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Redevance copie privée : Rueducommerce impuissant face à ses rivaux européens

C’est un coup dur pour Rueducommerce.com, un des principaux sites de vente de matériel informatique et accessoires high-tech en France. Et, par répercussion, pour tous les vendeurs en ligne de supports vierges d’enregistrement installés sur le territoire. Le 22 mars 2007, la cour d’appel de Paris a infirmé une décision en sa faveur énoncée le 15 septembre 2005 par le tribunal de commerce de Bobigny (Seine-Saint-Denis). A l’époque, la société Rueducommerce avait obtenu de la justice qu’elle subissait une concurrence déloyale concernant la vente de CD et DVD vierges face à des entreprises situées en Allemagne, Angleterre et aux Pays-Bas (Dabs, Ketta, CD Folie, Megamatic, Nierle Media KG, Nierle Media Gmbh et Omnisoft)

Non ou peu soumises à la redevance pour la copie privée (une taxe payée par les consommateurs qui permet de participer au financement de la création artistique et à la rémunération des ayants droits) spécifique à la France, ces sociétés européennes vantaient les prix compétitifs de ses supports vierges à travers des publicités en ligne. Rueducommerce avait alors porté plainte pour concurrence déloyale, ne pouvant lutter contre les offres tarifaires de ses concurrents.

Le cybermarchand français avait alors obtenu gain de cause. Les sociétés poursuivies avaient été condamnées à préciser dans leurs conditions générales de vente (CGV) les obligations de déclaration et d’acquittement de la taxe dite  » Sacem » pour le consommateur français. A cela s’ajoutait une obligation de cesser la diffusion de publicités en ligne qui ne prendrait pas en compte la dimension de cette taxe spécifique en direction du public français ainsi qu’à des amendes, dédommagements et publication du jugement. La société britannique Dabs, notamment, avait fait appel.

Une distorsion concurrentielle

Et elle a eu raison d’insister pour son propre intérêt. La cour d’appel de Paris contredit totalement la décision du tribunal de commerce de Bobigny. Si la juridiction d’appel de Paris reconnaît que les différences de réglementation en matière de taxes sur supports vierges créent des distorsions tarifaires sur le marché, elle considère en revanche que cette inégalité entre « opérateurs » (vendeurs concurrents) ne peut être sanctionnée juridiquement.

Dans la logique retenue par la cour d’appel de Paris, les cybermarchands ne sont pas soumis au système français de financement de production des oeuvres culturelles. La taxe ne s’impose qu’aux fabricants, importateurs et consommateurs. En conséquence, l’obligation de préciser l’existence de cette taxe dans les CGV des cybermarchands situés hors France ne tient plus. D’ailleurs, Dabs ne se gêne pas pour tirer parti de cette situation. L’article 10 des CGV du cybermarchand affirme même que le consommateur français n’a pas à payer de rémunération pour copie privée. Ce qui est faux. Si les utilisateurs français ne doivent rien à Dabs lors de leur commande, ils sont censés s’acquitter de la taxe directement auprès des organismes collecteurs comme la Socorep (Société de perception de la rémunération pour la copie privée sonore) et Copie France.

En résumé, la cour d’appel de Paris considère que, pour les sites marchands européens autres que français : il n’y a rien d’illégal ou de déloyal à taire l’existence de la « taxe Sacem »; il n’y a aucune faute à pratiquer des prix imbattables (par les cybermarchands français sauf à vendre à perte ce qui est illégal); et autorise la publicité en ligne (liens sponsorisés et comparateurs de prix) sur ces thèmes.

Même l’administration française profite de la situation

Le noeud du dossier est ici : si la justice française admet une situation de concurrence déloyale, elle ne peut sanctionner les cybermarchands européens pour autant. Faute d’harmonisation de la loi sur la propriété intellectuelle au niveau européen.

Car la distorsion concurrentielle existe bel et bien entre les Etats membres qui ne sont pas soumis aux mêmes conditions en matière de redevances pour la copie privée. Rappelons que la taxe s’élève à 1,10 euro sur un DVD vendu en France contre 0,17 en Allemagne alors que le Luxembourg et l’Angleterre en sont exemptés. Comment, dans ces conditions, les boutiques françaises en ligne pourraient concurrencer leurs voisins européens?

Même l’administration française ne s’y trompe pas. Les débats de la procédure en appel ont révélé que nombre d’entre elles (dont les ministères de la Défense et de l’Intérieur, la direction de la police judiciaire et les Urssaf de Bayonne) s’approvisionnent en CD et DVD vierges auprès des cybermarchands étrangers. Sans s’acquitter de la fameuse taxe. Le contribuable français appréciera le souci qui anime les organismes administratifs nationaux à vouloir faire des économies mais s’interrogera sur leur sens du respect de la loi.

L’arrêt de la cour d’appel de Paris renvoit donc à une situation ubuesque. « C’est la porte ouverte pour vendre des supports sans taxes », estime Gauthier Picquart, PDG de Rueducommerce, interrogé mercredi par Vnunet.fr. Une porte qui s’ouvrira prochainement aux disques durs. Après les CD, DVD, baladeurs numériques, enregistreurs de salon, clés USB (et même disquette!), la Commission Copie Privée, dite d’Albis du nom de son président actuel, qui fixe le montant des redevance pour la copie privée, prévoit d’étendre la taxe aux disques durs externes. Elle pourrait s’élever à 13 euros sur un disque de 320 Go.

Porter le débat juridique à un niveau européen

Rueducommerce.com envisage d’initier un pourvoi en cassation sur cette affaire. Si nécessaire, le cybermarchand est prêt à porter le débat devant la Cour de Justice des Communautés européennes voire s’adresser directement à la Commission européenne.

En toute logique, une harmonisation des pratiques au niveau européen serait souhaitable pour estomper cette distorsion. Sinon, les cybermarchands français pourraient décider d’ouvrir des filiales à l’étranger pour vendre à leurs clients situés en métropole des supports d’enregistrement vierges. Une manière de se libérer du fardeau de la « taxe Sacem » tout en restant compétitif sur le marché face à ses concurrents européens.

Mais cela ne manquerait pas de provoquer des vagues du côté des partisans de la redevance copie privée et de l’organisation mise en place autour de sa collecte. Car la Commission d’Albis serait obligée de modifier le modèle économique et de réviser la grille tarifaire établie par support vierge d’enregistrement. Ces changements auraient également des répercussion sur les volumes de redevance collectés par Sorecop et Copie France. De belles empoignades en perspective…

Mobilisation pour la défense de la copie privée
Dans un communiqué en date du 28 mars, l’Adami (Société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes) et une cinquantaine d’organisations rappelle son attachement à la copie privée (sans pour autant évoquer le jugement en appel de Rueducommerce). « La copie privée établit un véritable pacte entre créateurs et public en faisant contribuer ce dernier au processus de création », lit-on dans l’annonce. « En effet, la copie privée finance […] près de 5000 projets artistiques chaque année… pour tous les goûts, tous les âges, partout en France! » Pour soutenir cet indispensable mécanisme financier à la création, les organisations annoncent la création d’un label copie privée pour « rendre plus visible la copie privée menacée, et de rendre hommage à son rôle essentiel dans la diversité et le dynamisme culturels de notre pays ». Certes. Mais pendant que les organ isations d’artistes pensent en termes de création nationale, les marchands en ligne louchent sur la concurrence européenne. Et le consommateur, au final, regarde son porte-monnaie. Reste à savoir qui dans le lot risque d’en faire les frais?

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