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Tribune Exponential : La fraude, une menace pour la publicité digitale

Au cours des dernières années, le secteur de la publicité numérique a affiché un certain optimisme. Avec l’apparition de nouveaux supports (smartphones, tablettes…) et l’abondance des médias, la publicité devenait le nouvel Eldorado des marques et des temps forts marquant « l’année du mobile », « la montée de la publicité programmatique », « l’ère du nomadisme « , etc.

Mais, dans cette effervescence créative, comme le problème de la fraude publicitaire a-t-il pu atteindre de telles proportions en 2013 ?

I Constat inquiétant

Des cabinets d’audit et des éditeurs de solutions de mesure d’audience diffusent des statistiques alarmantes : la moitié du trafic sur Internet ne serait pas d’origine humaine, ce qui correspondrait à un préjudice de 6 milliards de dollars par an en fausses impressions publicitaires aux dépens des annonceurs (marques, enseignes…) !

Au regard des volumes concernés, l’inquiétude est grandissante. Certes, les arnaqueurs ont toujours existé dans le secteur de la publicitaire, la sophistication actuelle des fraudes est sans commune mesure avec celles d’antan.
Aujourd’hui, tous les acteurs de la publicité digitale – acheteurs comme vendeurs – se démènent pour trouver une solution.

Il faut analyser plus particulièrement certains aspects : pourquoi la prolifération de la fraude est-elle si rapide ? Pourquoi ce problème est omniprésent dans notre secteur ? Comment un grand nombre d’acteurs alimentent-ils la fraude ? Et, finalement, que faire pour éradiquer ce fléau ?

II Comment la fraude se concrétise

Quand nous pensons KPI (indicateurs clés de performance) et métriques à succès, les « clics » viennent spontanément à l’esprit. Nos métriques s’appuient encore largement basées sur cet objectif de performance et les annonceurs attendent que le taux de clics soit le plus haut possible.

Cette exigence conduit les vendeurs à acquérir des inventaires publicitaires bon marché, qui peuvent se traduire par des conversions parfois illusoires, avec peu, voire aucune, augmentation des ventes, revenus ou retour sur investissement (ROI).

Et comme de plus en plus de médias sont achetés et vendus dans des environnements automatisés avec un contrôle humain de plus en plus limité, le niveau de fraude, ainsi que le nombre de transactions quotidiennes engendrés, ne peut qu’augmenter.

Les places de marché publicitaire ouvertes (« open ad exchanges ») ouvrent une autoroute à la fraude : les faux sites ou les sites truffés de botnets vont permettre de rehausser artificiellement tous les KPI pour atteindre les objectifs des annonceurs. Dos au mur, les acheteurs n’auront d’autre choix que de transférer leurs budgets vers ces marketplaces à « haute performance ».

On a longtemps observé une certaine tolérance vis-à-vis de la fraude dans les processus d’achat et de vente d’espaces dans la publicité numérique. Cependant, plus les dépenses médias sont importantes, plus le développement potentiel de la fraude est grand. Au regard de l’avancée technologique dans les process d’achat programmatique (RTB), les craintes ont pris une certaine proportion.

1)    Types de fraudes les plus répandues

La notion de « fraude » est un fourre-tout qui simplifie à outrance la vraie nature sophistiquée du problème. Au premier abord, on peut lister les types de fraudes suivants : la fraude d’impressions, la fraude au clic et la fraude à l’affiliation.

Mais en approfondissant, on découvre plusieurs techniques adjacentes de fraudes que l’on peut regrouper en deux catégories (voir tableau ci-dessous) : fraude par les navigateurs Internet (« bot-fraud » et collecte détournée de cookies) et la « fraude réalisée par le biais des sites » (« site-level fraud »), regroupant plusieurs méthodes déloyales.

