C’est inattendu. Le 3 mars, Free Mobile (groupe Iliad) et Orange ont annoncé la signature d’un accord d’itinérance (roaming) nationale mobile 2G avec un élargissement à la 3G. « Cet accord sera effectif lorsque Free Mobile, qui a pris l’engagement dans sa licence de déployer d’ici 2018 un réseau en propre couvrant au moins 90% de la population, disposera d’une couverture d’au moins 25% de la population », peut-on lire dans le communiqué. Comment expliquer ce revirement de la part d’Orange ? A l’instar de ses concurrents, il refusait jusqu’ici de « laisser entrer le loup dans la bergerie ». Tentative de décryptage avec Stéphane Dubreuil, directeur Télécoms & Médias de la société de conseils en management et stratégie SIA Conseil. (Interview réalisée le 03/03/11)
ITespresso.fr : Etes-vous surpris par l’accord entre Orange et Free dans la 3G ? Comment se sont comportés les opérateurs dans ce dossier sensible ?
Stéphane Dubreuil : Le comportement des opérateurs a contredit leurs discours officiels. France Telecom – Orange avait déclaré qu’il ne ferait pas la courte échelle à l’un de ses concurrents. A plusieurs reprises, SFR avait indiqué de son côté qu’il ne donnerait pas la 3G. En revanche, Bouygues Telecom semblait plus ou moins prêt à discuter. Finalement, les opérateurs réseaux ont opté pour un statu quo. Cela peut se comprendre : ils n’avaient aucune obligation à fournir à Free Mobile un accès à la 3G. Ce n’était pas inscrit dans la licence mobile attribuée par l’ARCEP à Iliad/Free. C’est donc un pur accord commercial qu’Orange a signé avec Free.
ITespresso.fr : Cela ressemble à une partie de poker entre opérateurs. « Le non par principe » en bloc, c’était du bluff ?
Stéphane Dubreuil : Je ne connais pas les conditions dans lesquelles chaque opérateur a entamé des discussions avec Free. Mais il est clair que chaque opérateur a jaugé le dossier compte tenu des enjeux économiques de l’accord de roaming de la 3G avec Free. Personne n’était vraiment pressé. Mais, dans ce poker menteur, le statu quo n’était pas envisageable non plus. Après, il y a eu des évènements récents chez Orange qui ont amené l’opérateur à passer le Rubicon.
ITespresso.fr : A quels « évènements récents » pensez-vous ?
Stéphane Dubreuil : Le dossier MVNO La Poste et les blocs 3G résiduels. Orange a perdu l’accord important de La Poste qui veut devenir opérateur mobile virtuel, contrat remporté par son concurrent SFR. La Poste va devenir l’un des plus gros MVNO à côté de NRJ Mobile et Virgin Mobile. Deuxième raison : France Telecom – Orange voulait aussi compenser les blocs 3G résiduel acquises. Orange n’a pas eu le bloc principal et n’a pas pu choisir le positionnement de son bloc, ce qui a généré quelques surcoûts et une complexité opérationnelle. L’accord avec Free permet de ré-équilibrer les positions avec la concurrence.
ITespresso.fr : Le changement de direction à la tête de France Telecom a-t-il pu influer sur le cours des choses ? Xavier Niel s’entendrait-il mieux avec Stéphane Richard qu’avec son prédécesseur Didier Lombard ?
Stéphane Dubreuil : Les histoires de personnes, je ne les connais pas. Mais il est clair que Stéphane Richard veut inscrire son groupe dans une logique concurrentielle et moins dans une logique de conflits juridiques et règlementaires. Il a peut-être envie que son groupe se comporte comme un opérateur classique sans abuser d’une situation de monopole. De plus, en août 2010, des conflits entre Orange et Free ont été réglés. Autre point : historiquement, Stéphane Richard [ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy, NDLR] est une des personnes qui a milité pour l’attribution de la licence à Free.
ITespresso.fr : Fin 2010, Iliad-Free a menacé d’ouvrir une procédure devant une instance d’arbitrage, faute de progrès dans les dicussions. Une éventuelle pression règlementaire a-t-elle pesé dans la balance ?
Stéphane Dubreuil : Il y avait une petite pression mais elle n’explique pas le basculement. Bien que l’ARCEP affiche une grande bienveillance vis-à-vis de Free, je ne pense pas que l’autorité de régulation des télécoms ait pesé dans le choix d’Orange. En revanche, l’Autorité de la Concurrence a facilité les choses en publiant dans le courant de l’été 2010 un avis préconisant la mise à disposition d’une offre data pour Free afin de ré-équilibrer la concurrence. Elle évoquait un vrai risque de distorsion.
ITespresso.fr : Quels sont les avantages pour Orange d’ouvrir la porte à Free ?
Stéphane Dubreuil : L’enjeu est d’abord économique. Orange espère retirer un milliard d’euros sur six ans au maximum. Nous n’avons pas les chiffres détaillés. Chez SIA Conseil, on estime que l’ordre de grandeur de la contribution à la marge pour l’opérateur se situe autour de 500 millions d’euros. Evidemment, c’est un avantage concurrentiel pour Orange qui préfère avoir Free Mobile sur son propre réseau. Mais il faudra mesurer à terme l’impact de la concurrence de ce nouvel entrant sur les offres d’Orange. Free sera en mesure d’exploiter la 3G et d’élaborer des offres quadruple play à destination de ses abonnés. Pour le moment, Orange va récupérer une partie de la valeur. Tandis que SFR et Bouygues Telecom vont d’emblée en perdre. Autre aspect : cette ouverture constitue aussi un moyen de financer l’acquisition du bloc 3G résiduel (15 MHz pour environ 300 millions d’euros). Free paiera l’augmentation du spectre de fréquences de France Telecom – Orange.
(lire la fin de l’interview page 2) : MVNO, Virgin Mobile, démarrage, Free Mobile, 4G
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