La pression est mise sur les éditeurs d’apps de messagerie instantanée qui parient sur les communications chiffrées. Au nom de la lutte anti-terroriste, la « coopération » doit être renforcée, estime le gouvernement. Lors d’une conférence commune à Paris, Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, et son homologue allemand Thomas de Maizière, ont évoqué plusieurs points visant à « rehausser collectivement notre niveau de sécurité ».
Les mesures concernant le chiffrement sont scrutées par les acteurs de l’écosystème IT au regard du caractère sensible de ce levier permettant de renforcer la confidentialité des échanges sur les réseaux numériques.
Compte tenu de la levée de boucliers émanant d’organisations comme la CNIL ou le CNNUm, Bernard Cazeneuve a tenu à rassurer dans un premier temps dans son discours : « Pour éviter toute polémique inutile, il n’a bien sûr jamais été question de remettre en cause le principe du chiffrement des échanges : le chiffrement permet de sécuriser les communications, y compris des États. » Néanmoins, le ministre de l’Intérieur français constate que les nouveaux moyens technologiques que le terroristes utilisent – et notamment le cryptage ou le chiffrement de plus en plus systématique des communications – nous obligent à prendre de nouvelles décisions. »
Bernard Cazeneuve concentre ses critiques sur « certaines applications, telle que Telegram » : dans le cadre des procédures judiciaires, les échanges par ces outils de communication interpersonnelle doivent « être identifiés et utilisés comme éléments de preuve par les services d’investigations et les magistrats ». Le ministre de l’Intérieur fustige le degré parfois insuffisant de coopération pour accéder à certaines données. « Je pense notamment à l’application précitée pour laquelle les États ne disposent d’aucun interlocuteur », poursuit-il.
Avec l’appui de son homologue allemand Thomas de Maizière, Bernard Cazeneuve compte demander à la Commission européenne « d’étudier la possibilité d’un acte législatif rapprochant les droits et les obligations de tous les opérateurs proposant des produits ou des services de télécommunications ou Internet dans l’Union européenne, que leur siège juridique soit ou non en Europe ».
Sur le deuxième semestre 2015, Bruxelles avait organisé une consultation publique sur « l’évaluation et la révision du cadre réglementaire des réseaux et services de communications électroniques ».
Un sujet brûlant pour la rentrée. D’ici mi-septembre, la Commission européenne devrait émettre des propositions dans ce sens alors que alors que les règles imposées aux opérateurs télécoms avaient été fixées en 2002 puis révisées en 2009. Ce sera probablement le moment pour évoquer la question du chiffrement associé à ses apps qui dérangent les autorités publiques au nom de la lutte contre le terrorisme.
« Si un tel acte législatif était adopté, cela nous permettrait, au niveau européen, d’imposer des obligations à des opérateurs qui se révéleraient non coopératifs, notamment pour retirer des contenus illicites ou déchiffrer des messages, exclusivement dans le cadre d’enquêtes judiciaires », a conclu Bernard Cazeneuve sur ce volet de mesures pour renforcer la sécurité IT.
Plus tôt dans la matinée, sur France Inter, l’entrepreneur et activiste des libertés numériques Tristan Nitot, considérait qu’il ne fallait pas « faire n’importe quoi face au terrorisme », en l’occurrence « restreindre le chiffrement » au risque « d’affaiblir la démocratie ».
Co-signataire d’une tribune dénonçant les risques de dérive sur les restrictions du chiffrement (avec d’autres membres du Conseil national du numérique et la présidente de la CNIL), il veut alerter l’opinion publique : « Le chiffrement est indispensable à l’économie de la France et au bon fonctionnement d’Internet », poursuit-il.
Tristan Nitot reconnaît que des options de chiffrement des communications comme celles de Secret Chat sur Telegram « peuvent gêner les enquêteurs ». « Néanmoins, ce n’est pas parce qu’elle est gênante qu’elle empêche de mener des enquêtes ». « Aujourd’hui, des infiltrations sont possibles. On peut infiltrer des groupes. C’est davantage de la police traditionnelle que de la surveillance électronique », estime Tristan Nitot.
Mais, à la lumière de l’intervention de Bernard Cazeneuve, le sujet portait davantage sur l’efficacité des enquêtes et la rapidité à collecter des données via les apps de communication chiffrée. Pour que les enquêtes agissent plus vite face aux menaces d’actions terroristes.
Les deux points de vue entre sécurité et liberté sont honorables. Reste à savoir si les moyens mis en place par les autorités publiques éviteront l’écueil de la cyber-surveillance généralisée.
(crédit photo : ministère de l’Intérieur)
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