Le projet de loi sur le renseignement, actuellement examiné par l’Assemblée nationale, continue de susciter un tollé dans le secteur du numérique au regard de risques de dérive en termes de cyber-surveillance.
Certaines dispositions continuent de provoquer un véritable malaise parmi les acteurs du numérique et la classe politique : la question des boîtes noires placés par les services de renseignement sur les réseaux des opérateurs (« des algorithmes » selon les éléments de langage des instigateurs du projet), le champs large des menaces prises en compte (terrorisme, criminalité organisée, sécurité nationale, intérêts essentiels de la Nation, violences collectives…), le recours privilégié aux procédures administratives au détriment des tribunaux de justice et l’absence de vrais contre-pouvoirs en faveur des citoyens (malgré l’instauration de la CNCTR).
Après une manifestation organisé hier-midi près de l’Assemblée nationale à l’appel de l’association militante La Quadrature du Net, des médias nationaux organisent ses débats sur le sujet, notamment un plateau TV animé hier soir sur Mots Croisés (France 2) avec des « pro-« texte (Eduardo Rihan-Cypel pour le PS, Éric Ciotti pour l’UMP) et des « anti- » (Hervé Morin pour l’UDI, Olivier Besancenot pour le Nouveau Parti Anticapitaliste et l’avocat Éric Dupond-Moretti). Dans le brouhaha sur le plateau, Nicolas Arpagian, expert en cybersécurité, essayait d’apporter des focus techniques.
Ce matin, sur BFM TV, Jean-Jacques Urvoas, député PS du Finistère, président de la commission des lois à l’Assemblée nationale et rapporteur du projet de loi, a défendu ce projet de loi qui a vocation à adapter la communauté française du renseignement à l’ère du numérique.
Il soutient mordicus que « nous n’utilisons pas des outils de surveillance massive et indéfinie, comme c’est le cas aux Etats-Unis ». Avec les amendements discutés à l’Assemblée nationale (à suivre via NextInpact), quelques concessions ont été adoptées sous forme de « régime spécial » pour les parlementaires, avocats, journalistes et magistrats. Mais on peaufine en marge. On évite de secouer le corps du texte.
« Nous cherchons à renforcer le suivi sur ceux que nous avons identifié comme une menace [terroriste, ndlr] », martèle Jean-Jacques Urvoas. Parlons chiffres en matière de lutte anti-terrorisme : surveillance accrue de 150 islamistes radicaux en détention et 3000 personnes identifiées comme une menace potentielle sur le territoire.
Une grande question demeure dans les débats suscités : pourquoi instaurer un dispositif de surveillance numérique potentiellement massif pour une population bien déterminée ?
On ouvre les vannes de la collecte d’informations par le biais des algorithmes au-delà-de la lutte contre le terrorisme (un objectif légitime mais ce sont les méthodes employés pour y parvenir et l’étendue du périmètre d’action qui sont contestables).
Mettre dans les mains de l’Etat un tel outil de surveillance ne risque-t-il pas de se retourner contre les citoyens en cas de secousses sociales ou politiques graves ?
« Les services de renseignement ont vocation à prévenir la menace, à détecter ce qui est caché (…) Nous voulons leur donner les moyens de l’investigation », argue Jean-Jacques Urvoas.
C’est un terrain glissant, rétorque Tristan Nitot (ex-Fondation Mozilla ayant rejoint la société Cozy Cloud et membre du Conseil national du numérique) par média interposé.
« On est en train de voter ce qui va faire de la France un 1984 [roman de Georges Orwell, NDLR] en vrai, et tout le monde s’en fout », regrette ce farouche opposant au projet de loi, qui synthétise sur son blog les craintes suscitées par ce texte à travers son blog.
Ce matin sur RMC, il a annoncé la création du mouvement Ni pigeons Ni espions en concentrant les tirs sur le dispositif des boîtes noires chargées de surveiller les connexions des internautes par l’intermédiaire des réseaux des opérateurs et des hébergeurs.
« Ces boîtes noires, ce sont des espions chargés de détecter les mouvements suspects, mais cette notion de mouvements suspects est classée secret défense. »
Difficile de se montrer rassuré dans ses conditions. « Qu’on le veuille ou non, nous serons sous surveillance (…). Ça touche notre vie privée, parce que nos données personnelles sont en ligne », insiste Tristan Nitot.
Des sociétés du numériques comme OVH (qui menace de délocaliser ses activités si le projet de loi est adopté comme tel), Gandi, Ikoula, Linagora, ou Emakina ont rejoint le mouvement Ni pigeons, Ni espions et s’élèvent contre « la surveillance généralisée d’Internet qui est inefficace et dangereuse ».
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