Fraude via les navigateurs Internet : Fraude réalisée par le biais des sites Web
La fraude par botnet ou la génération artificielle d’impressions : Un fraudeur lance un botnet pour générer rapidement des pages vues sur un faux site Internet qui prend l’apparence d’un site Web légitime.
Le détenteur du site – le botmaster – peut alors vendre ce faux inventaire aux annonceurs « en blind » (achat d’espaces publicitaires en display sur des sites inconnus).
On retrouve une démarche similaire initiée par des propriétaires de sites Web légitimes qui achètent du « trafic bon marché » via des programmes d’affiliation pour booster leur volume d’impressions.
Empilement de publicité : Cela consiste à superposer des publicités sur un seul emplacement. Ces publicités sont souvent empilées sur la partie supérieure d’un site Web pour optimiser leur visibilité.
Collecte détournée de cookies : Cela peut arriver lorsqu’un fraudeur exploite des « navigateurs Internet zombies » [dans le cas de détournement de navigateurs, ndlr].
Ces derniers pointent vers un site Internet légal pour collecter les cookies (des traceurs déposés et / ou lus, par exemple, lors de la consultation d’un site Internet).
Une fois l’opération effectuée via le navigateur falsifié, le fraudeur ordonne au botnet de se rendre sur son propre site Web en vue d’un reciblage (« retargeting ») pour exploiter les cookies récupérés et optimiser les insertions publicitaires de manière détournée.
Auto-rafraîchissement : Lorsqu’une page rafraîchit la publicité après un temps minimal de consultation, doublant ou triplant ainsi le volume d’impressions au compteur.
Accumulation de cookies : Une technique qui consiste à « entasser » ou cumuler de multiples cookies pour un utilisateur unique, même si ce dernier n’a pas vu ou cliqué sur la publicité.
Boucles de redirection : Lorsqu’un site est conçu de manière à envoyer ses utilisateurs vers de multiples domaines afin de gonfler artificiellement le nombre de visiteurs.
Bourrage de publicité ou de pixels : Une publicité intégrée discrètement dans le code. C’est une question de pixel (représente le plus petit point à distinguer dans une image) sur une page. Une technique qui permet de comptabiliser des insertions publicitaires supplémentaires alors que la publicité est invisible pour l’utilisateur.
Le recours au paid-to-click (ou PTC) : Des agents humains sont rémunérées pour cliquer sur des publicités, pour générer du trafic et augmenter le nombre de clics, sans aucune intention d’acte d’achat ou de consommation d’un service.
Achat de trafic (que l’on pourrait aussi caser dans la catégorie « fraude par botnet ») : Un vendeur achète par des enchères une quantité importante de trafic à bas coût afin d’augmenter le nombre de pages vues, et ainsi, les impressions.

(Source : Exponential, ITespresso.fr, octobre 2014)

2)    A qui bénéficie la fraude ?

La fraude à la publicité nuit aux annonceurs (marques, enseignes…) et profitent aux exploitants de botnets. C’est une aubaine pour eux car ils empochent une part non négligeable des 140 milliards de dollars de dépenses publicitaires sur Internet. C’est l’engrenage : plus d’automatisation dans les process, moins de contrôles et plus de fraudes.

Mais il n’y a pas que les botmasters ou les propriétaires de sites frauduleux qui en tirent un certain profit. Les acheteurs d’espaces médias, comme les agences médias, peuvent également en tirer un avantage de manière involontaire : en affichant des superformances artificielles réalisées par botnets, ils peuvent décrocher de la part de leurs clients annonceurs des budgets d’achats médias en hausse.

De leur côté, pour répondre à la demande, les places de marché publicitaires ouvertes et les SSP (Supply Side Platform, plateforme permettant aux éditeurs/offreurs de faciliter la gestion de leurs inventaires) acquiert des inventaires à bas coût émanant d’éditeurs inconnus, quitte à se contenter d’une transparence limitée en termes de qualité (formats, emplacements…).

III Quel Impact sur l’industrie de la publicité digitale ?

Avec une meilleure compréhension des mécanismes de la fraude en hausse, nous pouvons nous concentrer sur son impact dans le secteur de la publicité sur Internet. Sans vigilance, la fraude risquer de miner le potentiel et la confiance.

