Paul Merolla, qui a supervisé, chez IBM, le développement de la puce TrueNorth dont le fonctionnement est inspiré du cerveau humain ; DJ Seo, à l’origine d’une interface homme-machine basée sur les ultrasons ; Ben Rapoport, neurochirurgien et docteur en génie électrique… Autant de pointures dont Elon Musk s’est entouré pour monter la société Neuralink.
Le milliardaire, qui creuse le sillon de la conduite autonome avec Tesla et rêve de coloniser Mars avec SpaceX, avait promis, le mois dernier, de revenir « plus longuement » sur cette initiative qui vise à « augmenter » l’humain en symbiose avec l’intelligence artificielle.
Au gré des entretiens qu’il a eus avec l’intéressé et plusieurs de ses collaborateurs, Tim Urban, cocréateur du blog « Wait But Why », a pu mesurer l’ampleur du défi : alors que Tesla et SpaceX ont pour objectif de « redéfinir ce que feront les hommes », Neuralink cherche à « redéfinir ce qu’ils seront ».
Le principal enjeu dans cette démarche est de se synchroniser avec les neurones (20 milliards en moyenne rien que dans le cortex), aussi bien pour les « écouter » que pour leur transmettre des informations.
Les techniques actuelles d’analyse cérébrale se fondent sur trois critères principaux : l’échelle (combien de neurones puis-je surveiller simultanément ?), la résolution (dans quelle mesure puis-je savoir à quel moment un signal est émis et par quel neurone ?) et l’invasivité (une intervention sur l’humain est-elle requise ?).
Basée sur le suivi des flux sanguins, l’imagerie par résonance magnétique est non invasive et permet une grande échelle. Elle a cependant des limitations sur le facteur de résolution. Temporelle, d’abord (décalage de plus d’une seconde entre la transmission d’un signal et sa détection ; une éternité pour des neurones), mais aussi spatiale : les progrès technologiques permettent aujourd’hui de modéliser le cerveau sur environ un million de voxels, ce qui fait que chacun de ces voxels contient encore des dizaines de milliers de neurones.
L’électroencéphalogramme offre lui aussi une grande échelle d’analyse, mais la résolution est limitée par le nombre de couches qui composent le crâne… et les trois membranes que sont la dure-mère, l’arachnoïde et la pie-mère. La variante intracrânienne permet une meilleure résolution temporelle (5 ms) et spatiale (1 cm), mais elle est autrement invasive.
En l’état, on recense trois usages majeurs des interfaces homme-machine.
Le premier consiste à exploiter les fonctions du cortex moteur – qui nous permet par exemple de lever le bras – pour envoyer des commandes à une machine. L’interface homme-machine remplace en quelque sorte les nerfs. C’est cette technologie qui a été utilisée lors de la dernière Coupe du monde de football, dont le coup d’envoi avait été donné par un jeune Brésilien paraplégique équipé d’un exosquelette contrôlé par la pensée.
Deuxième scénario d’usage : stimuler les neurones pour améliorer ou (re)donner la vue et l’ouïe. Dans un cas, avec des implants rétiniens (on estime que 600 à 1 000 électrodes suffiraient pour lire et reconnaître des visages). Dans l’autre, avec des implants cochléaires associant un microphone à des électrodes.
Troisième scénario : la stimulation du système limbique, aussi appelé « cerveau émotionnel » et qui comprend notamment l’hippocampe, l’amygdale et l’hypothalamus. L’exploitation d’électrodes reliées à un pacemaker permet notamment de réduire des douleurs.
La première cible de Neuralink sera précisément la population victime d’affections cérébrales. La start-up compte commercialiser, dans un horizon de 4 ans, un système qui sera capables de pallier des pertes cognitives, qu’elle résultent d’une attaque, d’une lésion ou d’une prédisposition génétique.
Elon Musk table plutôt sur un délai de 8 à 10 ans pour une disponibilité générale. Le temps que le concept « entre dans les habitudes », comme ç’a pu être le cas pour les opérations de l’œil au laser, les défibrillateurs ou les greffes d’organes.
Le « lacet neuronal » de Neuralink se positionnerait comme une troisième couche au-dessus du système limbique et du cortex – ce que le digital est déjà dans un sens, à en croire Elon Musk.
Dès lors, le champ des possibles est vaste. On parle non seulement de réaliser toute action par la pensée (de l’ouverture d’une porte à la réalisation d’une opération chirurgicale), mais aussi des communiquer des idées que l’on n’est pas capable d’exprimer par le langage.
Elon Musk va plus loin, évoquant la notion de « découplage sensoriel ». Ou comment il serait possible de séparer le cortex du système limbique pour ressentir les effets de certaines expériences sans réellement les vivre.
L’homme serait plus globalement connecté à la machine, à tel point que les connaissances lui seraient apportées « à la demande », sans même qu’il sache si elles sont gravées dans son esprit ou si elles ont été téléchargées depuis le cloud.
Cela impliquera d’avoir suffisamment de capacité pour transmettre l’information. Or, on ne sait aujourd’hui implanter au mieux que quelques centaines d’électrodes en simultané dans un cerveau, ce qui permet d’analyser environ un demi-millier de neurones.
D’après Neuralink, il faudrait pouvoir examiner 100 000 neurones à la fois pour commencer à obtenir des résultats. Un million de neurones et on pourra parler de changement radical. Un seuil qui serait atteint en 2034 si on applique la loi de Moore (doublement du nombre de transistors dans une puce tous les deux ans).
Reste aussi la problématique de l’implantation. Comment limiter l’invasivité et s’assurer que le dispositif soit le plus discret possible ? Elon Musk étudie la solution du sans fil… qui impliquera de gérer aussi bien l’amplification des signaux que la compression de données et l’alimentation par induction. En outre, comment faire accepter au cerveau un tel corps étranger ? On tombe là dans les questions de biocompatibilité.
Autre écueil : les machines devront comprendre le langage du cerveau. Et on n’est, comme le souligne Tim Urban, à l’abri ni des bugs, ni des attaques informatiques…
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