mise à jour du 12 juillet 2016 à 7 h 51 : Fabernovel nous signale que Frédéric Mazzella, Jean-Christophe Liaubet et Marie Ekeland n’ont pas « contribué » à l’étude, mais l’ont « relue en fin de course ».
Ci-dessous, l’article original :
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Métaphore osée, mais appropriée ? De la synthèse à la mise en place de mécanismes de défense, pour Fabernovel, on peut comparer le développement d’Uber à celui d’un virus.
L’agence de conseil en innovation a pris le contrepied des nombreuses études centrées sur l’aspect sociologique associé aux activités de la plate-forme américaine intermédiaire dans le transport de particuliers.
Elle a choisi de s’intéresser au fonctionnement même d’Uber et à la manière dont son modèle se déploie à l’international malgré les barrières concurrentielles et réglementaires.
Le rapport établi à cette occasion se nourrit des contributions de Frédéric Mazzella (BlaBlaCar), Jean-Christophe Liaubet (Exane BNP Paribas) ou encore Marie Ekeland (Elaia Partners).
Petite remise en contexte : Uber, c’est plus d’un million de chauffeurs, 3 millions de courses par jour dont un tiers en Chine, une présence dans 470 villes sur 70 pays, 10 milliards de chiffre d’affaires en 2015 – sans compter la part reversée aux chauffeurs – et près de 15 milliards levés auprès de banques, de fonds d’investissement, de groupes technologiques et de business angels.
La société cofondée et dirigée par Travis Kalanick compte environ 6 700 employés, soit 32 fois moins que les 215 000 de General Motors. Et pourtant, elle vaut 68 milliards de dollars, contre 47 milliards pour le constructeur automobile américain (Xiaomi en est à 46 milliards ; Airbnb, à 25 milliards).
Pour reprendre la métaphore du virus, la première étape, en l’occurrence la synthèse, consiste à identifier un marché et à développer une plate-forme pour mieux le servir.
À ces fins, Uber s’appuie sur des solutions déjà en place. Notamment les infrastructures des GAFAM (acronyme désignant les grandes entreprises high-tech Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) avec le cloud, les magasins d’applications, les services de messagerie, les outils de cartographie ou encore les systèmes de paiement électronique.
Cette capacité à capter de la valeur créée en dehors des murs, Uber en fait preuve jusqu’au sein des véhicules, où le smartphone est utilisé comme « capteur intelligent », sans aucun investissement supplémentaire – le véhicule étant « rentabilisé » alors qu’il ne roule pas pendant 96 % du temps (moyenne aux États-Unis).
La valeur ajoutée réside dans un algorithme capable d’associer le plus efficacement possible l’offre à la demande, tout en optimisant les prix, grâce au traitement de la data en temps réel : à Londres, Uber attribue un trajet par seconde et sur ses principales villes, le temps d’attente est de 3 minutes.
Pour changer d’échelle à moindre coût, il y a l’effet de réseau et l’automatisation. « Si Uber fonctionnait sur le modèle de G7, il lui faudrait 33 000 personnes en centres d’appels », explique Kevin Echraghi, analyste chez Fabernovel (rapport établi « mathématiquement » en se basant sur 270 opérateurs pour 8 000 chauffeurs de taxi chez la compagnie parisienne).
Dans la pratique, Uber compte moins de 100 opérateurs dans le monde, alors même que sa proposition de valeur se différencie avec le temps pour toucher, au-delà du transport de personnes, à différents aspects de la logistique. Avec, en prime, divers niveaux de prestation, de l’économique au premium.
Uber présente aussi des capacités d’adaptation à chacun de ses marchés d’implantation sur les questions de paiement (mise en avant des espèces en Inde), de types de véhicules (toujours en Inde, offensive dans les motos-taxis) et de services supplémentaires. Un cercle vertueux se crée alors : une meilleure couverture entraîne moins de temps d’attente pour les chauffeurs, donc des prix plus bas, davantage de demande… et, en conséquence, davantage de chauffeurs.
Cette aptitude à s’approprier l’environnement sur le modèle du réseau « multilocal » porte un objectif : atteindre, dans chaque ville, la liquidité de l’offre et de la demande, avant de penser aux profits. En d’autres termes, Uber part du principe que le premier entrant ne ressortira pas nécessairement vainqueur, comme ç’a pu être le cas sur le segments des moteurs de recherche.
De gros investissements sont généralement effectués pour créer de l’offre et de la demande, l’effet de réseau prenant ensuite le relais. « On utilise de l’OPEX pour construire du CAPEX », résume Stéphane Distinguin, président de Fabernovel. Concrètement, cela revient à subventionner des courses et à offrir aux chauffeurs des garanties horaires tout en leur facilitant l’emprunt ou l’acquisition de véhicules.
Dans chaque ville d’intérêt, Uber envoie un « éclaireur » qui a huit semaines pour rechercher des « accélérateurs de croissance » (qualité des infrastructures existantes, niveau de vie, environnement concurrentiel, restaurants, vie nocturne, météo…), monter une équipe et identifier les partenariats potentiels.
