La température monte en Europe sur les questions de neutralité du Net.
Cette problématique est au coeur du règlement sur les télécommunications, que le Parlement européen doit voter ce mardi 27 octobre 2015 en séance plénière, après plusieurs mois de négociations.
Destiné à fixer les règles qui devront être appliquées dans tous les États membres de l’Union européenne, le texte fait l’objet de nombreuses condamnations, de la part de groupements d’entreprises, d’associations de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet, d’investisseurs ou encore d’économistes.
Ainsi Barbara von Schewick, directrice du Center for Internet Society à l’université de Stanford, en appelle-t-elle, entre autres, à une meilleure définition de la notion de « services spécialisés ».
Ces derniers peuvent, en l’état actuel du texte, être priorisés par les fournisseurs d’accès. Ils sont pour l’heure décrits comme des services qui « ne pourraient fonctionner si un [traitement particulier] ne leur était pas réservé ».
Or, d’après Ciaran O’Leary, investisseur basé à Berlin, cette définition est « beaucoup trop large ». Elle laisserait craindre l’émergence d’un Internet à deux vitesses, avec un trafic rapide pour les services et applications des FAI ainsi que pour ceux de leurs partenaires… tandis que le trafic serait plus lent pour « ceux qui n’auraient pas les moyens de payer ».
Une facture qui se répercuterait inévitablement sur les utilisateurs finaux, d’après La Quadrature du Net. L’association française a cerné les victimes potentielles : artistes, écrivains, activistes, ONG, mais aussi PME et start-up. Elle invite vivement les eurodéputés à se prononcer en faveur des amendements déposés, afin de garantir « l’innovation et les libertés fondamentales ».
Sa coordinatrice de l’analyse juridique et politique, Agnès de Comnulier, résume : « Nous ne sommes pas très loin d’un accord qui, s’il n’est pas parfait, serait un signe fort en faveur de la préservation de l’Internet que nous connaissons. […] Nous devons montrer aux eurodéputés que nous comptons sur eux pour défendre nos libertés ».
Autre élément pointé du doigt par La Quadrature : le « zero-rating », qui consiste à ne pas décompter, sur les forfaits data, certains usages – tout particulièrement le stockage en ligne.
Il existe, sur ce point, un désaccord entre la Commission européenne et le Parlement : alors que la première estime que le texte est applicable à cette pratique, le second, dans la lignée du Conseil de l’Europe, considère que non.
Si l’on suit l’interprétation de Bruxelles, les États membres de l’UE ne seraient autorisés à se pencher que sur les cas « flagrants » de discrimination tarifaire, caractérisés par des réductions manifestes de bande passante ou de fortes hausse de prix pour des accès illimités.
D’après Ciaran O’Leary, le « zero-rating » entraîne une véritable distorsion de concurrence. Pour appuyer son propos, il se réfère à une étude commandée par la CTIA (Wireless Association ; ex-Cellular Telephone Industries Association) selon laquelle 74 % des internautes auraient tendance à privilégier une application non décomptée du forfait data pour regarder des vidéos.
Troisième enjeu soulevé par les contradicteurs : les possibilités offertes aux opérateurs en matière de gestion de trafic. Aux termes du texte tel qu’il est présenté au 26 octobre 2015, les FAI peuvent « faire la distinction entre plusieurs types de trafics » et moduler les débits en conséquence.
Pour Barbara von Schewick, des « choix stratégiques » pourraient naître de cette résolution. Un fournisseur d’accès pourrait par exemple être tenté de diminuer les temps de latence sur ses offres de jeux en ligne pour les rendre plus attractives, tout en limitant les capacités pour d’autres usages, comme la VoIP, avant de ne pas concurrence ses propres services de téléphonie.
La Quadrature du Net soulève une autre question : celle des « sous-usages » : en limitant la bande passante pour le peer-to-peer, on touche aussi bien à l’échange de fichiers (pour lequel une latence est tolérable) qu’au jeu en réseau (pour lequel une latence minimale est souhaitable).
Solution retenue par les défenseurs des amendements : interdire formellement aux FAI de catégoriser des services, sauf si cela est absolument nécessaire pour maintenir la sécurité, l’intégrité ou la disponibilité du réseau.
Crédit photo : Ilyarexi – Shutterstock.com
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