Nicolas Debock, Balderton Capital : ICO, la courbe d’apprentissage des VC
Comment percevoir le phénomène ICO (levées de fonds en cryptomonnaies) quand on est capital-risqueur ? L’avis de Nicolas Debock de Balderton Capital.
La blockchain va-t-elle aussi révolutionner le financement des start-up ? Le phénomène des ICO (acronyme d’Initial Coin Offering) est à surveiller de près.
« Par rapport au cycle habituel de financement, on a là des projets qui, en équivalent amorçage, peuvent se retrouver avec 100 millions de dollars. » Cette déclaration teintée d’autant de doute que de fascination, on la doit à Nicolas Debock.
Après un passage par le groupe La Poste (où il supervisait les relations avec les start-up), l’intéressé a rejoint en 2014 le fonds d’investissement européen Balderton Capital, dont le siège se situe à Londres. Il a apporté son soutien à des pépites françaises comme Talend (big data), Vestiaire Collective (e-commerce) ou Aircall (call center dans le cloud).
Nicolas Debock s’occupe aujourd’hui des marchés français, espagnol et portugais, avec une spécialisation dans la FinTech, le SaaS et les marketplaces CtoC.
Sur son fil Twitter apparaît régulièrement le terme « ICO » qui englobe les levées de fonds réalisées en cryptomonnaies, généralement pour aider soit à la création d’une blockchain, soit au développement d’une organisation ou d’une application décentralisée (respectivement DAO et dApp) fonctionnant sur une blockchain existante.
Le terme « initial » en anglais (qui suggère une approche « sans précédent ») dans ICO est galvaudé. Vu son attribution fréquente à des deuxièmes, voire troisièmes tours de table en cryptomonnaies.
Plus vite que la loi
Pour Nicolas Debock, ces opérations présentent, dans leur philosophie comme dans leur mode opératoire, des similitudes avec les campagnes de crowdfunding. Sauf qu’en l’état, elles ne sont pas réglementées.
« Pour l’instant, c’est un peu le Far West », considère le capital-risqueur en soulignant les nombreuses formes que peuvent prendre ces ICO : avec ou sans plafond de financement, basées sur un protocole de validation par preuve de travail (proof-of-work, comme avec Bitcoin) ou par preuve d’enjeu (proof-of-stake, qu’utilise par exemple le réseau Nxt), etc.
Indépendamment des considérations légales, ce qui impressionne, c’est surtout les montants en jeu et la rapidité des levées.
La semaine passée, la start-up Brave, portée par le créateur de JavaScript et un cofondateur de Mozilla, a réuni, en ethers, l’équivalent de 35 millions de dollars pour son projet de blockchain dédiée à la publicité digitale.
Du côté de Civic, qui donne dans la vérification d’identités, on a réuni presque la même somme dans le cadre d’une ICO ouverte ce 21 juin pour une durée de 7 jours.
La révolution token
Comment expliquer de tels investissements ? D’après Nicolas Debock, une partie de l’ampleur du phénomène est endogène : avec le boom des cryptomonnaies, les vétérans du secteur se sont constitué un trésor de guerre.
Dans la pratique, l’essentiel des volumes drainés relèverait de la technique du « pump & dump ». Ou comment certains spéculateurs misent sur la fameuse FOMO (« Fear of Missing Out », qu’on peut traduire par « peur de louper l’occasion ») pour multiplier leur mise « par 5, par 10, très rapidement ».
Ici, la FOMO s’applique à ceux qui, croyant en un projet mais n’ayant pas réussi à participer à la levée, se tournent, pour se rattraper, vers les plateformes d’échange, afin d’y acheter ce qu’ils n’ont pas pu obtenir : des tokens.
Ces jetons sont l’élément de base des ICO. Ils constituent les unités de valeur associées aux projets financés. Par exemple, dans le cas d’iEx.ec, qui a levé environ 12 millions de dollars en bitcoins et en ethers au mois d’avril pour son infrastructure cloud décentralisée mêlant blockchain et informatique en grid, ils serviront à payer les fournisseurs d’apps, de serveurs et de données.
