Est-il désormais obligatoire d’afficher un message d’avertissement avant tout lien vers un site américain susceptible de publier du contenu interdit en France ? Les internautes devront-ils se doter d’un cyber-passeport ? Chaque site devra-t-il prévoir d’interdire l’accès à certains de ses contenus en fonction des lois en vigueur dans les pays des internautes qui le consultent ? La réponse dépend de la lecture que l’on effectue de l’ordonnance de référé rendue ce lundi 20 novembre par le juge Gomez (voir édition du 20 novembre 2000). Sur une actualité aussi « chaude », les avis des juristes divergent.
L’affaire Yahoo n’est toujours pas jugée sur le fond
Tout d’abord, il faut avoir conscience que le jugement n’est « qu’une ordonnance de référé » ainsi que le souligne Patrick Thieffry, avocat à Paris et New York. A ce titre, le professeur de droit international du commerce électronique à l’université de Paris II considère qu’« il serait disproportionné de faire appliquer cette décision aux USA. » Patrick Thieffry est formel : « C’est une mesure provisoire pour faire cesser une pratique, ce n’est rien du tout », lance-t-il. « Yahoo peut encore faire appel, on peut aussi envisager un pourvoi en cassation. » Bref, selon lui, faire appliquer la décision est loin d’être acquis. « Le problème est que le jugement n’a pas été rendu sur le fond », explique Valérie Sédallian, avocate spécialiste du droit des nouvelles technologies qui rejoint ici les propos de Patrick Thieffry. De fait, la décision ne possède pas de caractère définitif.
« Pour que la décision soit appliquée aux Etats-Unis, une procédure dite d’exequatur doit être réalisée » explique Patrick Thieffry. Un juge américain doit se saisir de l’affaire, qui sera de ce fait examinée de nouveau lors d’un débat contradictoire. « Entre l’appel en France et le passage devant un tribunal américain, la procédure prendrait plusieurs années », souligne de son côté Valérie Sédallian, qui a commenté l’affaire sur Juriscom. Mais de toute manière, il n’y a pas lieu de l’envisager actuellement : « C’est de l’ordre du fantasme », prétend Patrick Thieffry. De plus, la décision française viole le premier amendement de la constitution américaine, qui défend la liberté d’expression, même sur les sujets racistes. Pour autant les « demanderesses » (la Licra, l’UEJF et le Mrap) pourraient déposer une demande en liquidation d’astreinte auprès de la justice française. En effet, le juge a fixé à 100 000 francs par jour la somme que devrait verser Yahoo inc. si la décision n’est pas appliquée dans les 3 mois. « Les actifs de Yahoo en France pourraient être saisis », prévient Valérie Sédallian.
Une décision plus facilement applicable dans l’Union européenne qu’aux Etats-Unis« Sans entrer dans les détails, il est beaucoup plus simple de faire appliquer la décision dans l’Union européenne », remarque de son côté André Lucas, professeur de droit à l’université de Nantes. Spécialiste de la propriété intellectuelle et du droit d’auteur dans les nouvelles technologies, André Lucas a présenté un rapport sur « la responsabilité des différents intermédiaires de l’Internet » lors du colloque « l’Internet et le droit » qui s’est tenu fin septembre à Paris. « Encore faudrait-il que Yahoo inc. possède des actifs en Europe », souligne-t-il. Selon lui, la décision est fortement liée à la gravité de l’affaire. « Nous sommes dans le cas d’un conflit de juridiction, mais quand la souveraineté de l’Etat est en jeu, le juge peut choisir de condamner, » explique-t-il avant de remarquer : « Je doute qu’une telle décision aie été prise dans le cadre du droit d’auteur par exemple. »
Tous trois s’accordent sur le fait que si la décision ne peut faire jurisprudence au sens propre du terme (il doit s’agir d’un arrêt en cassation), elle sera forcément citée dans les tribunaux et les avocats appuieront leurs plaidoiries sur cet exemple. « Ce qui est surtout important », note André Lucas, « c’est que cela va peser sur les processus en cours et permettre de faire avancer les réflexions. »
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