Nous pouvons dénombrer six principaux impacts négatifs sur l’industrie globale :

1)    La fraude frappe toutes les plateformes

Les marchés de la publicité sur terminaux mobiles et vidéo augmentent sans montrer de signes de fléchissements. Selon eMarketer, le segment de la publicité vidéo atteindra 8 milliards de dollars en 2016. Quant au marché de la publicité mobile, il atteindra 18 milliards de dollars dès cette année.

Plus les annonceurs orientent leurs budgets vers ces formats de publicité, plus ils deviennent des cibles pour les fraudeurs.

La publicité vidéo est particulièrement vulnérable car ses tarifs sont souvent dix fois supérieurs à celui du display. Cible privilégiée pour les fraudeurs, les annonceurs gaspilleraient environ 6,8 millions de dollars chaque mois sur les formats vidéo ! (détails sur DoubleVerify). Et, avec le mobile, 40% du volume de clics paraissent suspects.

La fraude a toujours existé pour le display classique, mais l’appât d’un plus gros gain stimule désormais sa prolifération sur d’autres formats comme la vidéo et le mobile. Une extension qui pourrait faire douter les responsables marketing en charge des achats médias et nuire à l’investissement et à l’innovation au final.

2)    La fraude nous oblige à repenser les sources d’inventaires

Bien que les botnets alimentent la fraude, ils pourraient néanmoins servir de caution aux vendeurs comme aux acheteurs d’espaces publicitaires pour sortir de ce guêpier par le haut.

Les botnets aident à augmenter artificiellement les taux de clics et de conversions. Malheureusement, comme ces « clics » et « conversions” ne sont pas le fait d’internautes réels, il n’y a aucune chance que les annonceurs engrangent des revenus additionnels avec ces pratiques automatiques.

Les agences et les annonceurs doivent donc impérativement évaluer leurs sources d’inventaires avec précaution, en ne se laissant pas berner par les simples statistiques de performance. Les « meilleures performances » affichées sont susceptibles de cacher un trafic généré par des botnets.

3)    Des garde-fous face à la fraude

La suspicion augmente sournoisement et le besoin de transparence accrue se fait ressentir également ! La lutte contre la fraude nécessite que les standards en la matière soient rehaussés du côté des vendeurs au nom de la sécurité à apporter aux annonceurs.

Que les réseaux publicitaires qui ont maintenu des relations directes et transparentes avec les éditeurs soient récompensés. Les éditeurs premium et de taille intermédiaire ayant maintenu un niveau d’inventaire de qualité (en étant parvenu à éviter l’achat de trafic « low cost ») vont prospérer.

Les annonceurs devront et voudront payer plus pour un inventaire plus sécurisant et de meilleure qualité. Tout le reste sera balayé. Ce phénomène va connaître une accélération nette avec l’utilisation plus importante de nouvelles technologies au service du contrôle. C’est le cas d’Integral Ad Science, qui associe le contrôle de la diffusion de l’espace et de la visibilité des formats et la lutte anti-fraude.

4) La fraude impacte tous les éditeurs

Même les plus sérieux des éditeurs ne peuvent empêcher les robots d’investir leurs sites. Ils doivent faire les efforts nécessaires pour savoir identifier les sources de trafic et comment leurs visiteurs ont découvert leurs contenus.
Ils doivent analyser et suivre la qualité de leur trafic, spécialement s’ils travaillent avec un prestataire pour les soutenir dans le Search Engine Marketing (SEM, ou comment gagner en visibilité sur les moteurs de recherche).

En poussant cette logique à l’extrême, les bons éditeurs – du moins ceux qui se soucient de la qualité de leurs inventaires et du contrôle à exercer dessus – devraient éviter d’avoir recours à l’outsourcing (faire appel à des prestataires extérieurs).

5) Les annonceurs devront payer plus

Jusqu’à aujourd’hui, il y a eu très peu de motivations à éradiquer la fraude par botnet parce que les budgets, que les marques consentent à la communication et qui sont pris en charge par les agences médias, sont injectés dans des sociétés (régies, sites, etc.) qui achètent du trafic « bon marché ».

