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Taxis – VTC : le poids d’Uber dans cette lutte d’influences

Un « concurrent déloyal », un « prédateur », un « enfer social », un « terroriste financier »… Les chauffeurs de taxi mobilisés depuis mardi matin (26 janvier) en France n’associent pas systématiquement ces qualificatifs à Uber, mais c’est bien la société Internet californienne qui cristallise les tensions.

La colère des taxis est illustrée à travers l’appel à la grève lancé dès la mi-janvier par Taxis de France : « Depuis 2009, les gouvernements successifs n’ont pas cessé de nous trahir […] en fermant les yeux sur les dérives, en dérégulant […] notre profession, sans même nous donner les moyens d’être compétitif ».

Mardi, à l’appel de deux intersyndicales, ils ont été, selon la préfecture de police de Paris, plus de 2000 à manifester en Île-de-France, contre les « dérives » des exploitants d’applications de transport avec chauffeur (VTC), dont la loi Thévenoud – entrée en vigueur le 1er janvier 2015 – est censée encadrer l’activité.

Porte Maillot : épicentre de la protestation

Les deux camps se livrent une bataille de communication, tout en incitant le gouvernement à éclaircir le cadre juridique sur le marché du transport de personnes.

Du côté des taxis, on a renouvelé l’opération « coup de poing » menée en juin 2015, avec le même épicentre à Paris : la porte Maillot.

Certains sont arrivés sur place dès 4 h 30 ce mardi. Vers 8 h, le trafic était déjà très perturbé sur le boulevard périphérique, selon FranceTV Info, présent sur place. La préfecture de police recensait alors 1200 taxis sur les différents sites de protestation, dont le ministère de l’Économie et des Finances, à Bercy.

La température est montée d’un cran à l’aéroport d’Orly lorsqu’une navette a renversé et blessé un manifestant. On a également assisté à des prises à parti de taxis non grévistes, à des interventions de CRS… ainsi qu’à de multiples arrestations pour incendies, violences volontaires et port d’armes.

À 9h30, lorsque la circulation reprenait progressivement aux alentours de la porte Maillot, la préfecture de police faisait état d’une vingtaine de manifestants appréhendés. Une demi-heure plus tard, premier bilan : 22 interpellations, pour 14 gardes à vue.

Pour beaucoup, c’est la grève « de la dernière chance ». On ressent cette frustration dans les propos tenus par Djillali Ouanfour, coorganisateur de la manifestation, au micro d’I-Télé : « Le gars qui s’est endetté jusqu’au cou il y a deux ans pour acheter une licence à 240 000 euros […], au jour d’aujourd’hui [sic], on lui dit que sa licence n’en coûte plus que 140 000. Et dans un an, si on continue comme ça, elle vaudra 100 000 euros. »

Il poursuit : « Et de l’autre côté, un VTC, il achète un costume à Barbès à 10 euros et du jour au lendemain, il devient véhicule de tourisme avec chauffeur ».

Pour Thierry Guichard, membre de Taxis de France, « le calme est possible à partir du moment où les pouvoirs publics cesseront de faire la politique de l’autruche ».

Un médiateur nommé par le gouvernement

Secrétaire d’État aux Transports, Alain Vidalies avait annoncé dès lundi (25 janvier) que les forces de l’ordre allaient amplifier leurs contrôles, notamment contre les VTC prenant en charge des clients sans réservation.

Une pratique constatée porte de Saint-Cloud par I-Télé, auquel un chauffeur de taxi confie que les VTC « se cachent de moins en moins ».

Mardi dans la matinée, on apprend que le Premier ministre Manuel Valls et le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve recevraient une délégation de taxis à la sortie de la réunion du groupe socialiste à l’Assemblée nationale.

Sur les 17 organisations impliquées dans le mouvement, seules 11 se sont rendues aux négociations*, laissant transparaître les dissensions avec celles restées porte Maillot.

Vers 15h00, le cabinet du Premier ministre annonce la nomination imminente d’un médiateur. On apprendra, dans la soirée, qu’il s’agit du député PS de Côte-d’Or Laurent Grandguillaume.

En 2013, l’élu avait déjà été sollicité en 2013 dans le dossier des « poussins » opposant les entrepreneurs aux artisans et qui avait abouti à l’ajout, dans la loi Pinel, de mesures sur le statut d’auto-entrepreneur.

Parmi les autres garanties apportées aux syndicats représentant les chauffeurs de taxis en colère, une « intensification des contrôles » pour assurer « les conditions d’une concurrence loyale ».

La protestation perdure mercredi voire jeudi ?

Si certaines organisations comme la Fédération nationale des artisans taxis appellent à lever le mouvement (au même titre que la préfecture de police de Paris pour « permettre aux Franciliens de regagner leur domicile »), la concertation proposée par le gouvernement ne fait pas mouche chez tout le monde.

Mardi soir, peu après 22h00, on apprend que l’action est reconduite au lendemain. « Voilà trois ans qu’on nous fait des promesses. On est encore dans le même cas, si ce n’est plus grave. […] On ne peut plus attendre », capte-t-on au micro de BFMTV.

