Robotique et intelligence artificielle : les pistes du Parlement européen
Les députés européens invitent Bruxelles à prendre l’initiative en matière de droit civil sur la robotique. Ils appellent à une proposition de directive.
Établir un code de conduite pour les ingénieurs, réfléchir à l’exploitation de « boîtes noires » dans une logique de transparence des processus décisionnels, envisager la possibilité de créer un statut juridique spécifique… Autant de recommandations sur la base desquelles le Parlement européen demande à la Commission de présenter une proposition de directive relative à des règles de droit civil sur la robotique.
Réunis ce jeudi 16 février 2017 en séance plénière, les députés ont adopté, par 396 voix pour, 123 contre et 85 abstentions, le rapport qui contient ces recommandations.
« Nous pourrons créer un cadre et les États membres pourront s’en inspirer pour avoir les règles qui s’appliquent dans toute l’Union européenne », affirme Mady Delvaux, membre du parti ouvrier socialiste luxembourgeois et rapporteure du texte – dont on pourra consulter, en attendant sa publication, la version votée le 12 janvier dernier en commission des affaires juridiques.
Citant l’exemple de la France dans le domaine du véhicule autonome, les députés considèrent que l’émergence de législations nationales pourrait compliquer le développement de la robotique dans l’Union… et incite par là même Bruxelles à prendre l’initiative.
Deux ans de réflexion
Les travaux parlementaires avaient véritablement démarré début 2015 avec la mise sur pied d’un groupe de travail.
Ce dernier avait défini plusieurs thématiques d’intérêt, dont l’éthique, la responsabilité, la connectivité, la standardisation, la coordination des institutions et l’emploi.
Sur ce dernier point, un constat : « Malgré les avantages indéniables apportés par la robotique, sa mise en œuvre risque d’entraîner une modification du marché du travail et la nécessité de réfléchir en conséquence à l’avenir de l’éducation, de l’emploi et des politiques sociales ».
Également jugé « préoccupant pour la viabilité des régimes d’aide et de sécurité sociale », le développement de ces technologies est par ailleurs perçu comme une source potentielle de « creusement des inégalités dans la répartition des richesses et de l’influence ».
Les recommandations faites à la Commission européenne s’en ressentent. Il lui est, en premier lieu, conseillé de proposer une définition commune des différentes catégories de robots autonomes et intelligents. Parmi les critères qui pourront entrer en ligne de compte, l’acquisition d’autonomie grâce à des capteurs, la capacité à apprendre à travers l’expérience et l’existence d’une enveloppe physique.
Certaines catégories de robots exploités sur le marché intérieur pourraient, en conséquence, faire l’objet d’une immatriculation. Ce qui n’est pas, d’après le rapport, incompatible avec l’application du principe de reconnaissance mutuelle, en vertu duquel les essais, la certification et la délivrance d’autorisations de mise sur le marché pourraient n’être requis que dans un État membre.
Robot, qui es-tu ?
Dans un contexte de développement de fonctionnalités autonomes et cognitives qui rapprochent les robots du statut d’acteurs interagissant avec leur environnement, se pose une autre question : celle de la responsabilité juridique en cas d’action dommageable.
En la matière, le Parlement suggère de définir un instrument législatif axé sur un horizon de 10 ou 15 ans… et d’y associer des instruments non législatifs, comme des lignes directrices et des codes de conduite.
En vertu du cadre juridique actuel, les robots ne peuvent être tenus responsables de leurs actes ou de leur inaction en cas de dommages causés à des tiers. Les règles en vigueur en matière de responsabilité couvrent uniquement les cas où la cause des actes ou de l’inaction du robot peut être identifiée comme imputable à un acteur humain précis et où cet acteur pourrait avoir prévu et donc évité le comportement dommageable du robot.
L’idée générale portée par le Parlement consiste non seulement à identifier les parties responsables en dernier ressort, mais aussi à proportionner leur responsabilité au niveau réel d’instructions données aux robots, ainsi qu’à leur niveau d’autonomie.
Un régime d’assurance obligatoire tenant compte de toutes les responsabilités potentielles d’un bout à l’autre de la chaîne pourrait être mis en place et assorti d’un fonds de compensation. Lequel garantirait un dédommagement même lorsque les dommages causés par un robot ne sont pas couverts.
À terme, il pourrait être nécessaire de créer une catégorie juridique dotée de ses propres caractéristiques et effets spécifiques, afin de considérer les robots comme des « personnes électroniques ». En l’occurrence, des entités légales, avec des droits et devoirs purement instrumentaux pour poursuivre un intérêt économique spécifique d’un être humain.
L’homme et la machine
Pour Erica Palmerini, enseignante à l’Institut Sant’Anna de Pise qui contribue au projet « Robolaw » porté par le Parlement, la sécurité juridique encouragera la recherche et le développement industriels.
Il existe, d’après le rapport, plusieurs prérequis à cet effort R&D. Tout particulièrement la disponibilité d’une infrastructure numérique capable d’offrir une connectivité universelle (la 5G est évoquée) et un renforcement des instruments financiers, partenariats public-privé compris.
L’ensemble de ces démarches pourraient être accompagnées par une « Agence européenne de la robotique » qui fournirait un expertise technique, éthique et réglementaire aux acteurs publics concernés.
En matière de droits de propriété intellectuelle et de circulation des données, les régimes et doctrines juridiques existants pourraient s’appliquer, moyennant un « examen approfondi » de certains aspects, dont la capacité, pour les robots, à créer par eux-mêmes.
Sur le volet éthique, la problématique de la réparation et de l’amélioration du corps humain est prégnante. Les enjeux sécuritaires le sont tout autant, au regard des risques que représentent le piratage, la désactivation ou encore l’effacement de la mémoire des systèmes implantés dans le corps.
Se pose aussi la question de la dépendance de l’humain vis-à-vis du robot, notamment chez les personnes fragiles, susceptibles de « développer une relation émotionnelle »… Selon le Parlement, « Les avancées […] doivent, dès l’étape de la conception, préserver la dignité, l’autonomie et l’autodétermination de la personne humaine ».
Une consultation publique a été lancée la semaine passée. Elle est ouverte jusqu’au 30 avril.