C’est le début de la « contagion », au sens où l’entend Fabernovel. Une fois que la masse critique est atteinte, les dépenses marketing diminuent, les clients assurant eux-mêmes la promotion du service (en 2012, plus de 90 % des nouveaux inscrits disaient avoir connu Uber via d’autres utilisateurs).
Au bout du compte, il s’agit de vendre non pas un produit, mais une idée : tout à portée de main, en quelques minutes. Illustration avec l’opération Uber Ice Cream, à laquelle 70 millions d’individus ont été exposés à l’été 2014, dans 57 pays et 252 villes.
La fidélisation est indispensable pour Uber, qui n’est rentable qu’au bout de la 6e course. L’expérience unifiée que propose l’application s’inscrit dans cette stratégie : 20 % des utilisateurs s’en sont déjà servis dans plusieurs pays.
L’interfaçage avec d’autres entreprises permet par ailleurs de s’ouvrir à leurs bases de clients. Uber toucherait potentiellement 200 millions de personnes via les applications de ses grands partenaires comme Starbucks, TripAdvisor et American Airlines.
En toile de fond, une dimension d’innovation constante pour maintenir une avance sur la concurrence. C’est l’étape de la « mutation ».
Depuis 2010, le slogan a changé deux fois. À l’origine, il y avait UberCab, qui promettait « un chauffeur privé pour tous ». Puis Uber s’est rangé sous l’étendard du « transport aussi fiable que l’eau courante », avec entre autres uberBLACK, uberSUV…et uberX (uberPOP en Europe), permettant à tous les titulaires du permis de s’improviser chauffeurs.
Le réseau s’est élargi dans le covoiturage (uberPOOL, décliné en uberCOMMUTE pour les déplacements professionnels), dans la restauration (uberEATS) ou encore dans les coursiers à la demande (uberRUSH), jusqu’à l’apparition du slogan « Déplacer des bits et des atomes ».
Uber se projette plus loin : l’objectif n’est pas seulement de contrôler l’infrastructure, mais de devenir l’infrastructure. Les voitures autonomes joueront un rôle déterminant dans cette approche. L’entreprise aurait, en prévision de cet avenir, commandé 100 000 Mercedes, tout en se rapprochant de plusieurs constructeurs dont Fiat Chrysler.
En l’état, il s’agit plutôt de banaliser l’utilisation de véhicules « en tant que service » et d’en faire une solution plus économique que de posséder un véhicule. Les chiffres ne manquent pas pour étayer cette théorie : selon Uber, un an à Londres avec ses services revient à 4 655 dollars, contre 10 281 dollars de coût global pour le propriétaire d’une voiture.
Reste une étape : la « défense », ou comment appréhender la pression des concurrents et des régulateurs.
Sur ce dernier point, Uber dispose d’une palette de techniques.
Tantôt, la société se plie aux règles, comme à Moscou, tout particulièrement sur le partage de données avec les autorités. Tantôt elle paie, comme pour accéder à l’aéroport de Newark dans la baie de San Francisco ou pour éviter que ses chauffeurs indépendants soient reclassés salariés.
Autre solution : négocier des partenariats, comme à Hyderabad, avec cette promesse faite au gouvernement de former 2 000 chauffeurs. Ou bien se défendre, comme contre la loi Thévenoud en Europe. Voire faire du lobbying (témoin le recrutement de Neelie Kroes, ex-commissaire européenne à la concurrence) ou alors tout simplement battre en retraite, comme ce fut le cas avec uberPOP en France.
Concernant la concurrence, il faut l’envisager sous plusieurs angles. Tandis que des acteurs vont venir se greffer à Uber pour exploiter le meilleur du service, d’autres vont se différencier dans des segments comme la location de voitures et le covoiturage longue distance. Certains vont faire cause commune (à l’image de l’alliance Lyft – Ola – Grab – Didi Chuxing), quand d’autres vont s’allier avec des constructeurs automobiles (Toyota, Tata) ou des sociétés high-tech (Google, Microsoft).
Quelle place dans l’équation pour les projets basés, à l’instar d’Arcade City, sur la blockchain ? Le potentiel de désintermédiation associé à cette technologie de registre décentralisé retient l’attention, mais pour Stéphane Distinguin, il faut savoir raison garder : « Attendons que des modèles émergent ». Kevin Echraghi est sur la même ligne, rappelant que le site de covoiturage La’Zooz, fondé sur la blockchain, a fermé ses portes.
De l’avis de Fabernovel, le futur se résumera plus probablement à un combat entre Uber et Google, le premier adoptant le modèle du second en développant ou en rachetant un système d’exploitation pour la voiture connectée et en l’ouvrant à des partenaires. Un joli clin d’œil au fameux « Software is eating the world » de Marc Andreessen.
Et la loi dans tout ça ? Face à un Uber qui, dans son raisonnement global,mord la ligne blanche jusqu’à parfois la dépasser, la capacité des États à réglementer est mise à rude épreuve. D’autant plus que l’entreprise est bien armée sur le volet juridique : les bénéfices réalisés dans certains pays sont réinjectés dans d’autres. Et le financement suit, quitte à lever de la dette.
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