(Article modifié le 29/01/07) Spécialiste du haut débit pour le compte de l’Idate, un institut français d’analyse des secteurs télécoms, Roland Montagne revient sur les dernières avancées en matière de très haut débit.
En fin d’année 2006, des plus grands opérateurs comme Free, France Télécom ou Noos-Numéricable ont pris position sur le déploiement de la fibre en France. Régulation, modèle économique, relations entre opérateurs, gestion des contenus? les acteurs télécoms vont devoir remettre beaucoup de choses à plat dans ce nouvel environnement très haut débit. (Interview réalisée le 20 décembre 2006.)
Vnunet.fr : Orange vient de dévoiler une nouveau pan de son programme très haut débit. C’est le signal que le marché attendait ?
Roland Montagne : France Télécom présente cette initiative comme une phase de pré-déploiement du très haut débit. L’annonce de l’opérateur a peut-être été accélérée avec l’actualité bouillonnante liée à la Freebox Optique qui va arriver début 2007. En dehors du déploiement de la fibre sur Paris qui sera relativement facile, il sera intéressant de voir comment l’opérateur compte prendre position dans d’autres métropoles françaises et comment il compte répondre à la volonté de Free de proposer une offre très haut débit à un tarif similaire à son offre ADSL.
Dans son communiqué, France Télécom compare le démarrage de la FTTH ressemble à celui de l’ADSL en 1999. En dehors de la faible base d’abonnés installés initialement, ce rapprochement des deux marchés est-il pertinent ?
L’ADSL ne représentait pas à une rupture technologique aussi grande que celle de la Fibre. Cette fois-ci, on passe d’un réseau à un autre. Et les montant d’investissement seront nettement plus élevés. On peut estimer que les cons ommateurs répondront favorablement à l’arrivée de la fibre. Ils ont pris l’habitude de disposer du confort du haut débit. L’ADSL a eu une vertu pédagogique en quelque sorte.
Autre différence par rapport au déploiement ADSL : la position de France Télécom paraît nettement moins avantageuse?
Il est vrai que le degré de compétitivité dès le lancement du très haut débit n’est pas du tout le même, comparé à la genèse de l’ADSL. En France, nous disposons de l’un des marchés haut débit les plus compétitifs, notamment grâce aux efforts procurés par l’Autorité de régulation des communications électroniques en matière de dégroupage. Le challenge consiste à déployer le très haut débit sur le territoire national, tout en conservant cette compétitivité qui fait la réputation du marché français.
De plus, les opérateurs vont devoir rapidement évoquer l’aspect mutualisation des réseaux de fibre optique?
Avec l’ADSL, les travaux en génie civil étaient limités. Les réseaux de paires de cuivres étaient déjà constitués. Sur la question de la capillarité, on n’est pas du tout sur la même échelle. Le principal coût de déploiement dans la fibre optique, c’est le génie civil. Dans le rapport que l’Idate a remis au Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie sur le déploiement du marché du très haut débit, 70% des coûts sont liés au génie civil dans un modèle greenfield [déploiement intégral du réseau, ndlr]. D’où l’idée de mutualisation et d’entente entre opérateurs pour optimiser les réseaux. Pour l’instant, il règne une certaine volonté de collaboration. Free a clairement indiqué qu’il était partant pour ouvrir son réseau à d’autres opérateurs. Reste à savoir dans quelles conditions. Côté France Télécom, il assure qu’il est disposé à proposer un accès à son réseau sur la base de tarifs orientés vers les coûts réels. Le cas de la Ville de Paris est un peu atypique puisque les opérateurs alternatifs utilisent les réseaux visitables des égoûts pour déployer la fibre. Mais, dès que l’on va sortir de la capitale, la question de la mutualisation va se poser de manière plus aiguë.
Avec l’essor du très haut débit, le cablo-opérateur Noos-Numéricable repart à l’offensive. Estimez-vous que l’on peut s’attendre à un retour gagnant ?
Je dirais que c’est un peu la dernière chance du câble. Les dernières annonces de Noos-Numéricable semblent donner le tempo. Ce secteur a connu une sévère restructuration et il ne reste plus qu’un acteur unique. Il dispose d’avantages certains dans le domaine du très haut débit. Dans le cadre de ses activités multi-services (téléphonie, télévision, Internet), le câblo-opérateur a déjà réalisé un certain nombre de travaux en génie civil. Il peut tirer de la fibre optique dans les conduits qu’il a déjà creusés. Dans l’étude remis à Bercy, on estimait que les coûts greenfield dans le déploiement FTTH des opérateurs s’élevaient dans une fourchette de 10,4 et 11,3 milliards d’euros [et non 8,4 et 11,3 milliards d’euros comme précédemment indiqué, ndlr] pour couvrir 40% de la population. Pour le câble, on avait estimé à un milliard d’euros pour mettre à jour son réseau comprenant 8,5 millions de prises en France.
Pour l’année 2007 qui sera marquée par l’élection présidentielle, estimez-vous que la fibre pourrait devenir un enjeu présidentiel ?
C’est un sujet déjà très suivi par le monde politique et le gouvernement. Jacques Chirac et Bertrand Delanoë se sont exprimés sur le sujet en début d’année 2006. François Loos, ministre de l’Industrie, a fixé comme objectif d’atteindre 4 millions d’abonnés très haut débit d’ici 2012.
On pourrait s’attendre à une surenchère dans les débats politiques autour du déploiement FTTH ?
Je crois qu’il faut éviter la démagogie. L’idée d’un plan national me semble décalée : personne n’a gardé un bon souvenir du plan câble des années 80. Mais je crois qu’il faut davantage compter sur les opérateurs que sur le monde politique pour développer le très haut débit.
Après les tuyaux, passons aux contenus adaptés au très haut débit. La fibre va-t-elle entraîner des chamboulements dans le secteur audiovisuel ?
En France, je pense qu’il y a eu plutôt une bonne entente entre les opérateurs télécoms et les professionnels de l’audiovisuel. Les offres de télévision sur IP et les bouquets de chaînes sont plutôt alléchants. Avec le développement du très haut débit, il est fort probable que les liens entre les différents acteurs vont encore se resserrer au regard du potentiel du marché de la télévision haute définition. Reste à déterminer le bon mode de fonctionnement sur ce marché.
Les opérateurs télécoms vont-ils vraiment dépasser leur simple statut de distributeur pour entrer sur le marché de la production de contenus ?
C’est le signal donné par France Télécom en tout cas qui se lance dans la co-production de films. Les opérateurs risquent effectivement de mettre la main à la poche dans le secteur de la production audiovisuelle et cinématographique. Il reste encore beaucoup de choses à régler dans le domaine de l’achat des droits audiviosuels, de la vidéo à la demande, les négociations avec les studios américain et l’avènement de la haute définition. Néanmoins, des opérateurs comme l’espagnol Telefonica et PCCW à Hong Kong se sont brûlés un peu les ailes dans ce domaine. Je crois qu’entre les opérateurs télécoms et les producteurs de contenus, chacun doit à sa place. Il vaut mieux trouver une mécanique de partenariats « gagnant-gagnant » et éviter le mélange des genres.
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