À mesure qu’il s’imprègne de la data, le business du sport se confronte, au-delà du défi technologique, à la fameuse « conduite du changement ».
Pour Deloitte, cette notion d’évolution des mentalités inhérente à la transformation numérique est l’un des marqueurs de la « professionnalisation » des clubs, que ce soit pour améliorer la performance sportive ou la performance économique.
Sur le premier volet, le cabinet de conseil et d’audit a repéré un point d’inflexion « il y a deux, trois ans, en NBA [championnat nord-américain de basket-ball, ndlr] », lorsque l’exploitation de capteurs s’est développée chez plusieurs franchises lors des entraînements.
La démarche n’a pas encore trouvé un prolongement lors des matchs officiels, essentiellement pour des considérations de propriété intellectuelle.
Il existe toutefois une exception en NFL (ligue de football américain) : les joueurs portent un casque qui permet d’évaluer la violence des chocs reçus à la tête.
D’après Philippe Dardelet, c’est cet aspect sécurité – et plus globalement santé – qui pousse l’usage d’objets connectés dans le sport de haut niveau, déclenchant des réflexions plus larges sur l’utilité de la data.
Le directeur conseil Sport Business de Deloitte (ancien consultant chez Catalyse Marketing) reconnaît qu’une telle approche implique de repenser les relations entre l’entraîneur et ses joueurs. L’interaction devient plus factuelle dès lors qu’on accepte de faire « confiance » aux données.
Il n’est pas pour autant question de remplacer le coach « à l’ancienne ». L’objectif est plutôt de lui faire gagner du temps sur de nombreuses décisions, du recrutement au choix de l’équipe à aligner.
Le data scientist prend là toute son importance, pour centraliser les données, les rendre exploitables, les analyser et les historiser.
L’intégration, dans l’organigramme, de ce profil inhabituel pour un club de sport, est l’un des paramètres de la « conduite du changement ». Il en émerge ce que Reda Gomery assimile à un « directeur de la performance ».
Quand on lui suggère que les progrès de l’intelligence artificielle pourraient un jour automatiser le processus, cet ancien collaborateur de Keyrus, associé responsable data chez Deloitte, affirme : « On n’est pas encore à l’heure de la DMP dans le sport de haut niveau ».
Et d’embrayer sur les possibilités qu’offre la data, jusqu’à mentionner un cas de psychologie comportementale : celui d’un joueur de rugby dont on a pu déterminer qu’il haussait son niveau lorsque son équipe menait de 2 ou 3 points, alors qu’il était moins performant avec plus de 20 points d’écart.
Si les sports collectifs médiatisés avec de forts enjeux financiers sont les plus avancés dans cette digitalisation, Deloitte estime que le reste de la troupe suivra. « Globalement, les acteurs qu’on a interrogés n’expriment pas de peur. Ils considèrent simplement ne pas être prêts », assure Philippe Dardelet. On aura compris que le cabinet a une carte à jouer sur le conseil…
Un autre aspect à suivre sera l’évolution des équipementiers vers la fourniture de services. Certains procèdent par croissance externe, à l’instar d’Adidas, qui a absorbé Runtastic. D’autres nouent des partenariats, à l’image de Nike avec Apple.
L’exploitation de la data présente également d’énormes enjeux marketing. Ou quand le supporter devient client et que le club aborde les notions de « parcours », de « connaissance » et de « fidélisation ».
Là aussi, de nouvelles organisations se mettent en place, entre sous-traitance à des agences et création de cellules internes qui mettent la connaissance client sur le même plan que des activités comme l’hospitality.
« Les clubs ne doivent pas négliger ce levier de revenus à l’heure où ils rénovent leurs stades », explique Reda Gomery. Et de citer l’exemple de l’Olympique lyonnais.
Le club présidé par Jean-Michel Aulas fait figure de référence en France avec son Parc OL, qui générerait « 300 % de recettes supplémentaires » par rapport au stade Gerland.
Si l’enceinte de 57 473 places inaugurée en début d’année reste, en termes de services et d’infrastructure, loin du Levi’s Stadium de San Francisco qui prend le spectateur en charge depuis son domicile, elle affiche un fort taux de remplissage lors des rencontres de l’équipe première masculine : 42 848 spectateurs de moyenne sur les 8 premières journées de Ligue 1, juste derrière le Parc des Princes.
Alors, mission accomplie ? Au moins en partie, le premier enjeu étant de convaincre le public de se déplacer alors qu’il peut se contenter du confort qu’offrent aujourd’hui les diffuseurs TV.
Ensuite intervient la logique de fidélisation. En la matière, la machine est bien rodée : on affine progressivement la relation au-delà du canal traditionnel que constitue la billetterie en ligne, on personnalise les offres… et on les monétise mieux.
Au stade, l’application mobile sert de point de contact. Au-dehors, les réseaux sociaux représentent un vivier de données qui permettent de cerner les fans : comment utilisent-ils les services du club ? Quel est leur sentiment envers la marque ?
Pour Philippe Dardelet, le supporter français est un défi en lui-même : « Par rapport à d’autres pays, on est plutôt sur un modèle où j’arrive à l’heure du match et je repars dès la rencontre terminée, […] sans prendre le temps de passer par la boutique ».
Deloitte le reconnaît : le plus difficile à débloquer est l’investissement initial. Plusieurs centaines de milliers d’euros en l’occurrence, à l’heure où peu de clubs communiquent sur le ROI. Mais le cabinet en est persuadé : « L’usage de la data va fragmenter le paysage »… comme une forme de dopage.
Avant de produire des données, il faut penser à réutiliser celles déjà à disposition, qu’elles soient dans un CRM ou un simple tableur. « Cette demande revient très souvent chez les entreprises que nous accompagnons », explique Philippe Dardelet.
Autre goulot d’étranglement : la connectivité. Malgré les efforts consentis en vue de l’UEFA EURO 2016 et des initiatives comme celle du Stade Toulousain autour de la 4G, le parc français affiche un net retard sur le monde anglo-saxon, où les sociétés exploitantes ont par ailleurs monté des organisations plus solides (exemple de l’O2 Arena de Londres, dont les 5 partenaires ont chacun une journée d’animation).
On en avait eu un aperçu à l’été 2015 avec City Football Group.
La société contrôlée par la holding Abu Dhabi United Group gère les relations entre Manchester City et trois autres clubs sur autant de continents : le New York FC, le Melbourne FC et le Yokohama F·Marinos. À l’occasion d’un point presse sur un partenariat avec SAP, on en avait profité pour parler stade connecté.
La dernière session Convergence EMEA avait fait la lumière sur le Real de Madrid, dont la section football a centré sa transformation numérique sur l’amélioration de la relation client, avec du Microsoft dedans pour le CRM, les outils décisionnels et une bonne dose de machine learning.
Reste un flou, d’ordre réglementaire : les contrats que signent les sportifs ne sont généralement pas adaptés au nouveau paradigme du big data.
La mise en application – prévue pour le 25 mai 2018 – des dispositions issues de la directive européenne sur la protection des données mettra les clubs devant des responsabilités qu’ils n’avaient pour la plupart pas l’habitude d’assumer.
Alors que certaines des données traitées par leurs soins peuvent être considérées comme critiques, à l’image de celles qui touchent à la santé des joueurs.
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