La justice ne perd pas de temps dans le dossier UberPop, du nom de ce service de transport de particulier à particulier exploité par la société Uber et désormais interdit en France.
Le procès de Thibaud Simphal et Pierre-Dimitri Gore-Coty, respectivement directeur général d’Uber France et directeur de l’exploitation pour la zone EMEA (Europe, Moyen-Orient, Afrique), s’est ouvert devant le tribunal correctionnel de Paris.
La première audience s’est tenue jeudi 11 février à la première chambre civile du Palais de justice.
Les prévenus doivent répondre, à la fois en tant que personnes morales (représentant Uber) et en engageant leur responsabilité individuelle, de six chefs d’accusation. Notamment une « pratique commerciale trompeuse », une « complicité d’exercice illégal de la profession de taxi » et des entorses à la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978.
Thibaud Simphal et Pierre-Dimitri Gore-Coty se sont entourés de 7 avocats, selon Le Monde. Du côté des parties civiles, une trentaine d’associations et de personnes physiques se sont jointes à la procédure initialement portée par cinq plaignants.
Les parties civiles réclament, à elles toutes, plus de 150 millions de dommages et intérêts. Uber risque, en parallèle, une amende de 1,5 million de dollars ; les deux dirigeants en comparution, jusqu’à 5 ans de prison et 300 000 euros d’amende, comme le note France Soir.
La première journée d’audience a porté essentiellement sur l’organisation d’Uber en France et en Europe. Le rôle de Thibaud Simphal et de son associé dans la mise en relation des chauffeurs et des passagers a également été évoqué.
La ligne de défense des deux accusés est la suivante : ils considèrent ne pas avoir exercé en tant que mandataires sociaux, mais en qualité de directeurs pour le compte d’une société chargée uniquement des fonctions marketing et publicité d’une application exploitée par Uber BV, société de droit néerlandais (une branche de la société californienne d’Uber).
Pour mieux saisir les tenants et aboutissants du dossier, un peu de chronologie.
Retour au 6 février 2014, date du lancement, en France, d’UberPOP, service mettant en relation des passagers et des chauffeurs non professionnels assurant le transport avec leur propre véhicule.
À l’époque, l’offre est clairement présentée comme du covoiturage permettant à toute personne majeure disposant d’un permis de conduire depuis plus de trois ans et d’un casier judiciaire vierge de s’improviser chauffeur pour le compte de tiers.
Rapidement, la concurrence monte au créneau. Face aux inquiétudes de l’Union nationale des chauffeurs courtois (UNCC) autour de « problèmes évidents d’assurance et de travail dissimulé », la DGCCRF lance une enquête et saisit, fin avril, le procureur de la République de Paris.
L’Union nationale des taxis (UNT) et la Chambre syndicale des loueurs d’automobiles (CSLA) se constituent parties civiles et accusent Uber de présenter comme du covoiturage ce qui est en fait « une offre payante de transport entre particuliers ».
Le 11 juillet 2014, le parquet requiert – entre autres – une amende de 100 000 euros contre la filiale française d’Uber. Une amende confirmée en délibéré le 16 octobre par le tribunal correctionnel de Paris, dont les considérations se basent notamment sur le système de tarification et sur le modèle de rémunération des chauffeurs.
En novembre, UberPOP a déjà saisi 160 000 utilisateurs dans 6 villes. Mais il dérange toujours plus au regard des prix agressifs pratiqués, non seulement vis-à-vis des taxis, mais aussi des autres services proposant des prestations similaires.
Si bien que le concept fait l’objet d’une assignation en justice, par Greentomatocars et Transdev Shuttle France (deux filiales du groupe Transdev) ainsi que LeCab (exploité par la société Voxtur), qui demandent son interdiction sur le territoire.
Le 22 novembre, lors d’une audience en référé devant le tribunal de commerce de Paris, les avocats d’Uber trouvent une parade : le dépôt de quatre questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) et un recours à Bruxelles concernant la légalité de la loi Thévenoud, votée le 18 septembre 2014 est destinée à réglementer l’équilibre concurrentiel taxis-VTC.
Le 15 décembre, Uber échappe à nouveau à l’interdiction : le tribunal de commerce de Paris se déclare incompétent pour traiter le dossier. S’il semble alors acquis que le service UberPOP entre en infraction avec la loi Thévenoud, cette dernière n’est pas encore entrée en vigueur, faute de décrets d’application.
Du côté du ministère de l’Intérieur, on se dit sûr d’une interdiction « imminente » avec la mise en application de la loi Thévenoud attendue pour le 1er janvier 2015.
