Une question de « suprématie des États démocratiques face à des entreprises qui se considèrent comme […] au-dessus des lois », un « blocage au nom d’une pseudo-défense des libertés », le risque de voir émerger des « zones de non-droit qui vont favoriser des actes de terrorisme »… Éric Ciotti et Yann Galut ont haussé le ton pour défendre, ce jeudi à l’Assemblée nationale, leurs propositions d’amendements au projet de loi de réforme pénale contre le crime organisé.
Le premier – député Les Républicains des Alpes-Maritimes – a fait référence à une tribune du 11 août 2015 dans laquelle François Molins, procureur de la République de Paris, estime que la justice est « désormais aveugle face aux techniques de chiffrement mises en place par des grands opérateurs ».
Constatant que le débat a lieu aux États-Unis ou encore au Royaume-Uni avec l’Investigatory Power Bill, il considère que la France « [doit] l’avoir aujourd’hui ».
L’objectif de son amendement (no 221) était de permettre la poursuite, pour complicité de crime ou délit terroriste, les acteurs du marché qui ne répondent pas aux réquisitions de l’autorité judiciaire.
« Lorsqu’un juge engagé dans une information judiciaire contre un acte de terrorisme requiert la collaboration d’un opérateur de téléphonie mobile, d’un fournisseur d’accès à Internet, d’un fabricant d’un outil de téléphonie mobile ou d’informatique et que [celui-ci] refuse de coopérer, il faut que le code pénal permette d’entrer en condamnation de façon plus dissuasive », a expliqué Éric Ciotti dans son allocution que l’on peut revisionner ici (à partir de 46:20).
Le texte proposait que les tribunaux puissent aller jusqu’à interdire temporairement la commercialisation des produits et services incriminés (par exemple l’iPhone dans le cas d’Apple). Sans pour autant « mettre en place des logiciels d’intrusion dans tous les téléphones portables : il s’agit qu’un magistrat puisse disposer d’un moyen pour quelquefois sauver des vies ».
Mêmes propos chez Yann Galut. « Je ne comprends pas les défenseurs des libertés, dont je suis, qui nous expliquent qu’on ne pourrait pas perquisitionner une portable alors qu’on peut perquisitionner une maison ou une voiture », affirme le député PS du Cher.
Il poursuit : « Actuellement, dans les enquêtes liées à la lutte contre le terrorisme, vous avez des dizaines d’enquêtes qui sont bloquées parce que les constructeurs de smartphones ont décidé non seulement de verrouiller totalement l’accès aux smartphones, mais de ne plus avoir la clé de déverrouillage ».
Et de conclure : « Aujourd’hui […], nous sommes confrontés à la volonté de multinationales de faire en sorte que les enquêtes judiciaires à travers le monde échouent parce qu’elles en ont décidé ainsi ».
Co-rapporteur de la commission des lois, de la législation et de l’administration générale de la République, le socialiste Pascal Popelin reconnaît la nécessité de légiférer, mais estime que les réflexions « doivent cheminer au plan international pour trouver des solutions qui soient véritablement efficientes ».
Il estime en outre que « notre droit comporte déjà de nombreuses dispositions imposant aux acteurs de l’Internet de collaborer avec la justice ». Tout en précisant l’avis favorable émis par la commission à l’égard de l’amendement no 90 à l’article 4 ter du projet de loi déposé par le député-maire LR du 15e arrondissement de Paris Philippe Goujon et visant à aggraver les peines encourues en cas de refus de coopérer avec la justice.
Du côté de Jean-Jacques Urvoas, on considère également qu’agir de manière nationale « n’a pas beaucoup d’intérêt ». Pour le ministre de la Justice, la réponse « est, [sinon] dans la coopération internationale […] du moins européenne ». Il assure que des démarches sont déjà engagées dans ce sens auprès de Bruxelles.
Comme la commission des lois, le gouvernement a rendu un avis défavorable à l’égard des amendements déposés par MM. Ciotti et Galut.
Ce dernier a finalement, après une dizaine de minutes de suspension de séance, retiré son amendement. Son homologue LR l’a maintenu, mais a été désapprouvé au vote, par 12 voix contre et 11 voix pour. L’argument de la dissuasion (« Il y a la menace terroriste et il y a ceux qui considèrent [qu’elle] n’a pas à être prise en compte dans leur logique commerciale, masquée derrière des questions de libertés publiques ») n’aura donc pas suffi…
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