Le 26 juillet, après trois ans d’activité et 16 millions d’euros levés, la start-up belge Take Eat Easy, qui surfait sur la tendance du « click & eat » dans le sillage des Deliveroo, Foodora et autres services de livraison de repas par coursiers, demandait à être placée en redressement judiciaire.
La cessation de paiement est effectuée au greffe, mais elle n’apparaît pas encore sur les documents officiels. Un juge doit d’abord être nommé pour prendre en charge le dossier, à la suite de quoi le tribunal de commerce décidera si Take Eat Easy peut bénéficier d’une période d’observation… et si le maintien des contrats avec les coursiers est nécessaire à la continuité de l’activité.
Pour le moment, ces livreurs ont une autre préoccupation : récupérer les sommes que leur doit* la start-up au titre du travail fourni entre le 1er et le 25 juillet, ainsi que des cautions déposées, notamment pour le téléphone Wiko qui leur est fourni.
En Belgique, le gros de l’effectif sera dédommagé. En l’occurrence, les quelque 400 cyclistes qui facturaient leurs prestations à la Smart (Société mutuelle pour artistes). Cet organisme payeur, qui fournit une protection sociale aux travailleurs freelance, versera environ 340 000 euros en salaires impayés… et deviendra elle-même créancière de Take Eat Easy, selon Le Soir.
En France, c’est plus compliqué : exerçant sous le statut d’indépendant, les coursiers ne sont pas considérés comme des créanciers prioritaires. Conséquence : ils tentent d’obtenir une requalification de leur contrat de sous-traitance en contrat salarié.
Sous l’impulsion du Collectif des coursiers franciliens (CCF), qui dit fédérer 500 cyclistes, une action collective en justice s’organise.
On en est encore à la phase de mise en place, mais 2 000 livreurs se seraient déjà associés à la démarche, d’après France 24, à qui Matthieu Dumas, fondateur du CCF, a présenté sa feuille de route.
L’objectif : prouver que l’activité des coursiers constitue une forme de salariat déguisé. L’angle d’attaque : illustrer le « lien de subordination » qui existe avec Take Eat Easy ; que ce soit au niveaux des créneaux horaires imposés, des factures établies par la société ou de ce système de « strikes », basé sur des avertissements qui entraînent tour à tour la perte des bonus, une convocation et une éviction du réseau.
Le CFF suit avec attention l’évolution d’un dossier similaire : l’assignation aux prud’hommes de Tok Tok Tok, poursuivi par l’un de ses livreurs à vélo qui demande également d’être requalifié en tant que salarié.
L’intéressé confiait récemment à Libération quelques exemples censés illustrer le lien de subordination : obligation d’utiliser la carte bancaire de l’entreprise pour payer les commandes, interdiction de travailler pour la concurrence, sollicitations répétées même une fois déconnecté de l’application, etc. Il ajoutait : « En mai 2015, je me suis blessé le poignet. J’ai envoyé un mail à Take Eat Easy pour leur signaler, ils m’ont dit bon rétablissement, c’est tout ».
Le verdict ne tombera pas, de l’avis même du plaignant, avant 12 ou 18 mois : les 4 conseillers des prud’hommes (2 salariés, 2 patrons) n’ayant pas réussi à trancher, une nouvelle audience se tiendra en présence d’un cinquième membre : un juge « départiteur ».
L’issue du contentieux pourrait établir une jurisprudence dans le secteur. Mais le CFF, qui « a vocation à devenir syndicat », veut procéder dans l’ordre en déterminant d’abord la rentabilité d’une action nationale.
Il est apparu, après étude auprès de la communauté, que la créance moyenne par coursier ayant un litige potentiel avec Take Eat Easy avoisine les 800 euros. C’est sans compter l’argent que les restaurateurs pourraient ne jamais encaisser, la start-up reversant deux fois par mois le montant des commandes soustrait de la commission de 25 à 30 %.
D’autres associations se sont créées, comme Les Fusées vertes, qui a pour but de défendre les intérêts de coursiers Take Eat Easy à Lyon et Grenoble. Ont aussi émergé des cagnottes de solidarité envers les livreurs en difficulté, des pages Internet sur lesquelles on partage des bons plans pour retrouver un emploi ou héberger ceux qui ne peuvent plus payer leur loyer.
Sur la page Facebook du CCF, on parle aussi de monter une plate-forme de livraison coopérative, gérée par les coursiers et les restaurateurs, sous la forme d’un groupement d’intérêt économique (GIE).
On se demande aussi, en attendant de connaître, le 29 août, l’identité de l’administrateur judiciaire qui élaborera un plan de redressement, si la requalification de la sous-traitance en salariat est bien la solution la plus judicieuse à long terme. Et dans quelle mesure les textes de loi pourraient évoluer pour prendre en compte un cas tel que celui de Take Eat Easy.
* Certains disent avoir perdu plusieurs milliers d’euros, à l’instar de ce livreur qui explique attendre ses « 5000e [sic] d’impayés de la part d’une société au capital de 100e [sic] ». Tandis qu’un de ses collègues déplore « un mois de Juillet [sic] de bénévolat car non payé, plus les cautions qui ne seront probablement jamais remboursées ».
Crédit photo : Ezume Images – Shutterstock.com
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