Uber, Heetch and co : quand l’économie numérique secoue l’État

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Comment des sociétés comme Uber et l’État se perçoivent-ils l’un l’autre ? Une table ronde organisée sur le salon Autonomy a donné des éléments de réponse.

Vous aviez demandé Laurent Grandguillaume ? Ce sera Pascal Terrasse.

Le député PS de Côte-d’Or, nommé médiateur dans le conflit taxis – VTC, devait intervenir ce jeudi lors d’une table ronde organisée sur le salon Autonomy, en présence de Thibaud Simphal (directeur France d’Uber) et Teddy Pellerin (CEO de Heetch).

C’est finalement son collègue, élu de l’Ardèche et auteur d’un rapport sur l’économie collaborative remis au Premier ministre en février, qui s’est prêté au débat autour d’une thématique au carrefour de l’innovation et de la tradition : « Les startups [sic], c’est comme les chatons… ».

La suite de la phrase ? « …C’est mignon à cet âge-là, dommage que ça grandisse », pour reprendre la formulation de Stéphane Soumier, directeur de la rédaction de BFMbusiness.

Dialoguer pour innover

Vraiment inévitables, les conflits avec les États ? Au nom d’Uber, Thibaud Simphal préfère parler d’un « dialogue » auquel il invite toutes les start-up.

« L’innovation qui se fait sans discussion n’a aucun intérêt », explique le dirigeant, non sans reconnaître que « les deux, trois premières années, Uber n’a pas suffisamment fait cette démarche ».

En toile de fond, un constat que l’agence de conseil en innovation Fabernovel a établi dans une étude parue cet été : pour se globaliser, l’entreprise californienne doit penser local. Il lui faut assimiler les particularités de chaque marché, en matière d’infrastructures, de niveau de vie, d’environnement concurrentiel, mais aussi de cadre réglementaire et législatif.

Sur ce dernier point, il y a parfois de quoi faire. Thibaud Simphal l’avait d’ailleurs affirmé en début d’année dans le cadre des 1res Journées Chauffeurs-Entrepreneurs : « On pensait qu’on pourrait se développer [en France] comme on l’a fait aux États-Unis. On s’est trompé ».

Au premier abord, Pascal Terrasse est sur la même ligne : il estime important de « ne pas freiner l’économie nouvelle » et de « laisser l’audace créatrice s’exprimer » dans un pays qui, « singularisé par son histoire », hésite à « casser des codes ».

Dégâts collatéraux

Au fil de son discours, le parlementaire pèse habilement le pour et le contre : « Tout n’est pas rose chez Uber », lance-t-il tout net en abordant les grandes lignes de son rapport remis en février dernier à Manuel Valls. Entre fiscalité et protection sociale, le texte a une approche progressiste. Plus – en tout cas dans la forme – que Laurent Grandguillaume lorsqu’il a défendu, devant l’Assemblée nationale, sa proposition de loi relative à la régulation du secteur du transport particulier public de personnes, en dénonçant notamment les « mensonges et moyens exorbitants d’une multinationale » et en faisant le parallèle avec les « libéraux libertariens ».

La multinationale en question, qu’on aura identifiée comme étant Uber, ne nie pas se livrer à du lobbying. Mais elle estime faire preuve de « transparence » dans la démarche, traduite entre autres par l’achat d’espaces dans la presse nationale pour communiquer essentiellement sur la question des emplois que pourrait permettre de créer sa plate-forme.

Et Heetch dans tout ça ? Teddy Pellerin estime que sa start-up, qui exploite une « solution de mobilité nocturne », s’est retrouvée prise « au milieu du conflit taxis – VTC » au moment où celui-ci prenait de l’ampleur.

Depuis lors, la jeune pousse active principalement en Île-de-France maintient que les pouvoirs publics se fourvoient en assimilant son offre à un uberPOP et en considérant par là même qu’il est soumis à l’arrêté no 015-00526 du 25 juin 2015 – lequel porte réglementation de l’activité de transport routier de personnes en région parisienne ; pour creuser le sujet, voir notre article « Heetch essaie de décoller l’étiquette uberPOP ».

Des chatons et des tigres

Bien qu’il se dise « ravi d’en parler in extenso », Thibaud Simphal se garde bien, dans la pratique, de revenir sur le cas uberPOP, qui lui a valu une sanction en correctionnelle pour pratique commerciale trompeuse, complicité d’exercice illégal de la profession de taxi et délits relatifs à la conservation de données personnelles.

Il remet plutôt sur la table le rôle de l’État… et ses contradictions : « Quand on crée la Halle Freyssinet [méga-incubateur fondé sous la houlette de Xavier Niel, ndlr], on doit se dire que l’objectif est d’en faire sortir des tigres ; pas des petits chatons tout gentils qui ne vont jamais rien faire ».

