« À mesure que le hardware devient accessible, le logiciel prend de la valeur. »
Ainsi Bill Gates s’exprimait-il dans les colonnes du Wall Street Journal à l’aube d’une nouvelle ère : celle de l’informatique personnelle.
Le jeune entrepreneur s’était lancé dans l’aventure le 4 avril 1975 en ouvrant, avec son associé Paul Allen, une boutique à Albuquerque (Nouveau-Mexique).
Alors âgé de 19 ans, il ne se passionnait pas tant pour ces mainframes qui occupaient encore pour la plupart des pièces entières. Son intérêt était porté vers le code qui les faisait fonctionner, à l’heure où le concept de marché logiciel existait à peine, la plupart des systèmes étant propriétaires et intégralement développés par un seul et même acteur.
Conformément à la vision de ses cofondateurs, Microsoft se concentre exclusivement sur le software et adopte une stratégie multiplateforme en décidant d’accompagner ces nombreuses start-up (Tandy, Commodore, Apple, etc.) qui creusent le filon du « Personal Computer ».
Bill Gates choisit le slogan : « Un ordinateur sur chaque bureau et dans chaque foyer ». Mais ses ambitions vont plus loin. A en croire ses premiers employés, la devise originale était « Un ordinateur sur chaque bureau et dans chaque foyer avec des logiciels Microsoft ». Certains évoquent même « Un ordinateur sur chaque bureau et dans chaque foyer avec exclusivement des logiciels Microsoft ».
Jusqu’au début des années 1980, Microsoft ne développe pas de système d’exploitation, mais des langages de programmation parmi lesquels le basic, le cobol et le fortran, entrés depuis lors dans les dictionnaires français de référence en tant que noms communs.
Ces outils sont commercialisés sans discrimination : Altair en bénéficie… comme Apple. C’est en 1981 que les choses s’accélèrent avec, au mois d’août, la sortie de l’IBM PC. Pour gagner du temps, IBM a choisi de ne pas tout concevoir en interne et d’adopter une architecture ouverte, y compris pour le logiciel.
En position forte sur ce marché, Microsoft est naturellement sollicité. A défaut de disposer d’un système d’exploitation, Bill Gates en acquiert un : 86-DOS, acheté pour 50 000 dollars à Seattle Computer Products. Adaptée, la plate-forme prend le nom de PC-DOS.
L’IBM PC s’impose rapidement comme un standard de l’industrie et son architecture ouverte favorise l’émergence de clones. Autant de machines pour lesquelles Microsoft peut développer des versions modifiées de PC-DOS, son contrat avec Big Blue ne posant aucune clause restrictive en la matière. Bilan : au début des années 1990, Microsoft est présent sur plus de 90 % des ordinateurs dans le monde.
Cette domination convainc Bill Gates d’étendre son influence dans d’autres secteurs logiciels, quitte à se retrouver sous le coup d’enquêtes antitrust. La bureautique constitue l’un de ses principaux terrains de conquête, avec Word et Excel.
Face à WordPerfect (Corel), Visicalc (VisiCorp), Lotus 1-2-3 (Lotus Software) et consorts, Microsoft s’appuie sur son système d’exploitation MS-DOS et sur l’interface graphique introduite avec Windows.
La firme n’hésite pas à casser les prix de ses outils bureautiques en conservant des marges importantes sur son OS, qu’elle optimise par ailleurs pour ses propres solutions. Elle propose même parfois de racheter des éditeurs, demandant alors d’accéder au code source de leurs produits… et interrompant subitement la procédure de rapprochement, pour reprendre, quelques semaines plus tard, les fonctionnalités développées par son concurrent.
Microsoft encourage aussi les constructeurs de PC à livrer Word et Excel en échange d’un rabais sur les coûts de licence. Bill Gates négocie aussi des contrats aux termes desquels son entreprise est payée pour chaque machine vendue, qu’elle soit équipée ou non d’un OS Microsoft.
