a particulièrement développé la partie accompagnement du client, de la présentation de l’offre à la réception de la pièce. « Comme dans une boutique de luxe, le conseil au client est très important. »
La contrefaçon de marque est une vraie plaie pour l’industrie de luxe. Les faux sacs Vuitton ou les répliques de montres Cartier représentent un manque à gagner de quelque 7,7 milliards d’euros par an pour les griffes européennes.
Et si les montres de luxe affichent des numéros de séries et les sacs à main des certificats physiques, quid de la revente ? C’est sur le marché de la seconde main que se concentre HikiTtag.
Cette start-up a ouvert, en février, sa plateforme d’authentification qui repose sur un système de blockchain dont les certificats infalsifiables suivent l’objet de luxe toute sa vie.
HikiTag travaille déjà avec la plateforme de seconde main InstantLuxe et annoncera prochainement un contrat avec une marque de maroquinerie américaine.
A ses yeux, les marques ont aussi tout à gagner à apporter ces systèmes de protection à la source. « La jeune femme de 18 ans, qui ne peut s’acheter un sac Hermès neuf et doit passer par l’occasion, le pourra peut-être demain. »
Bigre. Demain, le luxe authentique à un prix plus abordable via la blockchain…
(Crédit photo : Shutterstock.com – Droit d’auteur : Africa Studio)
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