Au printemps, la tension monte : UberPOP fait théoriquement l’objet d’une interdiction d’exploitation… Sauf qu’Uber se présente comme « une plate-forme de mise en relation conducteur-passager » et non comme « un prestataire de transport ».
Dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte en novembre 2014, les locaux de la branche française sont perquisitionnés, pour plusieurs motifs dont une possible conservation illégale de données personnelles au-delà de la durée autorisée.
En parallèle, Uber change de stratégie vis-à-vis des chauffeurs UberPOP, les invitant à créer un statut d’autoentrepreneur, à disposer d’une assurance en responsabilité civile professionnelle ou encore à obtenir une attestation d’aptitude physique de conduite.
Le 31 mars 2015, la cour d’appel de Paris, qui a pris le relais du tribunal de commerce, décide de reporter son jugement au mois de septembre, considérant qu’il n’existe « aucun élément pour que des mesures provisoires ou conservatoires contre UberPOP soient ordonnées ».
L’exploitation du service peut donc se poursuivre.
Le tournant intervient en début d’été. Le 3 juillet à 20h00, UberPOP est suspendu dans toute la France. C’est la deuxième fois qu’Uber renonce à exploiter l’une de ses offres sans y avoir été contraint au préalable par la justice*. Le service compte alors près de 10 000 conducteurs occasionnels dans l’Hexagone, pour 400 000 utilisateurs.
Thibaud Simphal impute cette suspension à une volonté de « protéger les chauffeurs », « victimes de violences » depuis la mobilisation musclée organisée par les taxis une semaine plus tôt. Des taxis qui dénoncent notamment le fait que les chauffeurs UberPOP ne paient ni cotisations sociales, ni impôts, ne soient pas assurés professionnellement et n’aient aucun agrément.
Face à la montée de violence, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve avait demandé au préfet de Paris d’interdire UberPOP. Le lendemain, 26 juin, le président de la République François Hollande avait demandé, en marge d’un sommet européen à Bruxelles, que le service soit « dissous » et « déclaré illégal ».
Le 29 juin, Thibaud Simphal et Pierre-Dimitri Gore-Coty étaient placés en garde à vue, avant d’être déférés au parquet le lendemain dans la matinée.
On apprenait alors qu’ils seraient convoqués à la rentrée devant le tribunal correctionnel de Paris pour répondre de « pratique commerciale douteuse », de « complicité par instigation et fourniture de moyens d’exercice illégal de l’activité d’exploitant-taxi » et « d’organisation illégale d’un système de mise en relation de clients ». Mais aussi de « traitement de données à caractère personnel sans déclaration préalable à la CNIL » et « d’enregistrement ou conservation illicite de données à caractère personnel concernant une infraction, condamnation ou mesure de sûreté ».
L’affaire fait des remous chez la concurrence. Tout particulièrement au regard de l’arrêté signé le 25 juin par la préfecture de police de Paris pour porter « réglementation particulière de l’activité de transport routier de personnes […] à titre onéreux avec des véhicules de moins de dix places dans certaines communes de la région d’Île-de-France ».
Les sociétés concernées réagissent différemment. Certaines rentrent dans le rang, comme Djump, qui terminera quelques mois plus tard dans le giron de Chauffeur-Privé. D’autres, comme Heetch, refusent aujourd’hui encore de suspendre leur activité.
Le 22 septembre 2015, la situation se complique pour Uber. Les Sages réaffirment la constitutionnalité de l’article L. 3124-13 du code des transports et entérinent par là même l’illégalité d’UberPOP en France.
Dans sa QPC transmise le 23 juin par la Cour de cassation, Uber pointait du doigt plusieurs dispositions du premier alinéa, estimant qu’elles méconnaissaient la liberté d’entreprendre et le principe d’égalité devant les charges publiques (voir notre article : « UberPOP : ce qui a coincé devant le Conseil constitutionnel »).
Le dernier temps fort de l’année est intervenu le 7 décembre 2015 : Uber a écopé, en appel, d’une amende relevée à 150 000 euros pour avoir qualifié son service UberPOP de covoiturage.
Entretemps, on avait appris que le procès de Thibaud Simphal et Dimitri Gore-Coty, qui devait initialement se tenir le 30 septembre 2015 devant le tribunal correctionnel de Paris, avait été renvoyé aux 11 et 12 février 2016, après une demande de levée de scellés sur certaines pièces parmi lesquelles du matériel informatique.
Nous y sommes.
*La première fois, c’est l’affaire UberX à Portland aux Etats-Unis en décembre 2014 selon CNN.
(Crédit photo : Thibaud Simphal, copie écran vidéo Euronews)
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