Au début des années 1990, Microsoft consolide sa domination et la parachève en mettant fin à sa collaboration avec IBM autour d’OS/2. En 1993, celui qu’on appelle désormais « l’ogre de Redmond » dépasse son ex-partenaire en capitalisation boursière. Mais il doit, en parallèle, faire face à une surveillance accrue de ses activités.
La Federal Trade Commission lance une première investigation en 1991 à propos des mécanismes sus-évoqués. Question centrale : Microsoft abuse-t-il de sa position dominante ? Deux ans plus tard, le dossier est clos, sans charge. Mais l’administration Clinton reprend le flambeau.
Les concurrents espèrent alors que Microsoft sera scindé en plusieurs sociétés, comme ce fut le cas pour le géant des télécoms AT&T. Mais en 1994, le département de la Justice (DoJ) annonce qu’un accord a été trouvé : Microsoft renonce à la vente liée, à la licence « par processeur » et se soumet à un audit pour une durée de six ans et demi. En dépit de ces concessions, sa position sur le marché n’est pas remise en cause.
Sur le plan personnel, Bill Gates se marie, le 1er janvier 1994, à Melinda French, une de ses employées de neuf ans sa cadette. Des personnalités tels Richard Gere, Oprah Winfrey et Kevin Costner sont conviées à une cérémonie chiffrée à 1 million de dollars.
Loin des réjouissances sentimentales, un défi se pose avec l’émergence d’Internet et du World Wide Web. Bill Gates, qui a eu l’occasion de tester ces technologies, estime qu’elles ne sont pas faites pour le grand public, faute de standards bien définis et d’une autorité de contrôle. Pour lui, l’interactivité (ce qu’il appelle IAYF, pour « Information At Your Fingertips ») passe par le poste de télévision.
Cette vision, c’est celle de « l’Information superhighway » ; celle d’une technologie média futuriste faite de jonctions entre télécoms, audiovisuel, industrie du PC et studios hollywoodiens… entre autres.
Téléachat, vidéo à la demande, réalité virtuelle et contenus personnalisés sont autant de promesses inhérentes à cette « super-autoroute de l’information ». Le marché est estimé à 1 trillion de dollars. Les convictions de ses promoteurs sont soutenues par l’appétit affiché des Américains pour la révolution du PC et du numérique, à travers le CD-ROM ou encore le développement des écrans plats.
Pour Microsoft, c’est surtout l’occasion d’étendre sa présence à une nouvelle plate-forme au coeur du foyer de cette fin de siècle. Mais les nombreuses initiatives lancées çà et là aux Etats-Unis échouent : AT&T et Viacom en Californie, Bell au Texas et en Virginie, Time Warner avec son pilote « Full Service Network » lancé en Floride avec du matériel Silicon Graphics et la collaboration d’U.S. Postal Service…
Tous ces acteurs ont fini par réaliser que le futur appartenait à Internet, gratuit par essence (hors coûts de connexion), échappant en théorie au contrôle d’une autorité centralisée et permettant de créer des contenus, au contraire de l’Information superhighway.
Internet devient dès lors un enjeu majeur pour Microsoft. La chantier s’accélère à l’été 1994 tandis que se prépare la sortie de Windows 95. Le succès de Netscape Navigator (jusqu’à 80 % de part de marché) conforte Bill Gates dans sa réorientation.
Au-delà de la navigation Web, Microsoft cherche à déterminer dans quelle mesure la connectivité pourrait impacter des programmes comme Office. Les premières négociations avec BookLink Technologies et son navigateur InternetWorks échouent : l’entreprise est rachetée, pour 30 millions de dollars, par AOL.
Microsoft se tourne vers Spyglass, la société qui commercialisait NSCA Mosaic… dont le code est à la base de Netscape. Dès lors, la stratégie se centre sur un navigateur capable de servir à lui tout seul de plate-forme, à l’instar d’un Netscape exploitant Java pour lancer des applications dans des pages Web.
Le 24 août 1995, Windows 95 est lancé. Pour la première fois, MS-DOS et Windows sont réellement unifiés. D’une architecture essentiellement 16 bits, on passe à du 32 bits avec multitâche préemptif. On découvre aussi la barre des tâches, le menu démarrer et la notion de « Plug and Play » pour les périphériques, bien que l’USB ne soit pas encore pris en charge à ce stade.
