Il faudrait peut-être cesser de parler de transformation numérique mais de transformation tout court.
Tant l’enjeu technologique semble en deçà de l’enjeu managérial. « Comment mettre l’innovation au cœur de la culture d’entreprise ? » était la question posée à quatre grandes entreprises jeudi 11 juin, premier jour de Futur en Seine.
Compte-rendu des débats.
« Le métier de l’assurance a l’avantage d’avoir vu d’autres industries essuyer le feu. Mais aujourd’hui, avec les objets connectés qui investissent la maison ou la voiture – le cœur des contrats dits IARD – nous sommes en première ligne. »
Son premier chantier a été de mettre tout le monde en réseau en lançant au printemps une « digital workplace ».
« La MAIF est une grosse start-up de 7000 personnes mais avec encore des organisations en silos qui communiquent mal ». Dans un esprit mutualiste, ce réseau social interne devrait, à l’avenir, s’ouvrir aux sociétaires et aux clients « militants ».
Ensuite, pourquoi ne pas organiser des actions de crowdsourcing…. « Dans le cas, par exemple d’une inondation, la plateforme permettrait de lever une communauté d’entraide. »
Pour cet ancien directeur conseil de l’agence La Netscouade, il s’agit aussi, de façon plus profonde, de changer les mentalités. « A la base, la Maif, c’est la mutuelle des profs. Avec un esprit, ije contrôle et mets des notes' ».
Romain Liberge appelle à une révolution managériale pour libérer les initiatives, cultiver l’intrapreneuriat. Par vagues, des centaines de managers sont envoyés dans des entreprises dites « libérées », comme Leroy Merlin.
La Maif a aussi signé un partenariat avec Ouishare, un think tank dédié à l’économie collaborative. Un bon moyen de se frotter avec des startups développant de nouveaux modèles. La mutuelle va aussi ouvrir, d’ici la fin de l‘année, le chantier de l’obsolescence des compétences. Comment trouver les compétences critiques dont on aura besoin demain.
En attendant, elle cherche à attirer à son siège de Niort les très courtisés data scientists, des actuaires 2.0 qui savent manier le big data.
Pour Françoise Mercadal-Delassales, Directrice des ressources et de l’innovation de la Société Générale, la transformation numérique correspond ni plus ni moins à une transition anthropologique de nos sociétés.
« L’utilisation massive des nouvelles technos change nos rapports humains dans la famille, l’école, l’entreprise. Longtemps la banque s’est crue à tort protégée. Aujourd’hui, nous saisissons toute l’ampleur du choc. Quand nous voyons la courbe de l’utilisation du mobile s’envoler en flèche, il est clair pour tout le monde que la banque ne sera plus jamais comme avant.»
Mais on ne peut pas changer une entreprise, si on ne mets pas les outils qui vont bien. Avec le programme DigitForAll, Société Générale équipe actuellement ses 150 000 collaborateurs de tablettes équipés de la suite collaborative de Microsoft pour faire du tchat ou de la visioconférence.
‘Avant, dans le monde fermé de la banque, des salariés n’avaient pas accès à internet. C’était perçu comme une perte de temps, de productivité. Aujourd’hui, on préconise à un conseiller de ‘googliser’ son client avant de le rencontrer. Il fallait réduire l’écart avec la vie réelle. A la maison, ça fait longtemps que l’on fait ses courses en ligne.‘
Le réseau social, lancé en 2013, avait préparé le terrain. Avec le programme Peps ! (pour Projet expérimental participatif stimulant), les salariés étaient interrogés sur leur vision de la banque de demain. Le réseau social est rapidement monté à 3 4000 inscrits. Il en compte 60 000 aujourd’hui.
« Bien sûr, on peut sortir des métriques sur le taux d’utilisation de ces outils mais il y aura certainement d’autres indicateurs plus pertinents. Je crois en l’intelligence collective. Il y a une envie forte de travailler différemment, de façon moins hiérarchisée.