Difficile de ne pas faire le lien avec le tollé qu’avait suscité, début juin, ce journaliste américain qui, de retour d’un voyage de presse « French Tech » organisé par l’agence gouvernementale Business France, avait déclaré que l’écosystème français manquerait d’ambition.

Pour résumer son propos, les jeunes pousses ne seraient bonnes qu’à être rachetées tôt ou tard par de grands groupes ; alors qu’aux États-Unis, on se demande qui sera « le nouveau Google » perturbant l’équilibre établi.

Cette vision d’un univers figé, acquis à des « dinosaures », n’a pas fait consensus, y compris au sein de la presse américaine. Mais celle-ci a perçu, dans la réaction des acteurs de la French Tech, le reflet, sinon d’une culpabilité, tout du moins d’une incertitude.

De la responsabilité

Pour Thibaud Simphal, ça ne coûte pas grand-chose de généraliser : « Dès qu’une start-up grossit, il se passe, en Europe, des choses qu’on ne voit pas ailleurs ».

Laurent Grandguillaume eût sans doute modéré cette conclusion, lui qui souligne, sur son blog, que l’expression « économie collaborative » renferme différentes réalités, « de la start-up qui innove et qui s’inscrit dans une dynamique collaborative à la multinationale qui se développe sur la base de schémas d’optimisation fiscale et qui veut imposer un monopole sectoriel ».

Pascal Terrasse se montre moins incisif. Non sans souligner les « bonnes relations » qu’il entretient avec Uber, le député affirme que l’État « doit se poser comme un outil qui accompagne les plates-formes […], sans octroyer d’avantage concurrentiel à l’une ou l’autre » (une référence à la plate-forme Le.Taxi, qui apporte aux exploitants de taxis agréés un système de géolocalisation ?).

Il rappelle cependant que ce schéma suppose un principe de « loyauté » des plates-formes, sur la base d’obligations fiscales et d’une responsabilité sociale, à l’heure où l’économie collaborative crée des emplois parfois occasionnels et précaires, non sans en détruire, particulièrement dans les fonctions intermédiaires.

Avec ou sans franchise ?

Face à ces enjeux de paupérisation et de dumping social, le rapport Terrasse suggère de renforcer la convergence des régimes de protection des salariés et des travailleurs indépendants : portabilité des droits sur le compte personnel d’activité (CPA), mobilisation de la validation des acquis de l’expérience (VAE), facilitation de l’accès au crédit…

L’article 60 de la loi Travail du 8 août 2016 introduit des dispositions dans ce sens. Sous certaines conditions, les plates-formes ont à charge la formation professionnelle des travailleurs indépendants et les frais de l’assurance qu’ils souscrivent pour couvrir les risques d’accident du travail. Leur est aussi accordé le droit d’entrer dans un « mouvement de refus concerter de fournir leurs services » sans engager leur responsabilité contractuelles.

Sur le volet fiscal, Pascal Terrasse est favorable, à l’instar d’autres rapporteurs en Europe et au sein de l’OCDE, à l’instauration d’un régime reliant la base d’imposition à l’endroit où les multinationales génèrent leurs profits. Il suggère par ailleurs que les plates-formes aient l’obligation de transmettre à l’administration fiscale les revenus dégagés par leurs utilisateurs.

Ce point a été abordé lors de l’examen de la loi « pour une République numérique ». Mais l’article 23 quater, qui en était l’objet, n’a pas passé le cap de la commission mixte paritaire après la première lecture au Sénat. Le 23 quinquies, qui instaurait une franchise de 5000 euros sur les revenus issus de l’économie collaborative, a été retiré « mécaniquement ».

Des emplois, mais lesquels ?

Pour Pascal Terrasse, il est important de viser large : « On ne peut pas répondre à une exigence propre à Uber sans toucher aux autres métiers », explique-t-il, en mentionnant l’exemple des agriculteurs qui travaillent pour une collaborative.

L’élu socialiste reconnaît néanmoins qu’il faudra savoir établir une exception pour les jeunes plates-formes, auxquelles « on ne peut pas demander une contribution immédiate ».

Pour Thibaud Simphal, il y a une réalité : celle du chômage massif. « C’est ça, le vrai accident de travail », résume le dirigeant. Et de faire référence aux études régulièrement commandées à l’économiste Augustin Landier, professeur à la Toulouse School of Economics.

L’une d’entre elles avait alimenté une table ronde à l’occasion des Journées Chauffeurs-Entrepreneurs. Thierry Solère, député Les Républicains des Hauts-de-Seine, avait pris la balle au rebond, considérant comme « criminel » de maintenir les barrières existantes alors que le profil du chauffeur Uber « correspond au profil du demander d’emploi ».

L’entreprise américaine évoque un taux de 15 à 30 % d’autoentrepreneurs sur sa plate-forme en France (fonction des saisons). Le reste se divise pour moitié-moitié entre des indépendants et des salariés d’entreprises de transport… dont on ignore s’ils sont sous statut VTC ou LOTI.

Source photo en illustration de l’article : compte Twitter Uber France


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