Uber est une société de transport urbain selon l’avocat général de la CJUE
L’avocat général de la CJUE assimile Uber à un opérateur de transport urbain et non pas seulement à une plate-forme électronique. Quelles implications ?
« Qu’est-ce qu’Uber ? Est-ce une entreprise de transport, de taxi pour le dire plus franchement ? Ou bien est-ce uniquement une plate-forme électronique permettant de trouver, de réserver et de payer un service de transport presté par autrui ? »
Ainsi Maciej Szpunar, avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), synthétise-t-il la problématique à l’égard de laquelle il a rendu ses conclusions* ce jeudi 11 mai 2017.
Dans les grandes lignes, l’intéressé a retenu la première option, résumée au point 61 de ses observations : « Uber est un véritable organisateur et opérateur de services de transport urbain. »
Le dossier avait été ouvert il y a près de deux ans, après réception d’une demande de décision préjudicielle en provenance du tribunal de commerce no 3 de Barcelone.
La juridiction espagnole de première instance avait sursis à statuer d’un recours formé le 29 octobre 2014 par une organisation professionnelle regroupant des chauffeurs de taxi de la ville de Barcelone.
Cette dernière accusait la société de droit espagnol Uber Systems Spain SL d’exercer dans l’illégalité avec uberPOP (app de transport de particulier à particulier, depuis lors interdite dans le pays) et plus globalement de bénéficier d’avantages concurrentiels indus face aux exploitants de taxis, en matière de licences, d’assurance ou encore de sécurité.
Service « mixte »
Sur place, la législation nationale – notamment la loi 16/1987, relative à l’organisation des transports terrestres, et qui impose l’obtention d’une autorisation de transport public de passagers pour réaliser aussi bien des transports de cette nature qu’une activité d’intermédiaire dans la conclusion de tels contrats – est complétée par diverses réglementations au niveau des communautés autonomes et des municipalités.
Au niveau européen, les directives 98/34/CE et 2000/31/CE encadrent les « services de la société de l’information », dont Uber prétend que son activité relève.
Le tribunal no 3 de Barcelone cherche précisément à savoir si c’est bien le cas… ou si l’activité qu’exerce le groupe américain est assimilable à du transport.
Du côté de Maciej Szpunar, avocat général à la CJUE, on estime être en présence d’un service « mixte », composé d’un élément fourni par voie électronique et d’un autre qui n’est pas fourni par cette voie.
Selon son analyse, la lecture combinée des directives 98/34 et 2000/31 établit un « service de la société de l’information » comme étant entièrement électronique.
Sauf que certaines prestations susceptibles d’entrer dans ce champ comportent nécessairement des éléments non transmis par voie électronique, faute de pouvoir être dématérialisés (exemple : la vente en ligne de biens matériels).
Influence(s)
Pour Maciej Szpunar, les services « mixtes » peuvent relever desdites directives quand la partie de la prestation qui n’est pas fournie électroniquement est « économiquement indépendante » du service fourni par voie électronique.
C’est le cas pour les plateformes d’achat de billets d’avion ou de réservation d’hôtels : les entreprises qui les exploitent – en l’occurrence, les compagnies aériennes et les hôteliers – restent économiquement autonomes, ayant d’autres moyens de commercialiser leurs services.
Vient ensuite le cas où le prestataire du service fourni par voie électronique est aussi prestataire du reste du service…ou qu’il exerce « une influence décisive, de sorte que les deux forment un tout indissociable ».
Cet angle de réflexion implique de déterminer l’élément principal de la prestation envisagée. S’il est transmis par voie électronique, alors la prestation dans son ensemble peut être qualifiée de « service de société de l’information ».
Et faire ainsi l’objet d’une régulation sur le plan du droit de l’Union, sans relever d’une compétence partagée avec les États membres dans le domaine des transports locaux.
Excluant Uber du champ du covoiturage du fait de la rémunération des chauffeurs « à concurrence d’un montant qui excède largement le simple remboursement des frais exposés », Maciej Szpunar souligne que la société « fait beaucoup plus que lier l’offre à la demande : [elle] a [elle]-même créé cette offre », dont elle réglemente les caractéristiques essentielles.
Concernant justement la rémunération des chauffeurs, ceux-ci sont, en principe, libres de demander un montant moins élevé que celui indiqué par l’application. Mais dans la pratique, le fait qu’Uber prélève sa commission sur la base du prix indiqué a un caractère dissuasif, affirme l’avocat général.
Les apparences sont trompeuses
Au-delà des tarifs, Uber exercerait un contrôle « sur tous les aspects pertinents d’un service de transport urbain », par le biais du contrat d’utilisation de l’application.
Ce contrôle, fait remarquer Maciej Szpunar, ne s’exerce pas selon une subordination hiérarchique de facture classique, mais « il ne faut […] pas se laisser abuser par les apparences. Un contrôle indirect […], basé sur des incitations financières et une évaluation décentralisée par les passagers, avec l’effet d’échelle, permet une gestion tout aussi efficace, sinon plus, que celui basé sur des ordres formels donnés par un employeur ».
À la lumière de ces constats, l’avocat général conclut que c’est la prestation de transport qui confère à Uber son sens économique : la phase de mise en relation n’a qu’un caractère préparatoire.
Ne pouvant par là même être qualifiée de « service de la société de l’information », l’activité peut faire l’objet d’exigences établies en droit national et aux sanctions y afférentes.
Uber assure qu’une telle issue ne modifierait pas la manière dont son activité est aujourd’hui régulée dans de nombreux pays de l’UE.
La même en France ?
Les conclusions de Maciej Szpunar n’ont que valeur de recommandation. Mais la CJUE se range souvent derrière l’avis de l’avocat général.
On surveillera l’évolution d’un dossier similaire ouvert sur requête du tribunal de grande instance de Lille dans le cadre d’une procédure pénale à l’encontre d’Uber France SAS.
Lors de l’audience qui a eu lieu le 24 avril dernier devant la CJUE, Uber a fait le parallèle avec le fonctionnement de Booking.com – « qui ne fournit pas les chambres » – et réaffirmé fournir exclusivement un « service électronique d’intermédiaire ».
L’avocat général à la CJUE doit rendre ses conclusions sur ce dossier le 4 juillet prochain.
* « Un service consistant à mettre en relation, à l’aide d’un logiciel pour téléphones mobiles, des passagers potentiels avec des chauffeurs proposant des prestations de transport individuel urbain à la demande, dans une situation où le prestataire dudit service exerce un contrôle sur les modalités essentielles […], ne constitue pas un service de la société de l’information […] ».