« 4000 à 5000 personnes expérimentent le télétravail. C’est un challenge extrême pour des managers qui ont 20 ou 30 ans d’expérience. Ils doivent être dans le lâcher prise, ouvrir les fenêtres. Il faut créer un choc en proposant d’aller à la rencontre des start-up, des GAFA. » [Google, Amazon, Facebook et Apple, ndlr]
Chez Engie (ex GDF Suez), le numérique permet une vraie revalorisation des métiers.
« L’image du technicien avec sa clé de 12 et sa boîte à outils, c’est fini. Il a aujourd’hui une webcam, un smartphone pour échanger avec la centrale. Cela rend le métier plus smart », illustre Ludovic Parisot, Directeur de projet innovation.
Engie a aussi déployé toute la panoplie de l’entreprise agile. A commencer par le réseau social interne, codé sur mesure. En place depuis 10 mois, il compte 8 500 collaborateurs et plus de 250 idées d’innovation ont été remontées.
« Après s’être assuré de motivation et de sa compétence, on accompagne le collaborateur qui a La bonne idée. Il sort du groupe pendant 12 à 18 mois pour incuber son projet et se rapproche des startups. » Des partenariats ont été notamment noués avec Le Village et Paris&Co. Après cette période, il revient dans le groupe ou monte sa boîte.
« Tout salarié peut s’inscrire dans cette démarche. C’est l’hyperdémocracie. Il remettre en cause les codes managériaux où dès que l’on sort la tête du rang, on se la faire couper. »
En guise d’incentive, Engie a mis en place un système de gamification. Chaque acte dans l’environnement virtuel donne lieu de points qui peuvent se concrétiser au final en cadeaux bien réels.
Engie cultive aussi son écosystème d’innovation. En avril, le groupe organisait son hackathon « Hack the drones » à l’Ecole 42. Il s’agissait notamment de voir comment les drones pouvaient déceler les fissures sur des ponts, des barrages. Le groupe a aussi créé un fonds d’investissement de cent millions d’euros pour prendre des participations minoritaires dans des start-up matures.
Enfin, du 15 au 19 juin, Engie lancera sa première « Semaine de l’innovation ». Plus de 115 événements, réunissant experts, startups, clients, partenaires et collaborateurs, seront organisés dans une vingtaine de pays autour des thèmes des énergies renouvelables, des villes intelligentes ou de la mobilité.
L’objectif in fine est de faire d’Engie le leader de la transition énergétique. « Ce qui passe par la transition numérique. Nos clients nous attendent sur de nouveaux métiers, de nouveaux services », avance Ludovic Parisot.
Le travail est moins pénible pour ces ouvriers du bâtiment « augmentés », surtout quand ils approchent la retraite [vidéo].
Dans les bureaux d’études de Bouygues Construction on trouve aussi un nouveau métier : le BIM manager, du nom de « Building Information Modeling ».
Une maquette numérique qui associe tous les process de la construction afin de concevoir et exploiter un ouvrage plus rapidement et plus efficacement [vidéo].
« De toute évidence, les métiers que feront nos collaborateurs dans dix ou vingt ans ne sont pas ceux d’aujourd’hui », avance Vincent Maret, direction de l’innovation du groupe Bouygues. Pour les imaginer, le groupe au Minorange a créé une chaire « Bâtir durable et innover » avec l’Ecole des ponts, Centrale Paris et Supelec.
Début juin, Bouygues immobilier créait aussi Bird (Bouygues Immobilier R&D) une filiale dédiée à l’investissement dans les startups spécialisées dans l’immobilier. Avec des prises de participations minoritaires (de 10 à 15%). Des salariés de Bouygues sont invités à passer du temps dans ces jeunes pousses pour se frotter à l’innovation.
« Il ne suffit pas de donner aux collaborateurs des tablettes et un réseau social d’entreprise pour se réinventer », estime Vincent Maret qui indique que le siège social du groupe s’appelle Challenger.
Le fondateur du groupe, Francis Bouygues, rappelait ainsi que même si son entreprise familiale était leader dans un certain nombre de domaines, elle doit toujours adopter une attitude de challenger.
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