Microsoft débloque une enveloppe de 300 millions de dollars pour sa campagne marketing, marquée notamment par la diffusion d’une « cyber-sitcom » de 30 minutes avec le duo Jennifer Aniston – Matthew Perry et l’habillage de l’Empire State Building aux couleurs de Windows 95.
En 1996, la division Interactive Media est créée autour de MSN. Microsoft lance aussi Exchange Server et Windows CE, destiné aux appareils mobiles.
En 1997, la multinationale met 425 millions de dollars sur la table pour s’emparer de WebTV Networks, service de diffusion TV sur Internet. S’ensuit un investissement d’un milliard de dollars dans Comcast pour accélérer le déploiement de ses services haute qualité via son infrastructure câble. L’année se termine sur un accord avec Apple pour porter des outils sur Mac OS, puis sur l’acquisition de Hotmail.
Le 25 juin 1998, la disponibilité de Windows 98 est effective dans 40 pays. Quelques semaines plus tard, Steve Ballmer, confident et témoin de mariage de Bill Gates, est nommé président de Microsoft. A l’aube du nouveau millénaire, le groupe atteint une capitalisation boursière record de 618,6 milliards de dollars.
Un nouveau chapitre s’ouvre en janvier 2000 avec le passage de témoin entre Bill Gates et Steve Ballmer. Le premier défi technologique du nouveau CEO, c’est la présentation, en 2001, de Windows XP. Un système d’exploitation devenu une référence dans la lignée des Windows, à tel point qu’il subsisterait aujourd’hui encore sur plus de 15 % du parc mondial de PC.
Entre 2001 et 2002, Microsoft investit le marché des consoles de salon avec la Xbox. Lui succéderont la Xbox 360 (en 2005) et la Xbox One (en 2013). Entre-temps, Windows Vista se paie un casting à la hauteur des ambitions (Bill Gates, Craig Mundie, Ray Ozzie), mais connaît un relatif échec commercial à partir de 2006.
Microsoft échoue aussi en 2007-2008 dans sa tentative d’absorber Yahoo. Les deux groupes s’en tiennent finalement à un accord technologique et commercial. Après l’officialisation de Windows 7 en 2009, Microsoft lance l’offensive dans le cloud (2010) et signe un accord stratégique avec Nokia dans la mobilité (2011).
La même année, Skype tombe dans son giron et Steve Ballmer est décoré des insignes de Chevalier de la Légion d’honneur par Nicolas Sarkozy. Mais Microsoft est meurtri dans sa chair, incapable de suivre le rythme imposé par Apple et Google sur le marché mobile. La priorité n’est plus à l’implémentation tous azimuts de Windows, mais au portage des applications stratégiques sur les plates-formes concurrentes. C’est la logique « Terminaux + Services ».
Microsoft se lance aussi dans le hardware en marque propre avec la gamme de tablettes Surface, lancée parallèlement à Windows 8, censé offrir une expérience utilisateur adaptée à la nouvelle donne du mobile et du tactile. A l’heure actuelle, l’OS – et sa mise à jour Windows 8.1 – n’a toujours pas dépassé son prédécesseur Windows 7 sur le marché du PC. Et il reste du chemin à parcourir avant de titiller le duo iOS/Android sur les tablettes.
En 2013, le départ de Steve Ballmer est annoncé dans le cadre d’un plan de restructuration.
Le 4 février 2014, Satya Nadella, le « Mr Cloud » de Microsoft, prend les rênes de l’entreprise.
Il finalise le rachat de la division Terminaux & Services de Nokia et applique une vision partagée notamment par Bill Gates : rapprocher l’informatique des capacités humaines en l’ouvrant à l’interaction naturelle.
En y glissant sa petite touche personnelle qui devient la nouvelle pierre angulaire : « Mobile First, Cloud First »
Cortana, Skype Translator et HoloLens s’inscrivent aujourd’hui dans cette approche.
Crédit photo : drserg – Shutterstock.com
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