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Règlement télécoms : le roaming éclipsé par la neutralité du Net

Alors que le commissaire européen au Numérique Günther Oettinger se félicite d’une « avancée significative vers le marché unique numérique » et que les eurodéputés socialistes estiment être parvenus à « créer un rapport de force favorable aux citoyens européens et à l’innovation », les défenseurs des libertés sur Internet émettent beaucoup plus de réserves concernant l’adoption, ce mardi 27 octobre 2015, du paquet législatif relatif aux télécommunications.

Il aura fallu deux lectures au Parlement européen pour voter, par 500 voix pour et 163 contre, cet ensemble de textes qui fixe notamment une échéance pour la fin des frais de roaming dans l’UE. À partir de juin 2017, les opérateurs mobiles ne pourront plus faire payer à leurs clients un supplément pour les communications effectuées à l’étranger.

Mais ce n’est pas ce volet qui cristallise les tensions. Le débat se concentre en l’occurrence sur la neutralité du Net, ce principe qui impose une égalité de traitement de tous les flux de données, les fournisseurs d’accès devant rester de simples transmetteurs d’information.

Députée du Parti populaire espagnol et rapporteur du texte, Pilar del Castillo est formelle : ce principe de neutralité « sera appliqué directement dans l’ensemble des 28 États membres, ce qui empêchera d’avoir un Internet à deux vitesses ».

Même son de cloche dans le communiqué officiel du Parlement européen : les entreprises proposant un accès à Internet devront gérer l’ensemble du trafic de manière égale, « sans bloquer ou ralentir l’accès au contenu, aux applications ou à des services à partir de certains expéditeurs ou vers certains destinataires »… à quelques exceptions près.

Des voix s’élèvent

Ce sont précisément ces exceptions qui dérangent La Quadrature du Net. L’association française de défense des droits et des libertés des citoyens sur Internet fait part de sa « profonde déception pour tous ceux qui ont bataillé depuis des années pour enfin assurer la protection [du principe de neutralité du Net] en Europe ».

La même amertume se ressent chez Save The Internet. Le collectif, qui fédère citoyens et associations européens, pointe tout particulièrement la notion de « services spécialisés ». Plusieurs amendements avaient été déposés par les eurodéputés, appelant à en clarifier le périmètre. Tous ont été rejetés.

En l’état actuel du texte, les fournisseurs d’accès peuvent prioriser ces « services spécialisés » décrits comme des « services qui ne pourraient fonctionner si un [traitement particulier] ne leur était pas réservé ».

Problème : la définition serait « beaucoup trop large », comme l’avait notamment laissé entendre Ciaran O’Leary, un investisseur basé à Berlin (voir, dans notre édition du 26 octobre 2015, l’article « Règlement télécoms : les eurodéputés interpellés sur la neutralité du Net ».

Assez tout du moins pour laisser craindre une fragmentation d’Internet, avec un trafic rapide pour les services et applications des FAI ainsi que pour ceux de leurs partenaires, tandis que le trafic serait plus lent pour « ceux qui n’auraient pas les moyens de payer ».

Qui perd gagne ?

Du côté des députés socialistes au Parlement européen (Groupe S&D), on estime justement avoir réussi à introduire plusieurs garde-fous afin que les « services spécialisés » ne soient pas confondus avec les services d’accès à Internet « et ne cannibalisent pas ces derniers ».

De quels garde-fous parle-t-on ? Premièrement, les « services spécialisés » doivent être optimisés pour un service, un contenu ou une application spécifique. Deuxièmement, cette optimisation doit être nécessaire (le service ne pourrait pas fonctionner autrement). Troisièmement, la capacité du réseau doit être suffisantes pour que ces services soient proposés en plus de l’accès Internet, sans impact sur la qualité générale de la connexion.

Pour La Quadrature du Net, ces garanties sont insuffisantes : la définition actuelle des « services spécialisés » pourrait permettre aux fournisseurs d’accès de contourner le principe de neutralité du Net, les autorités de régulation nationales ayant « une marge de manoeuvre non négligeable […] pour établir les lignes directrices applicables ».

Le ton a bien changé depuis le vote, le 3 avril 2014 par le Parlement, d’une première version du texte. Il faut dire que celle-ci affirmait le caractère ouvert de l’Internet comme « un moteur clé de compétitivité, de croissance économique, de développement social et d’innovation ».

Mais comme le prévoit la procédure législative ordinaire de l’UE, la majorité des règlements doivent être adoptés à la fois par le Parlement et le Conseil des ministres. Lequel avait, après des négociations impliquant également la Commission européenne, adopté, le 30 juin 2015, la version de compromis aujourd’hui présentée à Strasbourg.

Agir ou réfléchir

Selon Save The Internet, c’est bien l’interprétation du texte par chacun des États membres qui risque de poser des problèmes, que ce soit par la gestion du trafic basée sur des typologies d’utilisateurs ou par des pratiques comme le zero-rating, qui consiste à ne pas décompter certains usages sur les forfaits data.

« Laisser, entre les mains des entreprises privés, un tel pouvoir [de filtrage et de blocage d’Internet] porterait gravement atteinte à notre liberté d’expression en ligne », assure le collectif, tout en suggérant que les eurodéputés avaient l’envie d’en terminer après plus de deux ans de négociations.

Le groupe socialiste au Parlement européen reconnaît effectivement avoir « fait un choix de responsabilité : engranger maintenant un résultat solide même s’il n’est pas parfait, plutôt que de faire miroiter un résultat qui, en l’état actuel des rapports de force, n’est pas atteignable ». Et d’ajouter, dans une tribune : « L’adoption d’un seul amendement [aurait fait] tomber l’accord et nous [aurait emmené], dans le meilleur des cas, dans une nouvelle négociation périlleuse ».

Les propos de Günther Oettinger s’inscrivent dans cette même logique d’action : « J’ai de la sympathie pour ceux qui visent davantage de libertés avec des règles encore plus strictes, mais quand il y a trop de règles, il y a moins de libertés, encore plus dans un secteur comme le numérique qui évolue à la vitesse de la lumière ».

Crédit photo : Anteromite – Shutterstock.com

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