Il faut stopper cette fuite en avant du « Toujours plus en payant beaucoup moins ». La qualité a nécessairement un coût. Pour parvenir à un cercle vertueux sur l’ensemble de la chaîne, les annonceurs doivent rémunérer les prestations de leurs agences à leur juste valeur, les agences doivent acheter au juste prix les espaces aux régies, les régies doivent garantir des espaces de qualité et les éditeurs une audience fiable.

Si 30 à 40% des inventaires globaux sont de nature frauduleuse, l’espace d’exposition accordée aux annonceurs se réduit considérablement. Dans ce cas, comme dans tout écosystème, quand l’offre diminue, la demande et les prix augmentent.

En théorie, les éditeurs pourraient donc légitimement procéder à une augmentation de leur CPM (coût pour mille). Douce illusion…C’est une responsabilité collective : Les régies ne devraient pas vendre des inventaires qui ne sont pas acceptables.

6) La fraude sonne potentiellement le glas des places de marché ouvert

Va-t-on assister à la disparition des « open ad exchanges » ? Dans leur forme actuelle, peut-être. Car le niveau de fraude constaté sur ce type de places de marché illustre leur défaillance. Inutile de se voiler la face : le système de vente sur les places de marché ouvert doit changer.

On peut s’attendre à un revirement des annonceurs, des agences et des trading desks alors que de grands mouvements s’opèrent. Ainsi, GroupM a récemment décidé de se retirer définitivement des places de marché ouvert.

De l’autre côté, les places de marché privé pourraient basculer dans une nouvelle ère dans l’achat médias. On va finalement revenir en arrière : oui à l’achat en RTB mais avec des relations directes avec votre les ad exchanges privés pour revenir vers un inventaire que l’on maîtrise vraiment.

7) Fraude massive : vers une ré-allocation des budgets médias ?

Depuis plusieurs années, les marques ont massivement transféré leurs budgets publicitaires de la télévision au digital, spécialement depuis l’apparition et le développement des nouveaux terminaux et médias.

Hélas, en raison la barrière d’entrée relativement faible pour un botnet, les marques pourraient reconsidérer les budgets transférés si rapidement. Ces investissements gaspillés pourraient conduire à de nouvelles ré-allocations de budgets ailleurs sur d’autres canaux de communication. Ce qui ne serait une bonne nouvelle pour personne dans le secteur de la publicité digitale.

IV Comment endiguer la fraude publicitaire

Pour les annonceurs qui souhaiteraient éradiquer la fraude, il existe plusieurs stratégies efficaces à mettre en place :

–    Regardez plus attentivement les inventaires achetés et ne travaillez qu’avec des supports médias de confiance. Il est essentiel de travailler avec des partenaires dotés d’outils de suivi et de reporting pour vous protéger de la fraude.

–    A cause de la fraude est de plus en plus sophistiquée, vos partenaires doivent avoir mis en place des processus et des contrôles réguliers pour démontrer la qualité de leurs inventaires et de leurs audiences dans un secteur qui exige davantage de transparence.

Aux Etats-Unis, les éditeurs peuvent participer au programme Quality Assurance Guidelines de l’Internet Advertising Bureau (IAB). Ils  ont pris l’engagement de mener des audits réguliers de leurs sites et d’afficher une certaine transparence vis-à-vis de leurs sources de trafic.

–    Ne pas hésiter pas à collaborer avec des partenaires médias qui travaillent également de leur côté avec des tiers de confiance de lutte contre la fraude.

Responsabilisation et création de standards de qualité, de transparence et de protection seront à coup sûr les clefs du succès. Il en va de l’avenir de la publicité digitale ni plus ni moins.

Une tribune co-signée par Fabrice Leclerc, General Manager d’Exponential France, et Craig Simmons, Product Strategy and Operations Manager chez Exponential (fournisseur américain de solutions pour « l’intelligence dans la publicité » et de solutions médias à l’ère numérique).

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