Plusieurs centaines de taxis restent mobilisés toute la nuit, dont une centaine à Bercy. Ils sont rejoints, au compte-gouttes, par des confrères venus de Nantes, de Bordeaux, de Nice… et même d’Espagne, pour « défendre l’Europe contre les multinationales qui veulent envahir l’Union européenne ».

Ce mercredi à l’aube, Laurent Grandguillaume était « sur le terrain » pour rappeler son intention de faire appliquer la loi Thévenoud (un « texte d’équilibre », selon lui) tout en garantissant une concurrence saine – ce qui est précisément l’objectif du texte.

Le message est clair (« Il faut qu’on arrive à sortir durablement de ces difficultés »). Le plan d’action l’est moins.

Sur les théâtres d’opérations, la journée de mercredi aura été globalement moins animée, la pluie n’aidant pas. À midi, la préfecture de police de Paris recensait environ un millier de taxis, dont 200 à l’aéroport de Roissy.

À l’heure du déjeuner, une clameur s’élève chez les manifestants : Uber France est condamné à verser 1,2 million d’euros à l’Union nationale des taxis au titre d’une liquidation d’astreinte (voir notre article « Maraude : Uber condamné pour non-respect de mentions d’infos VTC »).

L’AFP recense 7 chauffeurs de taxi déférés devant la justice, cinq d’entre eux ayant accepté de plaider coupable.

En l’état actuel, on se dirige vers des reconductions de grève, y compris en province, avec en tête de liste Marseille, où des opérations escargot ont eu lieu tôt ce matin, selon La Provence, avec un blocage de lieux stratégiques comme la place Castellane.

Selon l’AFP, plusieurs syndicats de taxis comme la CGT ou FO ont annoncé mercredi en fin d’après-midi qu’ils allaient reconduire leur mouvement de protestation à Paris.

D’autres organisations comme le SDCTP et l’association Taxis de France indiquaient que des délégués se rendaient à la préfecture pour faire une demande de renouvellement de l’autorisation de manifester.

Les réactions politiques se succèdent

Thomas Thévenoud, l’éphémère secrétaire d’État au Commerce extérieur sous le gouvernement Ayrault II (mains néanmoins auteur d’un rapport de référence sur le métier des taxis à moderniser et l’activité des VTC à mieux encadrer), est resté discret.

Néanmoins, il affirme, sur Twitter, sa confiance en Laurent Grandguillaume, « homme d’écoute et de dialogue ».

Dans la sphère politique, il y a ceux qui prennent la défense des manifestants. Notamment Laurent Wauquiez. Sur RMC, le président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes évoque la « colère de la France qui travaille ».

Sur Europe 1, Danielle Simonnet, conseillère Front de Gauche de Paris, ne mâche pas ses mots concernant le fonctionnement économique des VTC, assimilés à un « paradis fiscal ».

Le ton est différent chez Jean-François Copé. Sur France Info, le député-maire de Meaux du parti Les Républicains prend la défense des VTC.

Il estime que l’interdiction d’UberPOP (service déclaré illégal par le Conseil constitutionnel) « n’est pas vivre dans son siècle ». Et qu’il appartient aux gouvernements « d’accompagner la mutation des taxis ».

Bien ou mal LOTI ?

Porte-parole de l’organisation, Ibrahima Sylla dénoncent des VTC qui « maraudent électroniquement », « empruntent les voies de bus sous le regard des policiers »… Sa demande est claire : soit « l’indemnisation conséquente de tous les chauffeurs de taxi », soit « la suppression des VTC-LOTI ».

LOTI, quèsaco ? L’acronyme désigne la loi d’orientation des transports intérieurs, publiée le 30 décembre 1982 et qui affirme un droit au transport devant permettre de se déplacer « dans des conditions raisonnables d’accès, de qualité et de prix ainsi que de coûts pour la collectivité ».

Pour développer son activité, Uber s’appuie sur le statut de « capacitaire LOTI» établi par ce texte. Et pour cause : il s’agit d’un statut moins coûteux à obtenir que celui de VTC.

Les organisations de taxis, associatives ou syndicales, dénoncent un détournement de cette loi. Considérant que le texte n’avait pas été élaboré dans l’esprit des applications mobiles de transport de personnes (loin d’exister à l’époque), elles en exigent dorénavant la modification.

La question des licences est primordiale dans les revendications des taxis. Trop chères, système obsolète…Selon les régions et les villes, les licences s’échangent entre 30 000 euros (dans des zones rurales) et 350 000 euros (en Côte d’Azur), évalue Le Figaro qui a décortiqué le dispositif mis en place (et plus ou moins contrôlé) par l’Etat.

* Les 11 organisations sont la CGT, la CFDT, SUD, l’Association française des taxis, la Chambre syndicale des Artisans du taxi, la Confédération des taxis parisiens, le Mouvement des taxis solidaires, l’Union des syndicats FO-UNCP, Taxis de France, le Syndicat pour l’amélioration des conditions de travail du taxi et des services rendus aux usagers et le Syndicat de défense des conducteurs du taxi parisien.

(Crédit photo : leolintang – Shutterstock.com)

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