La chambre criminelle de la Cour de cassation vient de casser, aujourd’hui mercredi 7 juin 2006, l’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 10 mars 2005. Cet arrêt, qui confirmait en appel un jugement du tribunal de grande instance de Rodez du 13 octobre 2004, avait relaxé Aurélien D. Cet internaute était accusé d’avoir reproduit 488 oeuvres cinématographiques sur CD ROM, dont un tiers téléchargé à partir d’Internet. Le reste des copies provenant de prêts de DVD (voir édition du 11 mars 2005). Pour motiver sa décision, la Cour d’appel de Montpellier avait notamment accordé au prévenu le bénéfice de l’exception du droit à la copie privée. Autrement dit, il ne s’agissait pas de contrefaçon mais bien d’un usage strictement privé.
Un raisonnement qui n’avait guère convaincu les producteurs, distributeurs (Fédération nationale des distributeurs de film) et éditeurs (Syndicat de l’édition vidéo) à l’origine de la plainte. « J’avais établi que les copies n’étaient pas licites puisque la source était illicite », rappelle Maître Christian Soulié, avocat des plaignants. Ce qui signifie que « la copie emprunte la nature de la source ». Un argument que la Cour de cassation a retenu « en reprochant à la cour de Montpellier de n’avoir pas répondu à ce point essentiel », souligne l’avocat.
Le test des trois étapes
Pour motiver son arrêt, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire en France s’est appuyée sur le triple test. Ce « test des trois étapes » vérifie qu’un certain nombre de conditions sont remplies pour autoriser les exceptions d’exploitation d’une oeuvre face au droit exclusif des auteurs et ayants droit tel qu’il est établi par la Convention de Genève de 1996 dans le traité de l’Office mondial de la propriété intellectuelle (OMPI) et appliquée dans la directive européenne sur le droit d’auteur, qui connaît aujourd’hui sa transposition en droit français à travers la DADVSI (voir dossier spécial).
En résumé, ce triple test vise à vérifier que l’application d’une exception au droit d’auteur ne porte pas préjudice à l’exploitation commerciale de l’oeuvre. Dans l’affaire Aurélien D., les magistrats de la Cour de cassation ont donc estimé qu’il y avait préjudice. Le test en trois étape avait déjà été utilisé par cette juridiction dans l’affaire « Mulholland Drive » (voir édition du 28 février 2006). La Cour de cassation avait ainsi établi que la copie, même à usage privée, d’une source licite n’est pas recevable à partir du moment où les ayants droits s’y opposent, notamment par des mesures techniques de protection.
Coup de tonnerre
« C’est un coup de tonnerre », clame Maître Soulié, « car c’est une bonne leçon de droit. » Laquelle devrait faire jurisprudence, la Cour de cassation étant la plus haute instance juridictionnelle nationale. Autrement dit, le téléchargement sur Internet ne peut entrer dans le cadre de l’exception au droit à la copie privée. Vu sous cet angle, « l’affaire Aurelien D. complète celle de Mulholand Drive », estime Maître Soulié défenseur dans les deux dossiers. Ce qui laisse désormais peu de marges aux adeptes de la copie privée, à partir de sources issues d’Internet ou non. Pour autant, l’arrêt de la Cour de cassation ne remet pas en cause l’exception au droit à la copie privée, selon l’avocat.
Une interprétation que remet en cause Lionel Thoumyre, juriste pour la Spedidam (Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes de la musique et de la danse). « Le test en trois étapes n’est pas un instrument pour le juge français, c’est au législateur d’appliquer la norme, pas au juge. » D’autre part, si l’arrêt de la chambre ciminelle de la Cour de cassation fait jurisprudence, « elle peut être renversée par une autre chambre de la Cour de cassation, notamment la chambre civile, et il peut y avoir une résistance de juridiction sur le fond ».
« Synergie » entre magistrats et législateur
Au-delà des aspects procéduriers du système, le juriste s’interroge sur l’interaction entre la Cour de cassation et le législateur. « On constate une synergie surprenante entre la Cour de cassation et le ministère de la Culture », n’hésite pas à déclarer Lionel Thoumyre. De la à dire que le législateur aurait besoin d’un coup de pouce pour faire passer sa loi sur le droit d’auteur actuellement bloquée au niveau de la commission mixte paritaire, il n’y a qu’un pas que nous nous garderons de franchir.
Quant au prévenu, il devrait voir son cas rejugé par une Cour d’appel d’ici quelques mois au regard de la jurisprudence établie par la Cour de cassation. Il risque donc d’avoir à verser d’importants dommages et intérêts réclamés par les ayants droit. « Notre but n’est pas de faire rendre gorge à Aurélien D. », soutient Maître Soulié, « mais de rappeler que les normes sont applicables à la société, aux politiques comme aux professionnels. » C’est désormais chose faite.
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