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Projet de loi numérique : les préconisations du CNNum

Dans quelle mesure s’appuyer sur le numérique pour construire une économie ouverte, durable et compétitive tout en s’assurant que ce développement reste favorable aux libertés, à l’équité et à l’innovation ? Comment repenser les formes d’intervention de l’État et ses relations avec les acteurs de la société ?

Autant de problématiques abordées par le Conseil national du numérique (CNNum) dans un rapport – document PDF, 398 pages – remis ce jeudi 18 juin par son président Benoît Thieulin au Premier ministre Manuel Valls.

Intitulé #Ambition numérique, ce document est le fruit d’une concertation citoyenne de cinq mois menée après saisine du chef du gouvernement (dont la lettre du 4 septembre 2014 est disponible en annexe). Il regroupe 70 propositions réparties en 4 volets censés donner corps à une ambition : « faire du numérique un levier majeur de transformation […], la matrice d’un renouveau de la politique industrielle ».

Pourquoi pas la France ?

Le ton est donné dans la préface. Benoît Thieulin évoque une « inversion des valeurs d’Internet […] : ouverture, collaboration […], accroissement du pouvoir d’agir […] laissent de plus en plus la place à une hypercentralisation organisée […] par des entreprises parfois guidées par leur seule croissance ».

Le président du CNNum dénonce aussi « l’industrialisation du collaboratif » et « la reverticalisation du Web ». Il déclare : « Les digital natives sont bien des enfants du numérique et traités comme tels : loin d’être en position de construire en conscience les outils de demain et de s’émanciper vis-à-vis des nouvelles aliénations ».

Et de mentionner « un nouveau type de pouvoir, qui ne passe plus par la régulation […], mais par le contrôle, l’individualisation, la mise en profils, la modulation, la surveillance, le traçage ».

Toujours d’après Benoît Thieulin, « la Chine, la Russie, mais surtout le Japon, la Corée du Sud, le Brésil, l’Indonésie, sont parvenus à développer des écosystèmes numériques locaux que l’on peine à voir se développer dans les pays européens ». D’où la nécessité d’une « vision générale […] qui ne se résume pas à un empilement de normes […], ni à une harmonisation des règles entre États membres ».

Régulation des plates-formes

Pour « piloter la révolution à l’œuvre et ne pas la subir », le CNNum s’appuie sur un socle de principes : le déploiement du numérique doit renforcer l’inclusion de tous ; ses bénéfices doivent être appréhendés tant à l’échelle individuelle que collective ; enfin, les garanties propres au droit commun doivent pouvoir s’appliquer, quitte à évoluer.

La loyauté et la liberté des acteurs de cet espace numérique commun fait l’objet de 17 recommandations, dont celle d’affirmer le principe de neutralité du Net en encadrant le recours aux services spécialisés et en se donnant les moyens de contrôler sa bonne mise en œuvre.

Il s’agira aussi, d’après le CNNum, de renforcer une partie du spectre pour les usages collectifs et de protéger les libertés fondamentales par une « implication renouvelée dans la gouvernance du Net » – ce qui impliquera une collaboration entre société civile, réseau académique, communauté technique et acteurs économiques.

Le Conseil national du numérique se prononce par ailleurs en faveur d’un droit fondamental à l’autodétermination informationnelle. En d’autres termes, assurer la maîtrise de leurs données par les individus vis-à-vis des entreprises et des administrations, notamment à travers un droit effectif à la portabilité de ces données.

Autre piste : consacrer le principe de loyauté des plates-formes, qui devront « fournir la bonne information au bon moment », via des CGU lisibles et non ambiguës.

Cette notion de loyauté vaudra aussi pour les algorithmes destinés à la personnalisation, au classement et au référencement… tout comme pour les acteurs économiques. Ce qui induira l’ouverture de passerelles entre grands écosystèmes concurrents et un renforcement de la coopération entre autorités.

La question du renseignement est abordée dans la 13e, 14e, 15e, 16e et 17e recommandations. On retiendra cette volonté de protéger les lanceurs d’alertes, de promouvoir le chiffrement des données et de s’engager « contre l’exportation de technologies de surveillance et de censure du Net à destination des régimes autoritaires ».

L’innovation par l’ouverture

Deuxième thématique : la transformation numérique de l’action publique. Entre ouverture, innovation et participation, il s’agira notamment d’encourager la création de start-up d’État au sein de l’administration.

Une première étape vers un gouvernement « plus ouvert » qui aura soin de renforcer la transparence et la traçabilité de ses processus décisionnels en généralisant les outils de visualisation des textes normatifs et de leur élaboration. Mais aussi en élaborant de nouveaux modes d’évaluation des politiques publiques sur le principe de l’open data.

Concernant les services numériques au public, il faudra « [partir] des usages pour améliorer la conception », tout en développant la médiation autour de ces services. Non sans encadrer l’échange des données personnelles détenues par l’administration.

