On aurait tort de négliger les enjeux associés au numérique dans le projet de partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP)*.
Le Conseil national du numérique recommande de nommer un négociateur et un expert « en charge de débattre des enjeux numériques du traité et de servir d’intermédiaire avec l’écosystème » et mettre en place un « comité de suivi opérationnel » (experts, juristes, membres de la société civile…). Car il y a du grain à moudre.
Mercredi soir, le Conseil national du numérique a remis un rapport sur ce volet à Fleur Pellerin, secrétaire d’Etat en charge du Commerce extérieur. Initialement, le CNNum avait été saisi en juillet 2013 par la ministre Nicole Bricq qui disposait de ces prérogatives sous le gouvernement Ayrault.
Le 20 mars, l’instance consultative d’experts du Net a voté un avis à l’unanimité relatif à ses positions et recommandations d’actions pour la France et l’Union européenne dans cette négociation. Plusieurs thèmes « majeurs » ont été identifiés lors de la période de consultation : commerce électronique, concurrence, convergence réglementaire, protection de l’investissement, marchés publics, données, propriété intellectuelle et cyber-sécurité.
Tout d’abord, le CNNum considère que les Etats-Unis mettent davantage de moyens dans les négociations sur le volet numérique du TTIP que l’Union européenne. Une « asymétrie d’ambition et de stratégie » qui pourrait affaiblir notre propre camp, considère le conseil consultatif en charge du numérique auprès des pouvoirs publics (et du gouvernement en premier lieu).
« Force est de constater qu’en dépit de la volonté d’ouverture du Conseil pour une concertation la plus large possible, certaines organisations n’ont pas été en mesure de répondre à nos sollicitations », est-il souligné dans le rapport.
« Les raisons sont multiples et préoccupantes : manque de structuration de l’écosystème français, manque de maturité des acteurs sur l’ampleur des négociations commerciales internationales, manque de vision à long terme, manque de synergie entre les industries et les institutions politiques françaises et européennes, et surtout, existence d’une forte asymétrie d’ambition, d’expertise, et de coordination entre l’Union européenne et les Etats-Unis sur le volet numérique. »
D’où l’appel à une « plus forte mobilisation » pour définir une stratégie de négociation cohérente et coordonnée avec les Etats membres. L’idée d’un séminaire européen pour affiner les positions sur le numérique est avancée.
L’avis du CNNum propose 4 axes stratégiques pour accompagner cette mobilisation : |
1. S’appuyer sur les valeurs de l’Union européenne pour faire levier dans la stratégie de négociation 2. Garantir la capacité de l’Union européenne à réglementer et structurer son marché numérique dans le futur 3. Sortir du seul prisme de la relation entre les Etats-Unis et l’Europe pour aborder le numérique dans sa dimension internationale 4. Accélérer la construction d’une stratégie numérique européenne et renforcer les capacités “numériques” dans la négociation |
Benoît Thieulin, Président du CNNum et du groupe de travail spécial TTIP, considère qu’il faut ne pas rater le coche numérique. Sous peine « de mettre en danger la capacité de l’Union européenne à réglementer dans le futur sur des sujets aussi cruciaux que la protection des données, la régulation des plateformes, ou encore la propriété intellectuelle. »
Sur le rapprochement des réglementations en matière de services de télécommunications, de commerce électronique, et autres services digitaux, l’Union européenne doit avoir une position offensive, considère le CNNum dans son rapport. Il évoque des obligations de non-discrimination, de neutralité, de portabilité, et d’interopérabilité appliquées aux services télécoms et aux plateformes numériques. Il ne faut pas transiger avec le maintien de ces « libertés compétitives » pour éviter la « création de distorsions de concurrence ».
Il faut exclure les questions de cyber-sécurité « dont la régulation dépasse le seul cadre transatlantique et concerne directement la souveraineté des Etats membres ».
Il vaut mieux éviter des travers comme la tentation de percevoir les services audiovisuels comme une partie intégrante de concepts alternatifs applicables à des services numériques, comme la musique en ligne ou la vidéo en ligne. C’est du domaine de la diversité culturelle, tranche le CNNum. « Les services audiovisuels doivent être systématiquement définis par leur contenu et non par leur mode de diffusion. »
Des divergences profondes vont ressurgir à l’occasion des débats sur le TTIP comme la propriété intellectuelle : « L’approche américaine sur la brevetabilité du logiciel n’est pas cohérente vis-à-vis du modèle européen, qui promeut le droit d’auteur et le logiciel libre, défend l’importance du domaine public, et reste attentif aux questions de brevetabilité de l’information. »
Autre enjeu : jusqu’où pousser la « convergence réglementaire » (comme les normes qui régissent le secteur IT) qui est par ailleurs de nature à conditionner l’essor de nouveaux marchés du numérique, tels que celui des objets connectés ? Sur ce point, le Conseil national du numérique privilégie « une harmonisation réglementaire à travers un renforcement des instances internationales de normalisation plutôt que les reconnaissances mutuelles ».
Petit rappel du calendrier TTIP : Les négociations politiques sur l’accord transatlantique ont débuté le 17 février et devraient s’achever en novembre 2014. Mais, au regard des enjeux multi-sectoriels, l’échéance 2015 pour conclure le TTIP paraît plus probable.
*Projet de Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement (PTCI) en français ou Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP) en anglais
Informations et documents disponibles sur : http://www.cnnumerique.fr/ttip/
La data à l’ère numérique, enjeu du traité TTIP ? |
La question des données sera-t-elle un sujet examiné dans le cadre du TTIP ? Sachant que l’Union européenne a entamé de son côté une révision de la direction sur la protection des données personnelles datant de 1995. Ce sujet délicat pourrait entrer en collision avec les négociations Europe – USA.Pas sûr car la question des données n’est pas mentionnée dans le mandat européen de négociation. En revanche, les États-Unis poussent à un renforcement de la libre circulation des données entre les entreprises situées au sein de l’Union européenne et aux Etats-Unis (« cross-border data flows »). Le CNNum perçoit le danger avec une telle approche. « Instaurer un principe de libre circulation des données entre les Etats-Unis et l’Union européenne pourrait empêcher l’Union de restreindre cette circulation, justifiée par un impératif de protection des intérêts industriels et non économiques (vie privée, sécurité publique, santé publique, etc.). » En corrélation, le dispositif Safe Harbor (« sphère de sécurité ») paraît inefficace à l’ère du cloud, au regard du caractère intrusif du cadre règlementaire pour lutter contre le terrorisme côté USA et les révélation d’Edward Snowden sur le cyber-espionnage à grande échelle pratiqué par la NSA. Ce mécanisme Safe Harbor, qui avait été mis en place en 2000, permet aux entreprises américaines de transférer des données personnelles depuis l’Union européenne. Mais, en novembre 2013, la Commission européenne a publié un rapport sévère sur son fonctionnement, dénonçant le manque de transparence et de mise en oeuvre des exigences. A ce stade, elle ne proposait pas de le renégocier, mais formulait 13 recommandations pour l’améliorer, rappelle le CNNum. |
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