« C’est que chauffeurs comme plateformes ont tort et raison à la fois. »
Ce constat, Jacques Rapoport l’établissait au lendemain de la première réunion plénière organisée dans le cadre de la mission de « médiation VTC » que lui a confiée le gouvernement. C’était le 21 janvier 2017.
Depuis lors, l’ancien président de SNCF Réseau – dont le départ de la compagnie ferroviaire, il y a près d’un an, avait surpris – a eu l’occasion d’approfondir le dialogue avec les parties prenantes.
En leur présence, il a dévoilé, ce mercredi, des conclusions qui seront communiquées par écrit aux pouvoirs publics dans le courant de la semaine prochaine.
L’échéance initiale de remise du dossier, fixée au vendredi 3 février, a été repoussée au vu des engagements d’Uber, qui vient d’annoncer son intention de mettre en place « un dispositif financier, technique et humain d’envergure » pour remédier aux problèmes des chauffeurs en difficulté.
L’entreprise américaine fait l’objet d’un traitement à part dans le compte rendu de Jacques Rapoport, qui perçoit, dans sa stratégie, trois orientations prioritaires : multiplier le nombre de conducteurs, pratiquer une politique tarifaire très attractive pour les clients et assurer la rentabilité.
Le médiateur décrit les chauffeurs comme la « 3ème [sic] partie prenante la plus fragile ». Il a déterminé que leurs revenus pouvaient atteindre, en moyenne, 1 700 euros net par mois pour 60 heures d’activité à la semaine… sachant toutefois que les « écarts sont importants ». Le seuil ne pourrait en l’occurrence être atteint par un entrepreneur (plafond de C.A. trop bas), ni par un salarié LOTI (du fait du prélèvement complémentaire opéré par son capacitaire).
Non sans souligner que pour les VTC indépendants, ce travail se fait sans congés ni couverture maladie, Jacques Rapoport reconnaît qu’il est préférable pour les chauffeurs d’être sur plusieurs plates-formes.
Yanis Kiansky y voit « un désaveu de la politique tarifaire d’Uber ».
Déplorant que le médiateur n’ait pas abordé l’ouverture des voies de bus et des aéroports au VTC, le président d’Allocab regrette plus globalement le peu de mesures concrètes proposées, sinon la détaxation du carburant, comme c’est déjà le cas pour les taxis (la Fédération française du transport de personnes sur réservation faisait pression dans ce sens).
Il pointe également du doigt une recommandation adressée spécifiquement à Uber : effectuer un « redressement du niveau de revenu » des conducteurs.
Aucune obligation n’est faite, en la matière, à la plate-forme américaine, qui rappelle pour sa part que la rentabilité actuelle d’un chauffeur VTC indépendant lui permet de gagner sa vie dans des conditions « équivalentes avec ce qui prévaut dans des professions voisines »… comme Jacques Rapoport lui-même l’a déclaré sur son « blog du médiateur ».
L’intéressé avait néanmoins précisé que les chauffeurs devaient respecter des conditions.
Premièrement, être en activité durant les amplitudes qui prévalent dans les autres transports privés, « comme dans la plupart des activités professionnelles indépendantes ». Deuxièmement, s’orienter sur les créneaux horaires et zones les plus porteurs et les mieux rémunérés, « comme le fait tout professionnel ». Troisièmement, être attentifs au montant de leurs charges, « comme l’est tout entrepreneur ».
Pas facile, cependant, de chiffrer ces charges. Entre assurance, garage, entretien et carburant, elles s’élèveraient à 2 300 euros par mois pour un LOTI et 2 000 euros pour un VTC indépendant, sachant qu’il faut ajouter, pour ces derniers, le RSI. C’est sans compter l’augmentation des charges variables qu’induit, toujours selon le médiateur, l’augmentation de la durée d’activité provoquée par la multiplication des petites courses à petit prix.
Jacques Rapoport considère que le conflit, marqué par une successions de manifestations en décembre, est centré sur Uber : « Les 5 plateformes françaises ne sont pas citées ».
Il y a la conjoncture, défavorable après les attentats et sur fond d’augmentation du nombre de chauffeurs. Mais aussi le déclencheur : la décision d’Uber d’augmenter de 5 % la commission prélevée sur le chiffre d’affaires de ses partenaires. Jacques Rapoport estime que la compensation que devait entraîner la hausse équivalente de prix n’a pas été ressentie par les conducteurs.
À l’ensemble des plates-formes, le médiateur recommande d’instaurer un « dialogue professionnel », un accompagnement des chauffeurs en difficulté et un processus de déconnexion garantissant les droit desdits chauffeurs.
À l’occasion des deux réunions plénières organisées les 20 et 24 janvier, toutes les plates-formes ont jugé très faible le nombre de déconnexions à leur initiative. Non sans affirmer faire la différence entre les fautes graves entraînant une coupure immédiate et les autres motifs qui engendrent d’abord des rappels à l’ordre.
Les chauffeurs ont quant à eux dénoncé un « climat anxiogène » et critiqué les déconnexions provisoires intervenant sans préavis, demandant qu’elles soient réservées aux seuls cas graves que représentent une infraction grave et volontaire au code de la route ou un comportement clairement agressif vis-à-vis de la clientèle. Et d’appeler à la constitution d’une commission incluant des représentants de chauffeurs et habilitée à se saisir des autres cas faisant l’objet d’un litige.
Et l’État, dans tout ça ? Jacques Rapoport recommande de faire appliquer les lois Grandguillaume et El Khomri.
La première est censée compléter les dispositions de la loi Thévenoud pour restaurer l’équilibre dans le secteur du transport public de personnes. La seconde prescrit notamment la mise en place, à compter du 1er janvier 2018, d’une protection contre les accidents de travail pour les chauffeurs à la charge des plates-formes.
Le médiateur suggère par ailleurs, sans précisions, de légiférer si les difficultés économiques des conducteurs venaient à persister. Il conseille, de surcroît, de réglementer le temps maximal d’activité au nom de la sécurité et de faciliter la transition des LOTI vers le statut VTC.
Uber y ajoute les « nombreux obstacles réglementaires et administratifs » qui compromettraient l’accès à la profession. « Notamment le nouvel examen, qui implique une formation longue et coûteuse avec l’anglais et l’orthographe comme critères éliminatoires ».
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