Des ambitions qui trouvent un prolongement dans la stratégie d’ouverture des données publiques. Laquelle devra, pour le CNNum, s’appliquer par défaut, avec la gratuité comme objectif général.

Restera à favoriser le développement et la coordination des stratégies, avec un focus sur l’accompagnement des collectivités territoriales. Les citoyens seront pour leur part guidés dans la formulation de leurs demandes d’accès à des informations publiques communicables.

Trois recommandations (30, 31, 32) visent à insuffler une culture de l’innovation au sein de l’administration : renforcer l’offre de formation numérique à destination des agents publics, développer les pratiques collaboratives avec une plate-forme dédiée aux projets ouverts et favoriser l’échange de bonnes pratiques entre les acheteurs publics.

Des bases européennes communes

Mais comment construire une économie compétitive en prenant en compte des paradigmes comme la rapidité de la croissance et la concurrence internationale ? C’est l’objet de la troisième section du rapport, forte de 14 recommandations.

Pour le CNNum, cette approche ne peut se concevoir sans une définition commune de l’innovation au niveau européen. Ce qui implique la mise sur pied d’un « Innovation Act » et une réflexion, en parallèle, sur l’assouplissement des règles relatives aux aides d’État.

On retrouve la logique d’interaction entre les entreprises et le monde académique mentionné à plusieurs reprises dans le rapport. Une démarche qui se traduira par la diversification du recrutement et le développement de la recherche collaborative.

Il incombera d’abord aux entreprises d’adapter leur gouvernance aux enjeux numériques. Les missions du médiateur inter-entreprises seront renforcées dans cette optique, tandis que le principe d’innovation sera inscrit dans le droit des marchés publics. Le but étant plus globalement d’adapter les dispositifs juridiques et fiscaux aux besoins des innovateurs.

C’est toute la structure du financement de l’économie de l’innovation qu’il faudra revoir. Notamment en remobilisant l’épargne pour favoriser l’investissement direct et en accompagnant l’évolution du crowdfunding sous toutes ses formes.

Difficile néanmoins d’éclipser l’urgence de la compétitivité internationale. Les Pôles de compétitivité joueront un rôle primordial dans l’approfondissement de la politique d’aménagement des territoires.

Mais l’objectif sera bien de s’insérer dans un réseau à dimension européenne, pour intensifier l’attractivité de la France auprès d’acteurs mondiaux et, à l’inverse, de faciliter le développement de la French Tech sur la planète.

Logiciel libre et médiation numérique

Entre solidarité, équité et émancipation, quelle sera concrètement la forme de cette société numérique ? C’est l’objet de l’ultime section du rapport, qui réunit 34 propositions.

Premier point : l’économie collaborative, tendance lourde qu’il faudra savoir quantifier et cartographier (typologie des modèles, des acteurs ; impacts), puis encourager tout en la régulant, si possible par l’application – ou l’évolution – du droit commun. Restera à la rendre visible en l’inscrivant dans les politiques publiques locales.

Concernant les biens communs, numériques ou non, le CNNum en encourage la production et la diffusion entre les acteurs publics en se prononçant notamment en faveur de l’utilisation du logiciel libre. Mais aussi d’une définition « positive et non par exception » du domaine public, pour favoriser son élargissement.

D’après les auteurs du rapport, la société numérique devra être « inclusive ». En l’occurrence, reconnaître et pérenniser les métiers de la médiation numérique, développer la pratique dans les services publics locaux et faire de l’accès à Internet un droit effectif en assurant la couverture très haut débit.

Le numérique portera également des systèmes de solidarité : accès aux droits sociaux (avec ouverture d’un débat éthique sur l’usage des données sanitaires et sociales), octroi aux utilisateurs d’un pouvoir de décision et d’action sur les prestations dont ils bénéficient, diversification des formes d’assistance, etc.

Le CNNum porte un intérêt particulier au secteur de la santé, entre droit à l’autodétermination informationnelle, mise à disposition des données dans un cadre sécurisé, formation des professionnels aux enjeux du numérique et mise en place d’une boucle d’amélioration continue des politiques publiques.

Même réflexion pour le secteur éducatif. L’objectif principal étant de donner aux enseignants « les moyens de comprendre, de mettre en œuvre et de respecter l’exception pédagogique pour une meilleure adéquation avec les usages numériques ».

Il s’agira avant tout de passer d’une logique d’équipement à une logique d’environnement en systématisant la disponibilité des connexions Internet et en garantissant l’usage de normes ouvertes, interopérables sur les supports, les logiciels et les contenus. Tout en s’appuyant sur des dispositifs comme les crédits ECTS pour créer un espace européen d’apprentissage certifiant.

La justice sera également concernée par cette transformation numérique. L’occasion d’informatiser son fonctionnement quotidien en abordant dans un premier temps la dématérialisation des justificatifs. Et en incitant les structures qui offrent un service de consultation gratuite à y adjoindre un dispositif en ligne.

Crédit image : solarseven – Shutterstock.com

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