L’indexation de ces tokens sur les plateformes d’échange les rend convertibles en d’autres devises virtuelles… et par là même, au bout du compte, en monnaie fiduciaire. Une perspective dans l’absolu d’autant plus attractive que les investisseurs ne sont pas soumis aux obligations que suppose le schéma « traditionnel » de la prise de participation en échange d’actions.
Démesure ?
Contrepartie à cette liberté : des risques accentués par l’absence de protection juridique. Et pour cause : il n’existe pas, à l’heure actuelle, de loi sur les ICO en France.
« Toutes les parties prenantes sont en train d’apprendre », insiste Nicolas Debock, en rappelant que si un certain nombre de lois nationales ont été modifiées pour laisser émerger le crowdfunding, « il y a des limites qui sont largement dépassées par les montants investis dans les ICO, où certains mettent 5 ou 10 millions d’un coup » (en France, le plafond est fixé à 2,5 millions d’euros par levée dans le cadre du financement participatif en fonds propres).
Restent aussi des questions sur la véritable valeur des projets et leurs besoins réels en capital. « Par définition, quand vous créez un produit, vous êtes 10, 15, 20 développeurs pour faire la première itération. […] Je me demande ce que certaines de ces sociétés vont faire avec 30, 50 ou 60 millions de dollars sur leur balance sheet », s’interroge notre interlocuteur.
Sous cet angle, le modèle ICO perturbe l’équilibre établi dans le monde des VC : un seed pour développer un produit et réunir des bêtatesteurs, un deuxième tour de quelques millions pour faire connaître plus largement l’offre, avant éventuellement de se projeter à l’international en réunissant « 5 à 10 millions ».
« Restons humbles. Cela m’a l’air exubérant, mais il y a peut-être des projets qui vont réussir », tempère Nicolas Debock, qui n’exclut pas que le futur « [soit] aux applications décentralisées » dont les tokens auront une valeur dérivée de la puissance du réseau sous-jacent, tout comme la valeur d’une action évolue théoriquement en fonction des résultats d’une société.
Une nouvelle confiance
Demeure un élément délicat pour les investisseurs, inhérent à la nature même de la blockchain : les applications décentralisées suppriment le point de confiance unique en faveur d’un fonctionnement reposant sur un algorithme.
Derrière cette redéfinition de la notion de confiance, un enjeu de gouvernance : si les actions donnent des droits parmi lesquels des sièges au conseil d’administration, qu’en est-il pour les organisations décentralisées ? Quelle valeur sont-elles réellement à même d’apporter à des actionnaires ?
Difficile, par ailleurs d’éclipser la question de l’intégrité des porteurs de projets. Face aux soupçons de fraude qui ont pesé sur Matchpool (mise en relation d’individus par affinités) ou Bancor (système monétaire hiérarchique), certains ont pris des initiatives allant au-delà de la traditionnelle publication d’un livre blanc.
Les uns ont choisi d’inscrire, dans le contrat de leur application sur la blockchain, des conditions au déblocage des fonds collectés – et parfois stockés, en complément, sur un compte séquestre. Les autres ont mis en place un ou des porte-monnaie multisignature(s) pour accroître la protection des capitaux.
Quand t’es dans la blockchain
Pour détecter les tendances dans l’univers des ICO, Nicolas Debock surveille notamment les groupes WhatsApp sur les cryptomonnaies. « Il y a aussi beaucoup de bouche à oreille », confie-t-il.
Signe de l’intérêt que suscite le phénomène, des fonds comme Polychain Capital ont une activité dédiée aux ICO – dans un but purement financier, s’entend.
Il y a aussi ces fonds qui se positionnent directement sur des registres décentralisés, à l’instar de Blockchain Capital. À ce sujet, Nicolas Debock fait le lien avec ceux que l’on appelle les « cryptomaximalistes », qui tiennent à maintenir une séparation stricte entre cryptos et fiduciaire.
« Petit à petit, des intermédiaires se mettent en place : c’est en train de se professionnaliser », explique-t-il, en faisant le parallèle avec la demande de certains investisseurs qui « commencent à diversifier une petite partie de leurs mises en cryptomonnaies ».
(En illustration, Nicolas Debock intervenant dans le cadre du OuiShare Fest 2015)